L’automatisation de la garde alternée ne divise pas que les parents

Par le 13 décembre 2017

Jeudi 30 novembre, l’Assemblée nationale a débattu d’un texte de loi visant à systématiser la garde alternée. Signe que le sujet reste clivant, l’hémicycle a préféré reporter son vote au mois de mai. A Montpellier, professionnels et associations s’interrogent aussi.

Les mères en position de force. En 2012, dans 71% des cas de divorce, la mère avait la garde exclusive selon le ministère de la justice. Contre 12% pour le père. Dans 17% des cas, la garde est alternée entre les deux parents.

Jeudi 30 novembre, le Modem a proposé de systématiser la garde alternée pour les séparations des couples avec enfants. Cette proposition de loi a été élaborée par le député Modem, Philippe Latombe, personnellement touché par la question. La proposition s’est révélée moins consensuelle que prévue : seuls 10 amendements sur 42 ont pu être examinés. Gauche, droite, et même « marcheurs » l’ont critiquée. Le texte a été qualifié de « mal ficelé » et de « fait à la va-vite », par ses détracteurs. Pour Sibylle Gollac, sociologue, « le danger de ce texte est qu’il ne dit rien sur la prise en charge effective et concrète des enfants », alors que Philippe Latombe assure que sa proposition était «guidée par l’intérêt supérieur de l’enfant ».

Avec cette loi, la garde alternée deviendrait le choix par défaut pour toutes les séparations. Le juge ne pourrait donc pas examiner chaque situation avant de la prononcer. Il serait ainsi possible de demander l’arrêt ou l’aménagement de la loi uniquement a posteriori du jugement.

Systématiser la garde alternée, quels arguments ?

L’argument de Philippe Latombe pour systématiser la garde alternée est que les juges aux affaires familiales ne l’accordent pas assez souvent et que les pères doivent se battre pour l’obtenir. La garde alternée est cependant en progression puisqu’en 2003 elle ne concernait que 10% des cas de séparation, contre 17% aujourd’hui. Pour Jean-Yves Graffan, délégué interrégional Languedoc-Roussillon de l’association SOS Papa, il ne faut pas forcément systématiser la garde alternée, mais « le problème, c’est que les juges favorisent bien plus souvent les femmes dans les jugements ». Et dans son activité à l’association, il dit être souvent confronté à des non présentation d’enfants aux papas. « Les pères sont à bout de ces situations où ils ne peuvent plus avoir de contact avec leurs enfants ou trop peu. Un enfant appartient aux deux parents, il a une maman et un papa », déplore Jean-Yves Graffan. Souvent faite au cas par cas, la manière de traiter les séparations varie d’un tribunal à l’autre, la systématisation de la résidence alternée pourrait impulser un mouvement de défense des pères dans des situations où leur parole est peut-être parfois trop peu entendue. Un autre argument porté par les défenseurs de cette proposition est que la garde alternée permet aux deux parents de refaire leur vie grâce au temps dégagé.

Une décision qui devrait être prise « au cas par cas » pour une médiatrice sociale du CIDFF 34

Mais l’idée de systématiser la garde alternée heurte une partie de la population. En effet, elle ne serait pas souhaitable dans tous les cas. Il y a d’abord des considérations pratiques. La résidence alternée impose en effet une proximité géographique entre les parents. Mais aussi des contacts réguliers entre eux. Et sur ce point, les associations féministes tiquent : dans le cas où l’homme aurait été violent avec sa compagne, il n’est pas souhaitable qu’ils continuent d’entretenir des rapports fréquents. Enfin, pour les enfants, la garde alternée n’est pas systématiquement la meilleure solution. Selon la plupart des pédopsychiatres, les enfants de moins de trois ans ont besoin d’une stabilité, plus délicate avec la garde alternée.

A Montpellier, une médiatrice du Centre d’information sur les droits des femmes et des familles de l’Hérault (CIDFF 34) est contre : « Je ne sais pas si la loi va passer, mais ce serait de mon point de vue assez déplorable […] c’est quelque chose à faire au cas par cas », assure-t-elle, reprenant les arguments du côté peu pratique et de la stabilité des enfants. Elle ajoute qu’ « à Montpellier, peu de pères demandent la garde alternée, et toutes les fois où il la demandent, ils obtiennent au moins une « garde élargie » [Lorsque les parents aménagent eux-mêmes ce qui leur convient le mieux à eux et à leurs enfants, ndlr] ».

Selon une étude du ministère de la justice, 48% des parents divorcés sont favorables au principe de résidence alternée, mais parmi eux, seulement un quart l’a effectivement demandée. Ainsi, il semble d’autant plus problématique d’imposer par défaut la garde alternée à toutes les familles concernées. La garde exclusive par la mère avec un week-end sur deux et la moitié des vacances chez le père reste en effet le mode de garde le plus choisi. Quant à l’égalité entre le papa et la maman, pour elle, « elle ne se joue pas [dans la garde alternée] mais dans l’autorité parentale » qui a pour habitude d’être partagée entre les deux parents, y compris en cas de garde exclusive.

Au niveau européen, la garde alternée n’est pas plus présente qu’en France, sauf en Italie, où 40% des couples optent pour ce mode de garde, tout comme en Belgique. En revanche, au Danemark, on observe le mouvement inverse : en 2012, une loi a été votée pour en finir avec l’imposition de la garde alternée. Il s’agissait de mettre l’accent sur les droits des enfants plutôt que ceux des parents.

Pour l’heure, le gouvernement a souhaité laisser vivre le débat pour ne pas avoir à trancher. En effet, la proposition, touche aux questions sensibles de l’égalité homme-femme, et la protection des enfants. En mai prochain, la prochaine niche parlementaire réservée au Modem donnera-t-elle un dénouement à ce débat ? Rien n’est moins sûr.

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à propos de l'auteur

Auteur : Fanny Rousset

Intéressée par les sciences humaines, je me suis orientée vers la sociologie après le bac. Ce cursus m’a permis de travailler sur une grande diversité de thèmes de société : famille, travail, économie, environnement, éducation… C’est durant mes années de licence que j’ai envisagé le métier de journaliste. Ce métier me permettait en effet de pouvoir aborder des sujets divers et de questionner le monde. En conséquence, j’ai réalisé un stage en Presse Quotidienne Régionale (Midi Libre) en 2013. Aujourd’hui, je suis particulièrement sensible aux questions d’environnement, c’est pourquoi j’aimerais travailler pour un média comme Reporterre ou Actu-environnement par exemple. Je suis aussi intéressée par la presse locale.