Beaucaire : la résistance au FN fragmentée

Par le 11 décembre 2015

La ville gardoise dirigée par le Front national a voté au premier tour à 60 % pour le parti de Marine Le Pen. Fragmentée au plan politique comme associatif, la résistance anti-FN peine à proposer une alternative. Reportage dans le maquis beaucairois de l’entre-deux-tours.

Une ville où les habitants ne courent pas les rues à l'image de cette place.

Parties à la recherche des opposants au FN, nous sommes arrivées sous la grisaille dans une ville tourmentée en ce mardi 8 décembre d’entre-deux-tours. 16 000 personnes vivent à Beaucaire, mais personne ne s’aventure sur les pavés glissants de la ville. En votant à 60 % FN au premier tour des régionales, Beaucaire s’octroie le score frontiste le plus élevé du Languedoc-Roussillon-Midi-Pyrénées. Les opposants politiques et associatifs n’ont pas déserté la ville, mais le frontiste Julien Sanchez maire de Beaucaire, semble tirer des avantages de leurs bisbilles intestines.

Une résistance associative mise à mal

Le milieu associatif beaucairois est structuré par le sport, la culture et la politique. Pilier de l’opposition au Front national, le Rassemblement citoyen de Beaucaire (RCB) a été créé par quatre habitantes et compte aujourd’hui une vingtaine de membres. La blogueuse Laure Cordelet, une des fondatrices, habite la ville depuis quatre ans. « Avant je n’étais pas du tout politisée, je venais d’une famille de droite. Je votais centre-droit. Mais avec l’élection de Sanchez, la parole raciste s’est libérée. C’est là que j’ai décidé de créer le Rassemblement ». Ateliers d’instruction civique, manifestations et conférence sont les principaux moyens d’action de l’association.

« Mon combat principal reste les municipales », confie-t-elle. D’où une moindre mobilisation pour ces régionales, malgré une distribution de tracts anti-FN dans les boîtes aux lettres des quartiers abstentionnistes de la Moulinelle et du centre-ville. L’association ne reçoit « aucune subvention, ce qui nous permet de dire merde à qui on veut », même si elle regrette de se battre avec peu de moyens. « C’est plus difficile de résister ».

L'édile Julien Sanchez dans son bureau empli de symboles français. Dans son grand bureau de l’hôtel de ville, Julien Sanchez connaît bien Laure Cordelet. « Son cas relève de la psychiatrie», lâche-t-il. Le jeune élu frontiste dit bien s’entendre avec le monde associatif beaucairois. Cela ne l’empêche pas de dénigrer le RCB: « On a donné un sens à leurs vies. Qu’elles continuent, ça nous fait monter ». Laure Cordelet s’en amuse : « Je sais très bien qu’il me prend pour une folle hystérique ».

Il suffit d’arpenter les rues aux côtés de Laure pour s’apercevoir qu’elle a la côte. En quelques mètres, quatre personnes l’accostent au long du canal, entre bavardages et accolades. « Mieux vaut ne pas être pressée », glisse-t-elle.

Au sein même de la résistance, les avis divergent à son sujet. « Elle fait un gros travail de diffusion, mais elle sert malgré elle de porte-voix au FN », affirme Claude Dubois, ancien conseiller municipal de l’opposition Front de gauche. Maxime créateur du groupe Facebook Les Beaucairoiseries, pense que « les gens ne la prennent plus trop au sérieux mais c’est dommage car on a besoin d’elle ». Des propos révélateurs de leurs difficultés à se fédérer. Les pôles d’oppositions existent mais ne sont pas à la hauteur de la montée du FN.

D’autres associations ont subi une coupe budgétaire. « Le principal rempart au FN c’est le monde associatif. Ce que fait Sanchez à Beaucaire, c’est enlever des subventions aux assos qui créent du lien social, comme l’aide scolaire. Donner des subventions, c’est reconnaître leur intérêt public », relève Sylvie Polinière, ancienne enseignante à Beaucaire et militante CGT, dans les locaux nîmois du syndicat.

L’enjeu pour ces associations est de trouver des moyens d’existence en dehors des subventions publiques. Le monde associatif beaucairois est sinistré. Il ne constitue pas à ce jour une opposition suffisamment forte pour enrayer l’ascension du Front national. La difficulté est d’autant plus forte pour la gauche de s’installer dans une région historiquement monarchiste et conservatrice. « L’arrivée des rapatriés d’Algérie et d’une main d’œuvre maghrébine ont créé des tensions. Ces deux populations ont dû cohabiter », explique Michel Crespy, sociologue gardois. Après avoir essayé le communisme il y a trente ans, ni la gauche ni la droite classiques n’ont su prendre le relais. Avec un chômage avoisinant les 20 % et des incivilités récurrentes, les Beaucairois se sont divisés, tout comme leurs représentants. Et le maire s’en frotte les mains.

Une opposition partisane incapable de s’unir

Le conseil municipal compte trois groupes d’oppositions : Beaucaire 2014 (divers-droite), Beaucaire pour tous (liste de l’ancien maire Jacques Bourbousson) et Réagir pour Beaucaire (Front de gauche). Cette fragmentation reflète le paysage politique des élections municipales de 2014. Face à Julien Sanchez, quatre listes se sont affrontées sans trouver d’union. « Pour les prochaines municipales, on veut une liste unique, seule condition pour gagner face au Front national », souligne Laure Cordelet du RCB.

Les conseillers de Beaucaire 2014 « ne font que s’opposer pour s’opposer », estime Claude Dubois. L’édile confirme : « c’est une opposition ridicule ». Il préfère celle de l’ancien maire qu’il qualifie de « constructive », et celle de l’unique représentante du Front de gauche. Il n’a même pas besoin d’affaiblir son opposition municipale : elle est déjà en lambeaux.

Une situation qui a conduit Claude Dubois à démissionner de sa fonction de conseiller municipal. « Je me suis mis en retrait, aujourd’hui j’agis seul, je suis un militant ». Amer, cet ancien candidat aux élections municipales de 2014 a baissé les bras et préfère aller prêcher la bonne parole dans le bar Le Romain.

Remy Vidal et Laure Cordelet, deux manières de s'opposer au Front national. « Le paysage politique beaucairois est en situation de mort clinique. La ville est abandonnée, tout est centralisé à Nîmes », analyse Rémy Vidal, secrétaire départemental de la fédération gardoise du Parti radical de gauche (PRG). Aucune antenne locale de parti n’est présente à Beaucaire. Ils ont déserté le champ de bataille. Le PRG lui-même n’a rien entrepris pour contrer le FN dans le cadre des régionales. Rémy Vidal préfère construire les fondations d’une section départementale qui puisse mobiliser autour d’un « projet collectif ».

Mal organisée, divisée, voire inexistante, l’opposition institutionnelle fait le jeu du FN en lui permettant de se maintenir. « Julien Sanchez est installé pour longtemps », conclut le sociologue Michel Crespy.


Faire renaître une résistance citoyenne

La ville se retrouve totalement assommée. « Certaines personnes ont peur de s’opposer. Dès que le Front national a quelqu’un dans le nez, il fait tout pour l’enterrer », confie la militante CGT Sylvie Polinière. La ville est divisée entre ceux qui soutiennent le FN et ceux qui sont contre. Conséquence : plus personne n’ose parler, comme si la loi du silence régnait.

« Rue nationale » à Beaucaire. Un lieu où les commerçants, d’origine maghrébine pour la plupart, sont visés par un arrêté municipal jugé discriminatoire par les concernés. Preuve de la défiance ambiante, l’un d’eux nous déroule un discours pro-frontiste de façade. « Le FN apporte du bien c’est un bon patron. Il y a des barbus qui nous pourrissent », nous explique cet épicier marocain. Un discours ambigu. Intriguées, nous lui garantissons son anonymat et celui-ci nous livre une toute autre version. « Je veux qu’on me montre du doigt en tant qu’arabe qui réussit. Je ne veux pas de problème avec la mairie, je suis commerçant ».

Cette méfiance nous l’avons aussi retrouvée au café de Malik, lorsque nous avons abordé quelques clients. « Mais vous êtes des journalistes, vous allez déformer nos propos », lance un des jeunes hommes. Une fois passée la barrière, deux d’entre eux de 27 ans acceptent de s’ouvrir. « Le maire se dit proche des gens, mais ça dépend desquels… moi je ne l’ai jamais rencontré ! », sourit Mohamed. Les régionales ne l’intéressent pas. Il préfère voter aux présidentielles et aux municipales, « sauf si c’est vraiment trop serré avec le Front national », ajoute-t-il. Samir, de son côté, n’a pas le droit de vote mais aimerait l’avoir. Il essaye de s’informer comme il peut, « avec les moyens qu’il a ». Contre le Front national, mais pas résistants pour autant.



Une ville où les habitants ne courent pas les rues à l'image de cette place.

Résistance 2.0. L’opposition citoyenne semble œuvrer davantage sur les réseaux sociaux que dans les rues de la ville. Le groupe Facebook Les beaucairoiseries, créé par Maxime, rencontre un vif succès depuis sa création il y a sept mois. Il a été formé suite à la censure immédiate de posts sur la page officielle de Beaucaire. Aujourd’hui, le groupe compte plus de 1400 membres et « une dizaine de personnes s’ajoutent chaque jour », selon Maxime. On y retrouve certains membres de l’opposition institutionnelle ou associative qui y débattent quotidiennement de politique locale. La résistance citoyenne se fait virtuelle.

« Une opposition constructive ne peut émerger que si le maire fait des actions très impopulaires », prévient Michel Crespy. « Mais Sanchez est quelqu’un de charismatique, jeune et malin ». Un seul espoir : le renouveau du militantisme, par la jeunesse et le dialogue. « C’est la jeunesse qui doit se bouger. À un moment donné, ils n’accepteront plus ça », conclut Sylvie Polinière. Nous quittons une ville illuminée par des décorations de Noël bleu marine, qui donne l’impression que la couleur du Front national a même envahi la ville. Beaucaire semble s’être résignée à moyen et long terme.

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à propos de l'auteur

Auteur : Gaëlle Colin

Transmettre, raconter, décrire, se confronter à d'autres modes de vie. Aujourd'hui je sais qu'un métier synthétise ces envies : correspondante à l'étranger. Au fil de ma vie Niortaise, j'ai embarqué pour une licence d'Histoire à Poitiers. Un semestre en Irlande fait tout chavirer : par le voyage, je me découvre une passion pour la géopolitique, la rencontre de l'Autre. Terminé pour le long fleuve tranquille ! Ma motivation bien au sec, je débarque à Montpellier pour y étudier les sciences politiques. Assoiffée par ma curiosité et intenable sur place, je me teste en presse quotidienne régionale et en radio associative. Le local m'apprend la rigueur du métier, la réalité du terrain. Aujourd'hui, je navigue entre le monde professionnel via mon contrat de professionnalisation avec Ouest-France et la formation avec le Master 2 Journalisme à Montpellier. « L'exercice du reportage implique deux choses essentielles : le terrain et la curiosité. Donc, j'ai l'habitude de dire qu'il n'y a ni grand ni petit reportage et que le reportage se trouve n'importe où en bas de chez soi, comme bien loin ». Anne Nivat, grand reporter de guerre.