Congo: le conflit oublié

Par le 17 octobre 2012

Le week-end dernier, François Hollande s’est rendu à Kinshasa, capitale de la République démocratique du Congo (RDC), pour participer au 14ème sommet de la francophonie, alors que les conflits larvés entre militaires mutinés du mouvement M23, chefs de guerre et armée congolaise des FARDC (Forces Armées de la République Démocratique du Congo) se multiplient dans l’Est du pays. Ce dernier fait face à une situation humanitaire catastrophique depuis 1996 et les médias occidentaux restent muets sur la question. Et pourtant, les différents conflits auraient fait plus de six millions de victimes (directes et indirectes) ces quinze dernières années, soit davantage que les victimes de la Shoah.

Du « Roi bâtisseur »…

Pour comprendre et analyser les enjeux actuels, il est nécessaire de prendre en considération le passé du Congo, pays sous influence étrangère depuis plus d’un siècle. C’est en 1884, lors de la conférence de Berlin, que les puissances européennes se mettent d’accord pour concéder le territoire congolais au roi belge Léopold II qui jalousait les empires coloniaux français et britannique. Le Congo était alors le territoire personnel de Léopold. Ce dernier y instaure très vite un système d’exploitation des ressources (le caoutchouc principalement) tout en faisant subir multiples sévices aux populations locales : asservissement, mutilations, exactions des colons, viols… En 1908, l’Etat belge vote l’annexion du Congo qui est, de fait, renommé Congo belge. Le système d’exploitation mis en place par Léopold et sa société minière reste en place et le fossé se creuse entre les riches colons et les populations locales contraintes à travailler de force. Toutefois, une élite politique congolaise se dégage peu à peu dans les villes notamment à Léopoldville (Kinshasa) et Stanleyville (Kisangani). C’est de là que naît le MNC (Mouvement National Congolais), organisation politique menée par Patrice Lumumba. Ce dernier parvient à renverser l’impérialisme belge et à établir l’indépendance du Congo le 30 juin 1960.

…au « Léopard du Zaïre »

Mais Lumumba est assassiné en 1961 par les hommes de Joseph-Désiré Mobutu, meurtre dans lequel la CIA et le gouvernement belge sont largement impliqués. La première République du Congo fait long feu. Mobutu prend alors les rênes du pays et le renomme Zaïre en 1965, ayant pour désir de faire disparaître toutes traces du passé colonial du Congo. C’est la période dite des « 3 z », en référence au changement des noms du fleuve, de la monnaie et du pays, tout trois renommés Zaïre. Cependant, malgré le retrait des forces coloniales dans le pays, il s’agit là de l’époque où le Congo a connu sa plus importante exploitation et spoliation. Mobutu avait établi dans le pays une véritable politique de pillage des ressources à des fins personnelles, faisant de lui l’un des hommes les plus riches au monde. À cette époque, le « léopard du Zaïre » pouvait compter sur les ressources en diamant (près de 30% des ressources mondiales), en cuivre, en cobalt, et en or, bien sûr. Le régime personnifié mobutiste a été une dictature de plus de trois décennies, supportée par les Etats-Unis qui se satisfaisaient bien d’avoir un allié de plus dans le contexte de la guerre froide.

La catastrophe de 1996, première guerre du Congo

Mobutu devient de plus en plus gênant pour les puissances occidentales, débarrassées de la menace russe au début des années 1990. L’occasion de s’en séparer va très vite se présenter avec l’émergence de la première guerre du Congo en 1996 qui sera aussi le début de la période la plus sanglante de l’Histoire du pays. Après le génocide de 1994 au Rwanda, les tutsis étaient parvenus à reprendre le pouvoir avec l’arrivée de Paul Kagame. Nombre d’hutus sont condamnés à fuir le pays. Parmi eux, les responsables du génocide, certes, mais également des femmes, des vieillards, ou des enfants hutus et tutsis qui n’y avaient pas pris part. Les camps de réfugiés se retrouvent directement de l’autre côté de la frontière c’est-à-dire… au Congo. Kagame, accompagné de Musevini, Président de l’Ouganda, décide d’envahir le Congo, de massacrer les populations hutus et de prendre le contrôle des ressources à l’Est du pays. Là encore, les puissances occidentales ferment les yeux ; d’une part par sentiment de culpabilité vis-à-vis de leur attentisme lors du génocide au Rwanda, d’autres parts pour des intérêts économiques et géopolitiques dans la région. Laurent-Désiré Kabila profite de l’invasion du Congo pour renverser Mobutu et prendre le pouvoir. Une nouvelle dictature est établie. À la fin de la première guerre du Congo, ce n’est pas un mais trois dictateurs qui contrôlent le pays : Kabila, Kagame et Musevini.

Pérennisation et ensevelissement…

Très vite, les relations entre les alliés victorieux se ternissent et, dès 1997, Kabila chasse les Rwandais du Congo. Cet acte marque le début de la deuxième guerre du Congo qui durera jusqu’en 2003. Le conflit dépasse alors la dimension ethnique pour se diriger vers de l’extermination sans aucune distinction. Durant cette période, des chefs de guerre s’installent à l’Est du pays notamment dans la région du Kivu, riche en minéraux tels que le cobalt, le coltan ou encore le lithium, tous trois nécessaires à la conception de nos téléphones portables et autres tablettes numériques. Jusqu’à aujourd’hui, les combats incessants ont fait plus de six millions de morts, et le conflit est loin d’être résolu. En mai dernier, un groupe de mutins, dénommé le M23 [[M23 est le nom de l’organisation mutine en référence à l’accord de paix passé le 23 mars entre le gouvernement de la RDC et le CNDP (Congrès National Du Peuple), accord non respecté par Joseph Kabila selon M23.]] a fomenté une rébellion contre Joseph Kabila (le fils de Laurent assassiné en 2001). Ces anciens officiers de l’armée congolaise exigent officiellement une vie politique plus saine et plus de sécurité pour les réfugiés de l’Est. On ne peut affirmer pour l’heure quelles sont leurs réelles intentions et il apparaît que ce groupe a déjà commis nombre d’exactions notamment contre les Hutus avec en arrière-plan un soutien probable de Kagame et de l’Etat rwandais. Kabila, de son côté, a réaffirmé le week-end dernier une volonté de recréer un climat de paix à l’Est du pays, oui mais à quel prix ?

Des enjeux qui transgressent les frontières

Le Congo aujourd’hui fait partie des enjeux majeurs à une échelle planétaire. Le pays possède la deuxième plus grande surface forestière au monde et subit les conséquences de la déforestation. Le viol et la maltraitance envers les femmes continuent de sévir notamment à l’Est du pays. L’utilisation des enfants comme armes de guerre est une pratique encore implantée chez ces chefs de guerre qui contrôlent les zones d’extraction de produits nécessaires à nos appareils électroniques. On peut donc s’étonner du mutisme de la plupart des médias à ce sujet, car la catastrophe humanitaire au Congo concerne l’Occident dans sa globalité.

Pour plus d’informations, voici un reportage retraçant la situation au Congo:

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à propos de l'auteur

Auteur : Simon Robert

Après deux années de classes préparatoires lettres à Rennes, j’ai effectué deux années de science politique dont l’une à l’étranger, en Pologne, via le programme Erasmus. C’est avant tout mon intérêt pour l’Histoire et l’écriture qui m’a dirigé vers le journalisme. Être à même d’écrire et de rendre compte de l’Histoire de demain, tel est l’objectif que je me fixe. J’ai été amené à réaliser divers articles et reportages vidéo au cours de ces dernières années et c’est sur ce dernier support que je souhaiterais me diriger. Le travail de l’image, d’écriture et de montage d’un reportage ou d’une enquête sont des choses qui me parlent et m’intéressent. Je retrouve avec la vidéo une polyvalence dans le travail d’écriture. Toutefois, écrire reste un réel plaisir et j’apprécie également la rédaction d’articles. J’espère que cette année à Montpellier se révélera prolifique en termes d’expérience et de projets journalistiques.