Graffé dans le marbre

Par le 18 avril 2008

Afin de rendre aux murs qui nous entourent leur mémoire oubliée, Gautier Bischoff et Julien Malland ont édité la collection Wasted Talent (aux éditions l’Oeil d’Horus) qui présente, sous le prisme de cinq monographies aux styles très différents, l’évolution de la culture graffiti sur les dernières décennies. Rencontre et interview autour d’un projet original et classe.

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Talents gâchés, talents cachés

Wasted Talent, talent gâché et auparavant caché. Ce n’est plus le cas. Grâce à Julien Malland et Gautier Bischoff (auteurs de « Kapital, un an de graffiti à Paris », Alternatives, 2000) la collection de livres de graffitis, Wasted Talent, éditée par l’Oeil d’Horus (leur maison d’édition), a vu le jour. Avec pour objectif de mettre en valeur le travail d’artistes encore méconnus, la collection réunit cinq monographies pour rendre compte de l’évolution du graff sur une période donnée et garder trace de ces 003.jpgœuvres. Tout a commencé par le travail d’archivage et de compilation entamé par Gautier à la fin des années 1980. La mémoire de l’éphémère. Il a sillonné Paris et sa banlieue en quête de nouveaux blazes, d’oeuvres à découvrir. Est venu ensuite le moment de rendre hommage à quelques artistes dont la production méritait qu’on s’y attarde. Aussi, quant au choix des artistes qu’ils éditent, Gautier explique « qu’avec autant d’archives, les « mecs » on les connaît, on a vu leur évolution depuis 20 ans. Et c’est par rapport à sa production qu’on choisit le mec ».

Etape suivante, la proposition aux artistes de les éditer. Les réactions sont diverses. « Certains réagissent mal, ils me répondent : « attends je suis pas fini » car ils sont toujours en activité » confie Gautier. Zeky, un des artistes édité par Wasted Talent, n’a pas vu cette proposition du même œil. « Ca fait plaisir et ça me motive à aller plus loin, faire des dessins plus finis, plus professionnels ». Dize, un autre artiste de la collection, a consenti à être édité uniquement du fait que le livre ferait partie d’une collection. Wasted Talent cherche à valoriser avant tout le mouvement graffiti dans sa diversité de styles et d’approches.

Le goût de l’illégalité

Dans cette collection diversifiée, où on ne « retrouve pas toujours les mêmes profils », certains se distinguent par leur charisme ou par la singularité de leur histoire. Mais ces artistes ont en commun le goût de l’interdit associé aux valeurs de la culture hip-hop. « Le graffiti est authentique dans le sens où il est difficilement récupérable. La première discipline à avoir été récupérée dans le hip-hop c’est le rap, qui a malheureusement très vite vendu son âme. Le graffiti est le dernier résistant du hip-hop » juge Slice. Vraie culture hip-hop donc sur fond d’illégalité. Car l’interdit est bien l’adrénaline du graffeur. Toujours selon Slice : « Le graffiti illégal est une drogue. Le graffiti en terrain c’est travailler sans contrainte de temps, l’opportunité d’essayer des couleurs, des styles. On fait de l’illégal parce qu’on en a besoin. »
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Chez les graffeurs, l’illégalité va même jusqu’à la bombe de peinture que beaucoup volent, par habitude ou par principe. L’adrénaline du premier coup de peinture sur un mur public, ce sentiment d’enfreindre une loi mais « de mettre de la couleur là où il n’y en a pas », c’est tout cela qui les a attiré dans cet univers. « Dès la première prise tu es accroc, c’est pire que le crack. C’est un besoin d’exister » affirme Zeky. L’actualité n’est pas encore au graff commercial, comme cela peut l’être aux Etats-Unis. Selon Gautier, « en France, les institutions ne sont pas prêtes à faire travailler des graffeurs. Le graffiti est toujours associé aux notions de vandalisme et d’illégalité ».

 » Je cultivais un coté Arsène Lupin du graffiti : «c’est un taggueur oui mais c’est un gentleman» »

Aujourd’hui, alors que la scène graffiti est variée et riche, « beaucoup plus riche que ce que l’on avait au départ, avec beaucoup de concurrence et de styles variés » assure Zeky, la collection Wasted Talent ne se veut pas un historique du mouvement graffiti. Ainsi les cinq artistes que compte la collection sont issues de générations différentes. Mais la structure des livres restent la même et suit une logique similaire pour les cinq artistes édités : Zeky, Poch & Rock, Darco, Nasty & Slice et enfin Dize. Les bouquins commencent tous sur une partie historique revenant sur des anecdotes des artistes, notamment relative à leur arrivée dans le graff. Mais, plutôt que de s’étaler sur l’ensemble d’une « carrière », ce travail de mémoire est concentrée sur une période donnée : 010.jpgDize montre uniquement la période 2000 à 2004 alors que la période traitée pour Nasty & Slice est beaucoup plus longue car ils avaient une grosse activité au début des années 1990, « avant la révolution du graff ». Pour Zeky, la période concernée va de 2000 à 2006. « Ce n’est pas « ma vie, mon œuvre » qu’on a voulu faire sur chaque artiste mais bien un zoom sur une période précise » explique Gautier.

Cette partie rédactionnelle, où l’on retrouve des interviews des graffeurs et des infos sur leur histoire, est évidemment illustrée par des photos. Ici on apprend les changements de « blaze » pour éviter de se faire reconnaître par les flics, les courses-poursuites avec ces mêmes flics ou bien les différents spots exploités. C’est là qu’on découvre l’excentricité de Slice dans le monde du graff. « J’allais en costard dans les dépôts et je cultivais un coté Arsène Lupin du graffiti : « c’est un taggueur oui mais c’est un gentleman. » »

La deuxième partie des bouquins est plus critique et plus artistique dans le sens où elle présente de nombreux graffs légendés. Afin d’avoir des avis plus objectifs et sans compromis, ce ne sont plus seulement les artistes qui parlent de leurs graffs mais des acteurs du mouvement qui ont une légitimité et qui ne connaissent pas toujours personnellement les auteurs des graffs. Pro, à propos de Nasty & Slice, y écrit par exemple : « Petit, je me prenais leurs flops dans la gueule en allant dans le XIIème. Je les ai vu peindre à Javel à 14 ans. Ils étaient les boss des lettres, des phases avec des flèches, des lettrages bien ricains. Ils m’ont donné les bases pour faire ce que je fais aujourd’hui ».

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