Culture et handicap : La Bulle Bleue s’engage

Par le 15 décembre 2017

Ouverte en Février 2012, la Bulle Bleue est une structure exceptionnelle où 46 professionnels handicapés travaillent. Parmi eux, 20 comédiens exercent leur art en toute liberté, en dehors de tout jugement. Membre de l’Association départementale des pupilles de l’enseignement public de l’Hérault (ADPEP 34), ces militants de l’éducation populaire défendent des valeurs d’accessibilité et d’émancipation. Rencontre avec sa directrice, Delphine Maurel.

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La Bulle Bleue (LBB) est un des sept Établissement et service d’aide par le travail (Esat) en France. Animé par une équipe composée de comédiens, techniciens, jardiniers, cuisiniers, tous en situation de handicap. Cette structure accueille plus de 46 professionnels, dont 20 comédiens. Structure pilote en Occitanie de la convention Culture, santé handicap & dépendance portée par les ministères de la santé et de la culture, LBB obtient une véritable reconnaissance de son expertise.

Delphine Maurel a été recrutée, dès novembre 2011, avec une double mission de « direction d’un établissement médico-social et d’une fabrique artistique ». L’Esat des Ateliers Kennedy, depuis 1964 au Mas de Prunet, dans le quartier de La Martelle, leur a cédé des locaux et leur apporte un soutien logistique.

À l’origine du projet, six personnes passionnées, dont la présidente de L’Autre théâtre, Françoise Serres, avec «la conviction qu’il fallait prolonger les initiatives locales sur le lien entre art et handicap, en les professionnalisant ». Ouvert au terme de l’échéance de trois ans, « l’Esat a failli ne pas voir le jour », se rappelle Delphine Maurel. « C’est un projet magnifique de vivre-ensemble. La rencontre avec le spectateur dans le théâtre est toujours très forte ». LBB était initialement « un projet de cirque avec un chapiteau bleu mais ce nom a été gardé car la bulle renvoie à la protection, à l’expression et le bleu fait écho à l’handicap ».

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Septembre 2017 : ouverture du Chai du Mas de Prunet

En septembre dernier, le Chai du Mas de Prunet a donné place à un lieu de fabrique artistique et culturelle. Quatre temps de rencontres publiques sont organisés dans l’année « dans un objectif de mixité des publics », affirme Delphine Maurel. Ce nouveau lieu permet « une plus grande visibilité de la compagnie et une capacité d’accueil de 100 personnes ». Avec la prochaine création programmée à Jean Vilar et les petits chaos à la Scène nationale de Foix « l’ambition artistique de la compagnie est de s’exporter sans limite ».

« Une troupe permanente c’est une aventure humaine » – Delphine Maurel

Elle a pu constater l’évolution des comédiens : « ils ont gagné en émancipation, en affirmation de soi et en stabilité ». Son engagement est véritablement social car « une troupe permanente c’est une aventure humaine » soutient-t-elle. Les comédiens travaillent 34 heures par semaine. L’équipe pluridisciplinaire sélectionne sur des critères de « motivation, d’audace et de présence scénique ». Certains viennent de la Compagnie maritime, certains de L’Autre théâtre et d’autres n’avaient jamais fait de théâtre. « La moitié ont un handicap psychique et l’autre moitié ont une déficience », explique-t-elle. L’évaluation cognitive de la Maison départementale leur attribue une compensation pour travailler. Ils ont un statut hybride entre salarié et personne accompagnée. Pour Delphine Maurel, leur intégration dans la société s’améliore « au même titre que le débat sur les minorités avance, mais le milieu du spectacle reste très difficile ».

Chaque projet artistique a son artiste associé sur trois ans pour que « l’artiste s’immerge dans le projet global ». Cela permet une ouverture et une dynamique professionnelle mais nécessite une recherche de financement. « L’Esat a un financement d’état pour la partie éducative, et un budget d’entreprise propre pour financer les intervenants extérieurs ». Un quart du financement est réalisé par des mécénats donc « si on perd les subventions, on ferme », déplore Delphine Maurel.

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« Ces êtres ont une profondeur de présence » – Jacques Allaire

De 2015 à 2018, la compagnie La Grande Mêlée s’associe à la compagnie permanente de la Bulle Bleue et les metteurs en scène, Jacques Allaire et Évelyne Didi pour se consacrer à l’univers de Rainer Werner Fassbinder à travers le projet « Prenez garde à Fassbinder ! ». À l’issue des trois ans, trois créations sont proposées : Je veux seulement que vous m’aimiez, de Jacques Allaire du 15 novembre au 1er décembre 2017, Les Petits Chaos d’Evelyne Didi du 8 au 16 juin 2018 et Le Bouc (titre provisoire) de Bruno Geslin en octobre-novembre 2018.

Pour leur dernière création Je veux seulement que vous m’aimiez, dont les photographies en sont issues, la compagnie de la Bulle Bleue livre une performance remarquable, un vrai moment d’humanité. Ils dansent, chantent, s’engueulent, s’aiment et se déchirent mais débordent toujours de personnalité et de passion.

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Le metteur en scène Jacques Allaire livre un témoignage saisissant : « En enlevant la question de la souffrance liée au handicap, la question de l’empêchement d’un être, contraint dans un espace limité ou une pensée fixe, est ce que cherche tout acteur. Par le hasard de la vie, le handicap les amène à la résistance même de son être, un être profond à l’intérieur duquel on ne peut pénétrer. D’office, ces acteurs, du fait de leur handicap, possèdent des qualités essentielles. Les deux problématiques restent de se débarrasser des questions narcissiques, liées à leur pathologie, et ce souci de vouloir appartenir à ce monde dit normal, c’est-à-dire ignorer ou marcher sur leur handicap, pour faire croire qu’ils n’en ont pas. On se retrouve alors avec des êtres qui ont une profondeur de présence absolument extraordinaire et le travail artistique est mené pleinement. On est affecté d’une manière profonde par cette qualité de présence ».

Cette pièce traite des thèmes quotidiens et essentiels avec philosophie, comme l’amour, l’homosexualité, la mort, l’anarchie, le sens de la vie mais cette fête explosive est aussi une métaphore de l’existence avec la complexité des relations humaines et des sentiments. Les comédiens y incarnent des personnages très aboutis avec beaucoup de poésie et une immense générosité.

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Lab ASH : à la croisée entre recherche artistique et recherche sur le travail social

Le lab Art social et handicap (Lab ASH) est « une plateforme d’appui en partenariat avec l’Institut Régional du Travail Social ». Sur trois années, une chercheuse du laboratoire Praxiling de l’Université de Paul Valéry réalise une étude sur «la légitimation par le langage des professionnels ». Ensuite, le Lab ASH se positionne sur un projet européen, auprès d’espagnols, portugais et suédois, sur « la professionnalisation des handicapés et la formation des accompagnateurs ».
La Bulle Bleue est donc « une fabrique des possibles » infinie, comme l’exprime Delphine Maurel. Un lieu d’expression décidément humain qui n’a pas fini de surprendre le public.

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à propos de l'auteur

Auteur : Clara Mure

Montpelliéraine de souche et italienne de coeur, je reste avant tout une enfant du monde et de la génération Erasmus. Issue de la Science Politique mais aussi du monde de l’Esthétique, j’ai toujours voulu appliquer ce double cursus aux mots d’Albert Camus qui m’ont toujours animée « Un journal c’est la conscience d’une nation ». En tant que journaliste, j’allais ainsi devoir faire preuve de « contact et de distance », comme l’indiquait Hubert Beuve-Méry, afin de devenir l’intermédiaire entre le peuple et l’État, le prescripteur de l’actualité et le garant de notre Démocratie. Une des interrogations les plus primaires dans notre existence est la suivante : « Que voudras-tu faire plus tard ? », plus tard sous-entendant au moment de notre vie d’adulte où nous devons déterminer du rôle que nous voulons tenir au sein de la société. John Lennon leur avait répondu « heureux », alors qu’aux yeux de tous il n’avait pas compris la question, il semblait déjà détenir le sens de la vie. Je peux affirmer que l’écriture, mais surtout sa portée, est certainement la clef de mon bonheur. Écrire pour croire, écrire pour comprendre, écrire pour révolter, écrire pour exister. Être journaliste a toujours été pour moi une évidence, car au-delà d’une vocation, c’est inscrit dans mon ADN. En devenant journaliste, je confirme la vulgate nietzschéenne : « Deviens ce que tu es ». Et en assumant pleinement ce que je suis, je donne un sens à ma vie avec pour priorité, d’être utile. Engagée, je ne saurai que l’assumer. Pacifiste, résolument, j’utilise ma plume comme d’une arme pour combattre l’obscurantisme et défendre mes idéaux. Ma conviction : que des mots sélectionnés avec raison aient bien plus de poids que le sang sur leurs mains. Seule l’encre salira les miennes mais avec la ferme intention qu’elle n’ait coulée en vain. Je vous parlerais bien des enseignements de la Science Politique, des doctrines qui forgent et de celles qui font réfléchir, de celles qui animent et des autres qui désarçonnent ; Mais surtout de ces Hommes qui ont marqué l’Histoire du poids de leurs convictions et du vacarme de leur volonté ! Je vous parlerais bien du goût de l’aventure, de l’apologie de la rencontre, de l’éloge du risque et de l’oraison de l’expérience. Mais Philippe Bouvard nous a un jour soufflé que « le journaliste doit avoir le talent de ne parler que de celui des autres », alors je vais m’y entreprendre dès maintenant.