Jamel Mektoub: « le mélange des genres »

Par le 18 janvier 2013

Avec pour modèle le Prophète, « le seul à être parfait », Jamel Mazouzi a pour philosophie le Mektoub , « allant à l’encontre des regrets ». Tant mieux car à 33 ans, là où beaucoup tombent, lui se pose comme un individu aux multiples facettes. Rappeur montpelliérain, il a sorti cette année son deuxième et probablement dernier album, Pas de Justice, Pas de Paix. Rencontre avec un homme engagé qui en vaut trois.

Jamel Mazouzi est à ses heures un rappeur du microcosme montpelliérain. Suite à la perte d’un proche en 1999, il se lance dans l’écriture qu’il utilise comme libération. « Le morceau « Porté Disparu », c’est le début du rap ».

LIEN#1 : Clip Porté Disparu

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Contrairement à ceux qui se donnent un nom, lui, « c’est le public qui [lui] l’a donné ». À l’époque, sur son premier maxi, on trouve son nom de scène, Jamel, et le titre, Mektoub. A force de se faire appeler Jamel Mektoub, il décide de le garder.
N’étant pas, comme il le dit « issu de la musique », le Rap est celle dans laquelle il se reconnaît, « celle qui n’a pas besoin de cours ». « Fan modéré des précurseurs », il commence par animer une émission rap sur les ondes de la radio locale 91FMPLUS de 2001 à 2003. C’est là que les premiers freestyles apparaissent. « C’était très brouillon mais à partir de là on a voulu faire plus propre, carré». Avec ses collègues, il monte un groupe mais se lance rapidement dans une aventure solo, car Jamel « aime bien le chant ». Condamné pour cela dès les années 2000 par les puristes underground, il remarque avec ironie « qu’aujourd’hui ils en font aussi ». La seule obligation qu’il se donne « c’est qu’il y ait un message dans la chanson », ensuite, pour la forme, il « aime bien le mélange des genres ».
À partir de l’année 2003, les choses iront très vite. Il y a d’abord la première scène à la MJC Lodève. « Un tout petit concert mais le plus gros pour moi », se rappelle t-il.
Puis ce sont « les retrouvailles avec Chakib », qui fera les musiques et de nouvelles rencontres jusqu’au jeune marseillais Soprano, avec qui il collabore pour un morceau.
Un soir il se voit à la télé « sans être prévenu, sans savoir quoi que ce soit. En regardant les clips, j’étais fatigué, je tombe sur mon clip, «Boycott avec Soprano». Quand tu vois ça tu es choqué ».

LIEN#2 : Clip Boycott

Son rap plaît, notamment par la faculté qu’il a de se mettre dans la peau des autres. Quand on vient le féliciter pour son morceau Madame La Blanche qui traite de la cocaïne, on sent qu’il y est passé. « A la fin des concert on me disait : chapeau, vous en êtes sorti ! ». Mais non. Jamel ne fume pas, ne bois pas. Au point où plus jeune, il « ne mangeait même pas de YES ».

LIEN#3 : Clip Madame La Blanche

Face à la popularisation du rap à la fin des années 2000 et à l’émanation de tant de productions de faible qualité, Jamel Mektoub n’est pas intéressé pour continuer sans raison. Il veut du nouveau, « ne pas refaire pareil ». Vient alors l’idée d’une comédie musicale rap. Le projet est ambitieux. Trop peut-être, et le soufflé retombe faute de moyens.
Gardant l’idée en tête, il sort en 2012 le deuxième album Pas de Justice Pas de Paix, dont la particularité est un fil rouge qui relie chaque piste les unes aux autres tout en leur laissant une existence autonome.
Aimant « le rap qui s’écoute plus que celui qui s’entend », il ne « veut pas jouer le nostalgique mais il y a maintenant beaucoup moins de place au texte, et beaucoup plus au son ». Et pendant que l’on reproche aux rappeurs de s’inspirer des quartiers depuis les 20 dernières années, lui s’inspire de ce qu’il connaît. « Je suis inspiré par le Tiers-Monde, là où sont mes racines, mais aussi les injustices sociales, culturelles, politiques, dans le monde. Et parmi les grosses injustices, il y a ce qui se passe au proche orient ». Ses thèmes sont ceux des rapports entre les humains et les tribulations de ces derniers.

« Dénoncer, appeler un chat un chat, ça me plait !»

Aujourd’hui, alors qu’il sent le « rap devenir grabataire », il ne se voit pas faire d’autres CD. Il continuera d’animer des ateliers écriture et de participer à la transmission d’un savoir, mais « la forme actuelle » ne lui « plait plus », surtout qu’il a « su retrouver le poids d’un message et la lutte ailleurs ». Lui qui accorde surtout de l’importance au médium musical et au texte, est depuis longtemps engagé dans le social.
Car Jamel n’est pas un artiste qui s’arrête à ses textes, mais pousse son combat jusque sur le terrain.

Déjà populaire dans le monde du Rap dans les années 90, le Mouvement d’Immigration et des Banlieues a depuis été rebaptisé le Forum Social des Quartiers Populaires : rassemblement d’associations, qui « s’est un peu essoufflé ». « À partir de là, avec l’association Justice pour le Petit Bard, nous avons voulu le réanimer en créant le MIB34 qui est une antenne du FSQP ». Actifs socialement, ils travaillent actuellement beaucoup sur « le logement qui est une grosse problématique montpelliéraine ». L’accès à la culture pour tous est un autre de ses combats, « en faisant découvrir les structures culturelles à un public qui ne les connaît pas ».
Dans le rap déjà, il note qu’on « se mouille pas trop ». Au travers de l’anagramme R.A.P., il se voit à la fois comme « la Réflexion d’un Animal Politique » et qui n’a « Rien À Perdre ». Là où « un rap censuré n’a pas lieu d’être », il dit ce qu’il veut quand il veut « tout en gardant en tête qu’il a des responsabilités ». Mais « dénoncer, appeler un chat un chat, avec plaisir » il le fait.
« Quand je m’engage sur la Palestine, par exemple, je regarde le droit international (…) et je sais surtout que quand je manifeste, autour de moi il y a des français, des arabes, des juifs, l’union juive française pour la paix ».
Quand on lui parle de politique, il répond « pourquoi pas ». Après tout, il en fait depuis qu’il écrit. Lui-même le dit sans cesse, « il y a une continuité, tout est lié, le rap, la lutte, le social. On appelle ça la liberté d’expression ».

LIEN #4 : Chanson Palestine


« Tout ce qui est en marge, j’aime bien le mettre en avant»

Après s’être redriger vers le métier du bâtiment, il devient Maître d’œuvre à la fin des années 2000. Depuis 2008, il créé son entreprise « Les Archi-Constructeur » et devient entrepreneur.
Mais maintenant que sa propre maison est construite, il est sur « un nouveau projet professionnel et personnel ». Le regard toujours porté vers l’avenir, il « voudrait créer un complexe sportif » dans le Nord de Montpellier. Finançant le projet, il attend patiemment la décision. Dans le but de « créer un lien inter classe sociale, mais aussi la promotion du football féminin. Tout ce qui est un peu en marge, (il) aime bien le mettre en avant ».

Quand on lui demande s’il pense avoir atteint des buts dans sa vie, il se souvient enfant avoir voulu « devenir mécanicien, et ne pas savoir changer une roue aujourd’hui ». Il prend un instant de réflexion et admet que la finalité n’était « pas le disque d’or » mais de « bâtir une famille honnêtement. Donc oui, c’est bâti ».
Après une scène au Zénith de Montpellier, un Maxi et deux albums, des interviews et une certaine reconnaissance artistique, Jamel Mazouzi est aussi un homme engagé qui n’hésite pas à porter sa voix au delà d’un chant. Il est également un père qui met sa famille à l’abri avant tout. A l’heure de ses 33 ans, et avec encore de nombreuses idées en tête, Jamel apparaît définitivement comme un véritable architecte, constructeur … d’avenir !

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à propos de l'auteur

Auteur : Richard Lacroix

Je suis de ceux qui ont besoin d’un travail qui n’en porte pas le nom. Plus à la recherche d’un style de vie qu’à un intitulé, le journalisme est venu à moi comme un besoin et un moyen. Après avoir étudié la photographie pour répondre à mon amour de l’image, j’ai compris qu’il me fallait maintenant partir à la recherche du sens. Appréciant particulièrement les photographies de vie, de rue, les « instants », je voulais donner plus de poids à mes vues en réfléchissant sur ce que je veux montrer. C’est ce qui m’a poussé à venir étudier les Sciences Politiques à Montpellier, au départ pour me remplir la tête, puis petit à petit, pour préparer mon avenir. Je vis de passion et peux donc en citer suffisamment pour que cela n’ait plus de sens. Ce qui pourraient toutes les rejoindre en revanche, est l’amour que je porte à « l’Homme-Humain » que j’aimerai un jour arriver à cerner, tout en espérant que cela soit impossible. C’est à cette dualité que je dois mon respect et ma tolérance. Je ne me destine pour le moment à aucun style journalistique en particulier tant toutes ses facettes m’attirent. Mes différentes expériences ont toujours renforcées cette certitude et m’ont conforté dans l’idée de devenir un de ces intangibles « témoins des choses ».