De la vie chez les morts

Par le 28 novembre 2012

Le minimum dans un cimetière, c’est de s’attendre à un silence de mort. Hé bien non. Entre le bruissement des feuilles, les rumeurs animales et les murmures des vivants, il y a de la vie dans la demeure de nos défunts.

Avec ses six hectares, le cimetière Saint-Lazare est le plus grand de Montpellier. Il accueille près de 4000 concessions depuis son inauguration en 1849. Véritable havre de paix en bordure de la ville et de ses empressements, il est un retranchement paisible pour ceux qui y trouvent refuge. Qu’il soit éternel ou pas. Sous les rayons paresseux d’un soleil de fin d’automne, les pierres fleurissent tandis que les vivants passent.

En bordure d’une des allées principales, Raymonde et Gilbert se recueillent devant la tombe d’un parent. Ils viennent souvent « rendre visite à leurs morts », ainsi que l’énonce Gilbert. Son épouse de renchérir : « Bien sûr, on pense à eux sans venir au cimetière mais, ici, les souvenirs sont plus affectueux, plus intenses qu’une simple pensée. On pense à quelqu’un par rapport à ce qu’il a été, c’est beaucoup plus fort qu’une anecdote partagée. » L’atmosphère est légère même si l’émotion est palpable. La dame sourit, étirant son visage creusé de rides : « Un cimetière, ce n’est pas fatalement triste. Ça dépend surtout de l’état d’esprit dans lequel on est. »
Un peu plus loin, une femme, les mains crispées sur sa canne chuchote à sa fille « Ça fait 22 ans que je ne suis pas venue. 22 ans. C’est long. » Ses yeux sont perdus dans le vague, ancrés dans un souvenir beaucoup plus vivace que la plaque funéraire qu’elle regarde. Comme inconscients du bouleversement des humains, une poignée d’oiseaux se chamaille à la cime des cyprès.

Au détour d’un chemin ombragé, Daniel et Odette, la cinquantaine, des sacs vides à la main se réjouissent du cadre qui les entoure : « C’est très calme, pas du tout lugubre. Il y a beaucoup de fleurs, c’est coloré. Et en plus il fait beau ! » Le couple a l’habitude de se déplacer avant la Toussaint afin de « respecter la coutume tout en évitant les foules ». Cette année, ils ont changé leur emploi du temps et sont venus lors de la dernière semaine de novembre. La différence est notoire, selon Odette : « C’est beaucoup plus simple de se garer, il y a moins de monde. C’est plus posé, aussi, on est tranquille. »

La tranquillité, une caractéristique importante aussi pour ceux qui travaillent dans le cimetière. Marcel s’occupe de l’entretien des tombes et de leur réparation depuis trois ans. Pour lui, c’est un devoir de respecter la quiétude des lieux : « Quand il y a un enterrement ou une famille qui passe près de nous, on arrête ce qu’on fait, on éteint les machines, on enlève la casquette et on essaie de se faire tout petits. Le reste du temps, on ne parle pas fort, non plus. C’est un endroit assez impressionnant. » Pour autant, pour le quadragénaire, travailler dans un cimetière, « c’est comme aller au bureau. Au début ça choque un peu mais après, vous rentrez dans le cimetière en chantant. » Il ajoute : « Après tout, la mort, ça fait partie de la vie de tous les jours. Même si j’avoue que l’hiver, quand on finit à 17 h 30 et que la nuit est tombée, on languit de sortir de là. »

En attendant, tant que le soleil est haut, les vivants se croisent sous l’immense porte en pierre du cimetière Saint-Lazare. Dans leurs errances commémoratives, ils font crisser sous leur pas les feuilles mortes, sans troubler, jamais, le repos des locataires permanents.

Catégorie(s) :

Vous avez aimé cet article ? Partagez-le !

à propos de l'auteur

Auteur : Pauline Chabanis

En 1988, alors qu’Etienne Chatiliez racontait sur grand écran l’histoire trépidante des familles Groseille et Le Quesnoy, je vivais les premières minutes d’une vie qui n’aurait rien d’un long fleuve tranquille. En réalité, de Lyon à Montpellier, en passant par Cannes, j’ai plutôt ricoché. D’un naturel pragmatique et rigoureux, je me tournai très vite vers une filière scientifique, jonglant avec les chiffres, jouant avec les équations. J’étais le Fred de la fonction affine, le Jamy de la masse molaire et je n’y trouvais vraiment rien de sorcier. Puis je me suis rendue compte que les expériences les plus enrichissantes ne se faisaient pas dans des laboratoires mais à travers des rencontres et un partage d’informations. Je n’ai pas eu d’appel, de vocation ; le journalisme ne s’est pas imposé comme une évidence mais comme une alternative envisageable. Une voie possible que j’ai empruntée, d’abord à tâtons en intégrant l’IUT journalisme de Cannes, puis d’un pas décidé lorsque j’ai réalisé, à travers des stages variés, que ce milieu me convenait. Curieuse et déterminée, je ne m’imagine pas en Indiana Jones de l’information, casse-cou et engagée mais en ouvrière discrète de la société. Je ne veux pas de fabuleux destin télévisé, juste une toute petite place en presse spécialisée… sans en faire tout un cinéma.