Hébergement forcé: Un faux débat qui masque un vrai problème

Par le 29 novembre 2008

Chaque hiver, ceux qui sont au chaud pensent particulièrement à eux. Justement, alors que le nombre de SDF retrouvés morts augmente chaque jour, Christine Boutin la ministre du logement a annoncé jeudi le lancement d’une « étude pour qu’on examine l’hébergement obligatoire en dessous de -6 degrés. » Une proposition qui fait écho au discours du président de la République lors du conseil des ministres mercredi 26 novembre: « Les pouvoirs publics ont une responsabilité et un devoir : c’est de ne pas laisser mourir les gens. » Qu’en pensent les principaux concernés ?

hébergement forcé

Un degré ce matin à Montpellier. La barre du zéro n’est pas franchie mais le froid tenaille déjà les orteils. A midi, sur le parking des Arceaux, les Restos du Cœur sont là comme à leur habitude. Une trentaine de personnes attend la distribution d’un repas froid. Parmi eux chacun a son histoire, sa situation. Un logement ou pas, un passé, un avenir dans la rue. Propre sur lui, droit sur ses jambes, un pull à col roulé façon BCBG, il sourit et demande: « il vous faut quelque chose ? » Ce jeune et plutôt beau garçon n’est pas bénévole pour les Restos mais vient pour manger. Dans les propos de Christine Boutin la ministre du logement, le caractère obligatoire de l’hébergement le gène. « On ne peut pas forcer quelqu’un contre sa volonté. »

Un jeune homme qui semble tout juste sorti de ses 20 ans rejoint le petit cercle qui s’est formé. « Avant, j’avais un boulot, pas de problèmes de logement. Tout ce qu’il me fallait. Un jour, je me suis retrouvé dans le besoin. Je pense que c’est mieux que ceux qui se retrouvent à la rue aient un endroit où dormir au chaud. » Un SDF intéressé intervient. Plutôt bavard, il se présente sous le nom de Patrick. A 48 ans, il en a vu. Dans la rue depuis des années, il est plutôt remonté. « On ne peut pas nous obliger à nous mettre au chaud. On n’est pas en Russie ! ». «Bon d’accord », reprend le plus jeune une cigarette roulée à la bouche, « Il ne faut pas obliger, mais il faut rassurer. Le 115, je n’ose pas le faire car j’ai toujours pensé que c’était seulement pour les fous. En plus ils ne sont pas disponibles 24h/24h, c’est faux. Ça arrive qu’ils nous raccrochent au nez ou qu’on nous rétorque que l’essence coûte cher… Il n’y a pas de structures pour les jeunes comme nous. Tout le monde est mélangé dans leurs centres. » Patrick fait preuve de logique: « S’ils obligent les gens à y aller, il faudra qu’ils construisent de nombreux foyers et c’est impossible. En France il y a 95 000 SDF recensés ! » Catégorique, il refuse l’hébergement d’urgence. «  Je n’y vais jamais » Son camarade Dominique pense que « ces endroits sont comme la prison ». Installé sur un terrain laissé à l’abandon il ajoute: « Quand on appelle le Samu social, ils ne viennent jamais sur notre terrain.  »

Le sentiment général ? Des SDF soit oubliés et négligés, soit forcés et contraints. Un « deux poids, deux mesures » qui ne laisse pas la place à un juste équilibre. Loïc, bénévole depuis 14 ans aux Restos esquisse un sourire las et embarrassé. «C’est compliqué. » dit il, «Eux, ils ne sont pas toujours d’accord pour aller dans ces structures d’urgence. Il faut leur laisser leur liberté. Mais d’un autre côté, si on les retrouve gelés c’est un peu notre responsabilité… Il faudrait trouver un compromis »

Il est 13h, les Restos du Cœur remballent. Deux femmes discutent. L’une d’elle ressemble à la marraine de la célèbre princesse à la chaussure. Drôle de fée au visage apaisant et aux rides timides qui semble avoir piqué les haillons de sa Cendrillon. C’est Marcelle ou Françoise, on ne sait pas trop… Une ancienne enseignante, parait-il, qui rougit, glousse et supplie un camarade d’arrêter lorsqu’il la présente comme une voyageuse cultivée et multilinguiste. « Moi j’ai un logement mais je pense qu’on n’a le droit d’obliger personne. L’obligation c’est la répression. Il y en a qui aiment bien être seul et n’apprécient pas la proximité avec un SDF en état d’ébriété. Ça ne se passe pas toujours bien là-bas. Il y a des vols, la promiscuité, les bagarres, l’alcool aidant. Il y a aussi ceux qui ont des chiens et qui ne peuvent pas les prendre avec eux. Mais je comprends l’idée de la ministre d’un côté, car il y en a qui meurent de froid et ce n’est pas normal. En plus, quand ils sont saouls, ils ne se rendent pas compte du danger. » Dédé nous rejoint. Pour lui, les choses sont simples. «Certains veulent y aller, d’autres ne veulent pas. C’est à eux de décider. Avec les vols, ils savent qu’ils vont ressortir à poil. Là-bas, c’est malsain, il y a de tout mélangé : des toxicomanes, des alcooliques… Il faudrait au moins des chambres individuelles»

Peu à peu, le groupe diminue, ceux qui savent où aller s’en vont. Les autres restent dans la rue. Sylvie discute encore. Méfiante, au tempérament bien trempé, elle se livre peu à peu. La rue, Sylvie y a vécu pendant presque un an, suite au décès tragique de son compagnon. « D’un côté, c’est une bonne chose mais on ne peut pas choisir pour quelqu’un d’autre. A l’époque, quand je dormais à la gare routière, ils me proposaient d’y aller mais je refusais. Je n’aurai pas aimé qu’ils me forcent. Il faut laisser le temps aussi aux personnes de vouloir accepter leur histoire ».

Qu’en pense le Samu social ? Au téléphone le contact est froid, une mauvaise expérience avec des étudiants en journalisme et une surenchère de boulot. On ne connaitra pas leur avis. Si ce n’est que la personne jointe rappelle que ce n’est pas l’hiver qu’il y a le plus de morts et nous invite à les solliciter aussi l’été, quand ils ont moins de travail.

Morceaux de vie, de galères, de tristesse et d’espoir. La rue c’est aussi et surtout des histoires différentes qu’il semble difficile de régler par des mesures collectives. Derrière les propos de Mme Boutin se cache un réel problème à propos de la qualité des logements d’urgence. S’il parait difficile d’obliger un SDF à dormir au chaud, lui en donner l’envie en proposant un logement décent, respectueux de son intimité et de sa sécurité, serait une réelle avancée.

Depuis le tollé déclenché par les paroles sa ministre, François Fillon a démenti. Nicolas Sarkozy pour sa part a remanié la proposition pour faire passer plus doucement la pilule qui reste en substance inchangée. A l’heure du 6ème SDF retrouvé mort en région parisienne en moins d’un mois, le président de la République propose ainsi d’emmener ces récalcitrants suicidaires dans un centre d’hébergement où ils feront le choix ou non de rester. Une mesure qui semble efficace pour éviter la culpabilité et la responsabilité de l’État dans la mort des SDF et qui revient à celle de la ministre si elle n’est pas complétée par une réelle réforme structurelle. Ces logements d’urgence doivent respecter l’intimité et la sécurité des occupants et se conformer à des règles d’hygiène strictes. En plus d’être forcés à aller dans ces logements, les plus têtus n’auront plus qu’à rentrer tout seul à pieds en se consolant : l’État pourra dormir tranquille.

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