Gender marketing : des clichés sous le sapin

Par le 18 décembre 2017

Un garçon peut-il jouer à la poupée ? A l’approche de Noël, la question est brûlante. D’après la sociologue Mona Zegaï, les stéréotypes de genre véhiculés dans les magasins et catalogues de jouets n’ont pas diminué. Petit tour d’horizon.

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A gauche, un rayon rose, à droite, un rayon bleu. Dans le rayon jouets du Géant de l’Avenue du Mas d’Argelliers à Montpellier, la vision est frappante. En s’approchant de plus près, on observe de façon très nette la distinction entre le côté « fille » et le côté « garçon »… à ne pas confondre. Deux enfants d’environs cinq ans s’approchent des poupées, accompagnés de leur maman. « Oh une Barbie ! Regarde ! », s’exclame la petite à son frère. « C’est pour les filles, j’aime pas ! », répond le bambin. Le ton est donné. La petite, désarçonnée, observe la poupée rose. De son côté, la maman s’enthousiasme auprès de sa fille, « regarde ma chérie, elle a tous les accessoires », mais c’est trop tard, la petite, n’en veut plus.

Sur les étagères, les Barbies sont entourées d’autres jouets « pour filles » : coiffeuse, kit de manucure, coffret de perles… Dans le rayon a priori destiné aux garçons, on trouve des jeux de stratégie aux couleurs très sombres, mais aussi et surtout les fameux jeux de voitures, avec les couleurs rouge, vert, noir, parfois orange… mais jamais rose.

Cette différenciation de genre dans le commerce a un nom : le « gender marketing » [marketing de genre, ndlr]. Il s’agit de différencier les stratégies marketing et les produits commercialisés en fonction du genre. Tel ou tel produit sera destiné aux femmes ou aux hommes. Cette pratique est décriée par les féministes, qui condamnent entre autre une certaine forme de machisme et la perpétuation d’une société patriarcale, où l’homme a le pouvoir sur la femme.
Ainsi, dans les rayons de la grande surface de Montpellier, il est aisé de comprendre quel produit est destiné à quel sexe. Dans cette stratégie marketing de différenciation, un exemple est particulièrement criant : la couleur. Le rose, le bleu.

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Selon la sociologue Mona Zegaï, qui a travaillé sur les discours dans le monde du jouet et leur transformation dans le temps, ces différenciations sont de plus en plus marquantes sur les jouets destinés à un jeune public de plus de trois ans. Dans son travail de recherche, la doctorante explique que ces stigmates de couleurs se sont largement accentués à partir des années 1990. On assistait alors à la naissance d’une mise en scène des différences de sexe.

 

L’Allée des Héros

Dans le magasin de jouets La Grande Récré au Polygone de Montpellier, la chef de mise en rayon explique : « Ici, nous ne classons pas les jouets en fonction du genre, mais par thématique. Il est vrai que certains jouets sont plus destinés à un jeune public masculin, avec les figurines de super héros comme Avengers ou Spiderman. On a appelé ce rayon ‘l’allée des héros’ ». Mona Zegai explique en effet qu’au fil des années, les stéréotypes n’ont pas diminué, ils ont simplement changé dans leur mise en scène textuelle. « Par exemple, dans les catalogues, on ne verra plus la rubrique garçon/fille, mais des rubriques ‘héros’ et ‘princesses’ », explique-t-elle.
De son côté, la responsable de mise en rayon de La Grande Récré se défend : « nous ne sommes pas responsables de la couleur des paquets, ce n’est pas de notre faute si les jouets sont soit bleus, soit roses, si tel jouet est plutôt adressé à tel ou tel sexe. Il faudrait se tourner vers les fabricants de ces jouets ». Soit.

Autre élément, la représentation des filles et des garçons à travers la publicité faite autour du jouet. Par exemple, « dans les catalogues ou sur les packaging des châteaux, les filles vont être assimilées à l’intérieur [détail de l’intérieur du château de princesse, ndlr], et les garçons à l’extérieur [détail de l’extérieur du château fort, ndlr] », détaille Mona Zegai. Chez l’enseigne Jouet Club, ce constat peut se faire. En ouvrant le catalogue de l’enseigne, on retrouve la fameuse photo d’une petite fille passant l’aspirateur. « Dans les publicités pour déguisements par exemple, on peut voir souvent des petites filles déguisées en super héros ou en pirate. Mais on ne voit jamais de garçon déguisé en princesse », constate Mona Zegai. Son hypothèse d’explication : « le masculin est peut-être plus valorisé que le féminin ».

De son côté, un responsable marketing de Smoby, grande entreprise française et européenne de fabrication de jouets pour enfants, donne la vision de la marque : « Chez Smoby on reste encore assez traditionnel. On part du principe que les poupées, c’est pour les filles. On ne va pas investir lourdement dans une campagne de publicité montrant des garçons jouant à la poupée, ça ne sera pas rentable ». Cela a le mérite d’être clair.

« Il y a une certaine évolution aujourd’hui », explique Mona Zegai, «certains fabricants de jouets tentent de remettre en cause ces stéréotypes ». En déambulant dans les rayons du même Géant, on peut en effet apercevoir la fameuse dinette. Mais cette fois-ci, le packaging est très neutre, avec des couleurs vertes, jaunes, bleues. Sur la photo du paquet, un garçon et fille s’exerçant tous deux à la cuisine. En 2015, l’enseigne Super U avait aussi défrayé la chronique en affichant une campagne publicitaire neutre pour les jouets.

Alors, révolution en marche ? « Il faut comprendre que lorsque les enfants effectuent leur liste de cadeaux de Noël, ils peuvent être amené à une certaine forme d’autocensure, soit parce que le cadeau qu’ils désirent se trouve dans une rubrique du catalogue qui ne leur est pas destiné a priori, soit parce que les parents eux-mêmes exercent une forme de pression sur leur enfant », rappelle la sociologue. Révolution ou évolution… la réponse se trouvera peut-être dans la liste pour le papa Noël.

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à propos de l'auteur

Auteur : Marie-Perrine Tanguy

On m’a souvent fait remarquer - ou reproché - ma curiosité. Avec les années je réalise que, loin d’être un vilain défaut, elle m’a permis et me permet encore de comprendre la réalité du monde qui m’entoure, de chercher la/les vérité(s), le sens des mots, des informations qui façonnent mon quotidien. C’est la curiosité qui m’a amené à étudier l’Histoire durant trois années ; elle-même qui m’a conduit sur les bancs de la faculté de Science Politique, à Rennes puis à Montpellier. Elle enfin qui m’a aidé à réaliser que mon vœu le plus cher est de devenir journaliste. Haut Courant sera donc le terrain de jeu idéal pour vous en faire profiter !