Harcèlement sexuel : quand l’homme devient un animal.

Par le 23 octobre 2012

Vendredi dernier, Sonia Dridi, correspondante pour France 24, a été sexuellement agressée sur la place Tahrir. Un énième viol qui fait réagir les médias internationaux sur le harcèlement sexuel en Egypte. Plus que de la simple perversité, les attouchements et les insultes verbales sont issus d’un réel problème de société, qui empoisonne quotidiennement la vie des femmes.

En réponse à l’attaque des Frères musulmans, lors de la manifestation du vendredi 14 octobre (voir article « Les Frères jettent la première pierre »), ils ont été plusieurs milliers à descendre manifester dans les rues du centre-ville du Caire, vendredi dernier. Plus de 30 partis et mouvements politiques ont rassemblé leurs forces pour dénoncer la main mise des Frères sur le pouvoir et réclamer une Constitution à l’image de tous les Égyptiens.

Emprisonnée dans cette vague humaine, la journaliste Sonia Dridi a été agrippée et touchée par plusieurs individus, durant de longues minutes qui prirent fin grâce à l’intervention du collaborateur de la jeune femme, Ashraf Khalil. Comme Lara Logan (février 2011) et Carolie Sinz (novembre 2011), Sonia Dridi n’est pas la première journaliste à être victime d’agression sexuelle durant une manifestation sur la place Tahrir. A chaque fois, ces viols médiatisés sont l’occasion de mettre la lumière sur un problème de société qui transforme des hommes en « chiens » [[Le terme « chien », kalb en arabe, est un péjoratif très utilisé dans le monde arabe.]] .

Un problème de société.

Journaliste, étudiante, vendeuse, avocate, femme au foyer, toutes les femmes du Caire connaissent ce harcèlement quotidien qui gangrène les rues de la capitale égyptienne.

Selon un rapport émis par le Centre égyptien des droits de la femme, en 2008, 83 % des Égyptiennes se disent victimes de harcèlement sexuel dans la rue, et selon Irin, l’agence d’information de Nations Unies, il y aurait (rapport de 2008) 55 viols par jour en Égypte[[ Guibal (Claude), « Les Cairotes harassées par le harcèlement », Libération, 3 janvier 2009]]. Ces crimes ne font quasiment jamais l’objet de plaintes, tant les victimes ont peur d’être stigmatisées par leur entourage et la société. Au Caire, les femmes vivent dans une jungle urbaine où, à tout moment, des mains baladeuses et des paroles salaces viennent harceler leur quotidien. Cet état de cause résulte en grande partie de la frustration sexuelle des jeunes hommes qui, sans travail et sans argent, ne peuvent envisager le mariage et donc une vie sexuelle « normale ». Mais ces agressions permanentes sont aussi encouragées par l’absence de loi protégeant dignement les femmes et la persistance d’une société traditionnelle, patriarcale et machiste. Les mouvements de foule sont un terrain de prédilection pour les hommes en manque de sexe.

Pourtant les Égyptiennes continuent de se battre. En 2008, Sherif Gomaa, 28 ans, chauffeur de minibus est le premier homme à être condamné pour harcèlement sexuel en Égypte. Pour avoir violemment agrippé les seins de Noha Rushdie, une réalisatrice de 27 ans qui marchait tranquillement dans la rue, alors qu’il passait en minibus. Le jeune homme écope trois ans de travaux forcés. Avec cette première condamnation, c’est une barrière qui est franchie pour toutes les militantes qui se battent pour faire reconnaître le harcèlement sexuel. En 2010, la terrible condition de la femme en Égypte apparaît sur le grand écran, avec « Femmes du Caire », réalisé par Yousry Nasrallah. L’année d’après, le réalisateur Mohamed Diab dénonce sans détour le harcèlement sexuel quotidien dans la rue, le bus et les viols commis dans les mouvements de foule, dans son long métrage « 6, 7, 8 » (voir bande-annone).

Harcèlement et révolution.

Le 25 janvier 2011, la révolution éclate. Les femmes, égales aux hommes, descendent dans la rue pour demander « Le pain, la justice et la liberté ! ». Une fois encore certaines d’entre-elles sont victimes d’attouchements, cette fois non pas par les hommes dans la rue mais par les forces de l’ordre.

Sur la place Tahrir, occupée par les opposants au régime de Moubarak, les femmes goûtent à la liberté. Sans sentir le regard pesant de la société, elles se promènent bras nus et parfois osent fumer une cigarette en public. Les jeunes filles peuvent côtoyer librement les garçons de leur âge venus eux-aussi manifester. De nouvelles idylles se créent. Durant les 18 jours de la révolution, et malgré les nombreux effets de foule dues aux manifestations, les mains baladeuses et les attouchements disparaissent de la place Tahrir. Pour des milliers de femmes, la révolution du 25 janvier 2011 apporte un nouveau souffle dans leur combat pour l’égalité des sexes et leur liberté.

Un nouveau souffle qui prend fin le 11 février 2011. Alors que le président Hosni Moubarak abdique, le peuple égyptien fête leur victoire et dans la foule les agressions sexuelles reprennent de plus belle. Pour les jeunes révolutionnaires, la lutte se retourne contre le Conseil Suprême des Forces Armées. Une nouvelle fois, lors des nombreux « nettoyages » de la place Tahrir par les forces de sécurité, les femmes sont les premières victimes d’une violente répression. La « fille au soutien-gorge bleu » (déshabillée et frappée sur la place Tahrir, par la police militaire, voir vidéo).

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Place Tahrir, le 17 décembre 2011.
Cette photo a fait le tour de la blogosphère égyptienne et des réseaux sociaux. L’indignation qui en résulte donne une nouvelle impulsion au combat quotidien des femmes contre le harcèlement sexuel.
Crédit photo : Reuters

Une impasse.

Aujourd’hui, le harcèlement sexuel a le mérite d’être dénoncé. Depuis la révolution du 25 janvier 2011, ce phénomène de société est connu de tous et reconnu par une grande majorité des hommes. Les mouvements féministes égyptiens tentent de multiplier leurs actions. Plus d’une fois, les femmes sont descendues manifester dans les rues pour demander la reconnaissance de leurs droits. Le premier d’entre-eux : être un individu qui mérite le respect et non une main aux fesses. Des initiatives sont lancées, comme la « carte du harcèlement sexuel » qui offre la possibilités aux femmes de déclarer anonymement le lieux exacte et la nature de l’agression dont elles ont été victime.

Malheureusement, le nombre de viols reste constant. A chaque manifestation, les « chiens » sont là et ils guettent le moment propice pour attaquer. Voilée ou non, étrangère ou non, toutes les femmes sont une cible pour ces hommes qui, profitant de la foule, chuchotent des salaceries à l’oreille de sa proie en aggripant un sein et tentant d’enfoncer un ou plusieurs doigts dans le vagin ou l’anus. Les slogans pour plus de liberté et de justice résonnent et étouffent les cris d’une nouvelle victime.

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à propos de l'auteur

Auteur : Camille Martin

Le printemps arabe et ses révolutions ont été un véritable déclic, le journalisme est alors devenu une évidence. Après une licence d'histoire à l'université de Rennes, j'ai vécu deux ans au Caire pour apprendre l'arabe égyptien et surtout découvrir un nouveau monde. Pendant mon master de recherche Histoire des Relations internationales, je me suis spécialisée dans la géopolitique du Moyen-orient. Mon mémoire pose les bases de la révolution égyptienne du 25 janvier 2011, un évènement auquel j'ai assisté de près. Mon stage au service politique/international à Ouest-France m'a permis de découvrir les dessous du plus important quotidien français, les bons côtés commes les mauvais et de me conforter dans mon désir de travailler en freelance, du moins au départ. Aujourd'hui, je souhaite associer reportages et enquêtes journalistiques pour effectuer un travail d'analyse sur une région en pleine mutation, aussi bien politique que sociétale.