Jean-Marie Charon :« Il semble indispensable d’innover, de se recentrer sur l’analyse »

Par le 14 décembre 2008

Spécialiste des médias, Jean-Marie Charon est sociologue et chercheur au CNRS. Il fait aussi partie de la sous-commission d’amélioration des contenus siégeant aux États Généraux de la Presse. Il donne son avis sur la question…

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Selon vous, qu’est-ce qui a conduit le gouvernement à organiser les États Généraux de la presse ?

Plusieurs facteurs en sont à l’origine. L’élément déclencheur a été la revente des Échos à LVMH durant l’été 2007, et les conflits qui s’en sont suivis avec la société des rédacteurs. Celle-ci a été soutenue par ses pairs et par le Syndicat National des Journalistes (SNJ), qui a été le premier à mettre en évidence la nécessité d’une réunion en présence de tous les acteurs de la presse, où seraient évoquées les questions de propriétés et de concentrations dans ce secteur. Le SNJ et ses partenaires en avaient déjà appelé aux États Généraux de la Presse pour aborder des questions plus générales, tel que le contenu par exemple. Autre élément important : les éditeurs. Ceux-ci ont accusé une forte baisse de leurs recettes publicitaires en 2007-2008. Ils ont donc demandé à l’État d’intervenir pour mettre en place une grande négociation et leur accorder un plan de soutien exceptionnel. La réponse du Président Sarkozy à tous ces événements a été d’organiser les États Généraux de la Presse.

Cela n’entraîne-t-il pas un risque de mélange des genres ?

Cela peut en effet discréditer la presse et les États Généraux. Et cela pose aussi le problème des connivences. Mais quelles sont les autres alternatives ? Une telle organisation est très coûteuse et difficile à mettre en place à cause de l’éclatement syndical d’une profession profondément individualiste. Finalement cela est assez habituel pour les entreprises de se retourner vers l’État lorsqu’elles rencontrent de grosses difficultés. D’ailleurs ce n’est pas la première fois que cela se produit dans ce secteur. Au début des années 1990, face à la dégradation de la conjoncture économique, Jean-Noël Jeanneney, alors secrétaire d’Etat à la Communication, avait initié un grand colloque au Conseil économique et social. Par ailleurs, il avait demandé un rapport visant à répertorier les grands problèmes de la Presse, afin de proposer des aides.

Ne pensez-vous pas que les États Généraux de la Presse sont trop axés sur les problèmes économiques de ce secteur et peu sur le reste ?

Ils ne traitent pas seulement des problèmes économiques, ils abordent également des questions sociales. Par exemple, concernant la distribution, il ne s’agit pas seulement d’évoquer la baisse des chiffres d’affaires, mais aussi de la manière de faire reculer la précarité des employés et de leur assurer une retraite décente.

La Presse est-elle victime d’une crise de l’offre ou de la demande ?

C’est toujours une crise de l’offre, donc du contenu. Celui-ci n’est pas assez diversifié et adapté au lectorat. La réflexion doit porter là-dessus mais ce n’est pas suffisant. Le modèle économique de la presse écrite se trouve aussi en grande difficulté. Les prix des journaux sont trop élevés car les coûts de fabrication le sont aussi. Tous ces problèmes sont totalement interdépendants. Il semble indispensable d’innover, de se recentrer sur l’analyse, le grand reportage, l’enquête, mais pour cela il faut du capital, et aussi peut-être revoir le statut légal de l’entreprise de presse.

Les Français lisent, écoutent et regardent les actualités. Comment expliquez-vous qu’ils soient si peu à s’intéresser aux Etats Généraux de la Presse ?

Le public se sent très concerné par les problèmes du secteur audiovisuel, mais peu par ceux de la presse écrite. Ses difficultés sont perçues comme moins importantes, car les éditeurs se disent en crise depuis plus de vingt ans, c’est un discours permanent. Cela a donc moins d’impact. Selon certains, les États Généraux ont oublié le « Tiers État », car les lecteurs n’y sont pas conviés. Cette critique est excessive, car en réalité il est très difficile d’associer le milieu syndical, les associations et les grandes fédérations d’éducation populaire. Car si leur direction se sent intellectuellement intéressée, leur base se mobilise peu.

Pensez-vous que les États Généraux ne sont qu’un prétexte visant à légitimer des réformes déjà prévues ?

Les professionnels de la presse ont pu craindre que les décisions clés soient déjà prises. D’une manière générale, ils se sentent mis en porte à faux et ont l’impression que le débat n’est pas équilibré. L’initiative d’organiser les États Généraux a été prise par le pouvoir politique et il existe peu de moyens de pression sur celui-ci, si ce n’est l’argumentation. Mais cela pèse bien peu. Par exemple, je suis complètement hostile aux textes remettant en cause les lois anti-concentration, qui n’ont rien à voir avec les problèmes de la presse aujourd’hui. De même, je pense qu’il aurait fallu plus de temps pour analyser et enquêter sérieusement sur les questions de distribution et de lectorat.

Que pensez-vous des « contre-États Généraux » organisés par Edwy Plenel ?

Je pense que c’est une initiative intéressante. Le but des États Généraux était de créer un grand débat public. Même ceux qui étaient très dubitatifs y sont allés et ont réagi dans ce cadre. Les autres peuvent aussi s’exprimer à l’extérieur. Cela incite les professionnels de la presse à mieux communiquer entre eux. Mais ce qui est encore plus intéressant, c’est que les associations et syndicats qui débattaient dans leurs coins, se sont également réunis. D’ailleurs, Acrimed, Attac et le SNJ vont organiser leur propre débat et faire des contre propositions.

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à propos de l'auteur

Auteur : Marion Grenes

Un Master Humanitaire à Aix en Provence en poche et une brève passade aux Pays Bas, direction Montpellier pour le Master Journalisme. Une pause cependant cette année, avec un remplacement de journaliste au Télégramme de Brest. Une révélation pour moi qui souhaitais acquérir des bases dans un métier idéalisé depuis bien longtemps. Mes expériences passées m’ont également permis d’écrire pour le magazine Kinés du Monde et d’exercer au sein du service presse de la Fondation de France. Une activité touche à tout particulièrement formatrice. J’attends du Master un enseignement riche et de belles rencontres, me faire une petite place un jour dans une rédaction où les mots se conjuguent avec déontologie et respect d’autrui.