Identité nationale, burqa : la majorité joue avec le feu

Par le 23 décembre 2009

A l’heure du débat nauséabond sur l’identité nationale qui, loin de fédérer les français les divise plus que jamais, l’UMP se démène avec un projet de loi que Jean-François Copé et Eric Raoult portent péniblement sur leurs épaules. Celui sur l’interdiction du port du voile intégral. Décryptage.

Après des mois de discussions, force est d’admettre pour ces fervents défenseurs d’une identité républicaine qu’une loi visant à interdire le port de la burqa ou du niqab est difficilement applicable sans porter atteinte aux libertés fondamentales.

Même Xavier Darcos qui fut pourtant favorable à l’interdiction du voile dans les écoles en 2004, reconnaît dans Le Monde du jeudi 17 décembre: « qu’un dispositif répressif, dont l’application est jugée très difficile, ne serait pas de nature à régler la question complexe du port de la burqa. »

Jean-François Copé, affirmait pourtant dans Le Figaro du 16 décembre : « Il y a des fondements juridiques solides pour justifier une interdiction », en faisant référence à l’intervention de Guy Carcassonne, professeur de droit public à l’université Paris X, qui fut diffusée sur la Chaine Parlementaire.

Or « les fondements juridiques solides » que Jean-François Copé prétend détenir sont peut-être plus fragiles qu’il le laisse entendre.
Guy Carcassonne explique en effet que la seule solution pour qu’une telle loi apparaisse serait de faire appel à « l’ordre publique et la sécurité ». « Il ne s’agirait pas d’interdire le voile intégral mais tout ce qui cache le visage » car le fait de montrer son visage est le signe que l’on appartient à une société. Cela fait parti de nos codes sociaux, non seulement pour des questions de sécurité mais aussi parce que c’est un des signes de reconnaissance que nous partageons.

Soit, mais est-ce vraiment pour des questions de sécurité que ces parlementaires ont voulu au départ interdire le voile intégral ? N’y-a-t il pas quelque chose de biaisé dans cette volonté de légiférer à tous prix sur un phénomène, qui rappelons-le ne peut pas être mesuré, et dont les conséquences sociales ne peuvent être évaluées qu’avec des conjectures hasardeuses voire pire, par des jugements de valeurs stigmatisant ?

L’UMP, dans son obsession d’affirmer haut et fort ce que c’est que d’être français, réalise alors qu’il n’est pas possible de légiférer sur le port du voile intégral pour des raisons qui aurait pu être valable : le respect de la laïcité ou la dignité de la personne liée au traitement infligé aux femmes par leurs maris.

Ainsi, le respect de la laïcité ne peut être invoqué car selon Guy Carcassonne : « La République peut s’imposer à elle-même une laïcité, mais le législateur ne saurait pas interdire au citoyen la liberté de choisir ce qu’il considère comme important pour sa foi ».

La dignité de la personne non plus car interdire le voile intégral au nom de celle-ci relèverait du jugement arbitraire. Qui va définir ce qu’un individu juge digne pour sa propre personne. L’État ? Une commission de la dignité ? Et en poussant la logique plus loin, est-il digne de porter un tatouage, un piercing, une croix ou une kipa ? Préjuger de cela nous amènerait immanquablement vers des dérives que la vieille Europe connait bien.

Impossible donc de légiférer sur ces principes et pourtant on cherche, on continue, on veut coûte que coûte sanctionner. Quand bien même l’utilité d’une telle loi est douteuse mais qu’en plus son application, stigmatisant une population que l’on met déjà trop souvent sous les feux des projecteurs, se fera pour de fausses raisons de sécurité et d’ordre public.

Symptomatique, cette proposition de loi illustre bien la position de la majorité qui s’efforce constamment d’établir des liens entre la foi musulmane et l’intégrité de la république française et se retrouve souvent dans des impasses. Ces débats divisent même les hommes politiques au sein de la majorité et exacerbent les tensions en donnant forme à des problèmes qui n’en étaient pas forcément au départ.
Le débat sur l’identité nationale suit la même logique. Mettre sur le devant de la scène des pseudos problèmes de société pour éviter des débats beaucoup plus gênant pour le gouvernement sur la gestion de la dette, la Réforme Générale des Politiques Publiques, la réforme sur la taxe professionnelle, la suppression du juge d’instruction, la revalorisation annuelle du SMIC au strict minimum face au maintien du bouclier fiscal, l’intégration européenne forcée par le traité de Lisbonne, le retour dans le commandement intégré de l’ONU ou encore les quotas d’immigrés renvoyés dans leurs pays. Autant de sujets qui mériteraient un véritable débat national avec les mêmes moyens que ceux déployés pour l’identité nationale.

Ce débat ci n’est qu’une grossière manœuvre de diversion, une basse manière de fédérer toutes les rancœurs autour de crispations identitaires, une méthode de division aussi vieille qu’efficace.
Conscient de l’impasse dans laquelle la majorité est en train de s’engouffrer, les ministres se divisent déjà sur le sujet.

Cette exacerbation de la problématique du voile et de l’identité nationale destinée à étouffer les contestations sur les autres politiques mises en pratique n’est pas sans risque. Le feu que le gouvernement allume ainsi par petites touches risque ainsi de se propager rapidement. Les émeutes de 2005 dans les banlieues sont certes passées, mais toujours bien présentes dans les mémoires, et le gouvernement ferait bien de s’en soucier.

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à propos de l'auteur

Auteur : Jérémy Gauthiot

Master 1 de science politique en poche, Erasmus réussi, stages conventionnés et chaussures bien lacées, je me sentis prêt à m'élancer sur les pentes escarpées de la profession, à gravir les montagnes de sujets à traiter et, pour filer la métaphore, à récolter les fruits de mon travail. Un travail que je considère essentiel et qui permet de participer aux différents débats qui animent notre temps. Si nous avons tous conscience des difficultés que traverse notre métier, je crois que la génération dont je fais partie, partage ce même goût du défi qui veut, modestement, sinon faire un meilleur journalisme qu'avant, tenter au moins, de faire du journalisme autrement.