L’information, ça s’enseigne?

Par le 8 février 2008

Si le constat est unanime : la presse est en crise, les solutions proposées pour lui venir en aide méritent une attention particulière, notamment en ce qui concerne l’intérêt porté au « lectorat potentiel de demain » : les jeunes. En 2004, un rapport de mission remis par Bernard Spitz au ministère de la culture et de la communication révèle la nécessité de mieux sensibiliser à la presse quotidienne les jeunes âgés de 15 à 25 ans. Un fragment de population qui aurait enregistré entre 1994 et 2003 une diminution de plus de 17% dans sa fréquentation de la presse écrite. Parmi les propositions requises : abonnement gratuit à 18 ans (2 mois offerts), vente de la presse dans les lycées… La même année, un sondage BVA indique que 61 % des jeunes considèrent que la lecture de la presse écrite nécessite (d’abord) un apprentissage. Une presse quotidienne papier qui égalerait Internet auprès des jeunes dans sa fonction d’information, selon un sondage Ipsos publié à l’occasion de la troisième édition des assises de la presse écrite et de la jeunesse en 2006.
L’idée d’une éducation aux médias n’est pas nouvelle. En France comme à l’étranger. En 1973, l’UNESCO tente une première définition : il s’agit d’une éducation aux moyens de communication de masse. Cette approche sera modifiée et explicitée en 1982 avec l’adoption de la Déclaration de Grünwald par les représentants de 19 pays «Nous vivons dans un monde où les médias sont omniprésents (…) les raisons qui militent en faveur d’une éducation aux médias conçue comme une préparation des citoyens à l’exercice de leurs responsabilités sont dès maintenant impérieuses, elles deviendront irrésistibles dans l’avenir proche (…).»

Une question se pose ? Qui doit tenir le rôle d’éducateur aux médias ?
A priori quiconque le désire. L’UNESCO a publié en 2006 un kit « à l’intention des enseignants, des élèves, des parents et des professionnels » qui s’intéressent à l’éducation des médias. En France, un premier élément de réponse a été donné par la création en 1983 du Centre de liaison de l’enseignement et des médias d’information (CLEMI), suite au rapport Jacques Gonnet/Pierre Vandevoorde sur « l’introduction des moyens d’information dans l’enseignement ». Ce centre, qui fonctionne depuis plus de vingt ans, est rattaché dès les origines au ministère de l’Education nationale. A côté des actions d’éducation aux médias organisées par les pouvoirs publics (CLEMI, INA, INRP) d’autres initiatives sont menées par des associations de jeunesse et d’éducation populaire.

Le CLEMI joue le rôle de maître d’œuvre dans l’ensemble du système scolaire. Dans les académies, il regroupe des équipes travaillant de concert avec les professionnels des médias, les universitaires, les parents d’élèves…. Ses missions sont diverses . Elles passent par la formation des enseignants (toutes disciplines confondues) à la connaissance du système des médias d’information. Il s’agit d’accompagner les élèves dans leur appréhension des médias, de les guider dans l’analyse des différents contenus. Le but étant également d’encourager leur expression (journaux scolaires, radio, vidéo, Internet). Parmi les actions qui ont contribué à asseoir la notoriété du CLEMI, figure l’organisation chaque année de la Semaine de la presse.
Pourtant, ce n’est qu’en juillet 2006 avec la parution du décret relatif au socle commun des connaissances et des compétences, que l’éducation aux médias apparaît pour la première fois dans les objectifs fondamentaux assignés au système éducatif. Les recommandations concernant l’utilisation des médias dans les classes existaient déjà dans les programmes, mais de manière diffuse. « La nouveauté même de l’éducation aux médias dans les programmes scolaires peut paraître surprenante dans une vieille démocratie » précise Jean-Marie Charon dans « Les journalistes et leur public : le grand malentendu »[[« Les journalistes et leur public : le grand malentendu », Vuibert, 2007]], pourtant « Les enjeux de l’éducation aux médias, du point de vue de l’existence et de la richesse d’un débat public sur la production de l’information sont multiples ».

Ce constat n’est pas le seul fait de sociologues. Dans un rapport remis fin 2007 à leur ministre, treize inspecteurs généraux de l’Education nationale, réunis autour de Catherine Becchetti-Bizot et Alain Brunet, ont réfléchi aux enjeux de l’éducation aux médias en France. Le titre de l’introduction est évocateur : « L’éducation aux médias, un impératif démocratique ». Une citation de Laurent Gervereau le précise : « Aujourd’hui sur le même écran, pour un enfant, un homme préhistorique est aussi actuel que George Bush » . Face à cet état de fait, le document commence par exposer les initiatives de la Commission européenne sur le sujet, notamment son adoption en septembre 2006 d’une « Charte pour l’éducation aux médias » (« Media Literacy »). Puis l’analyse s’attache à présenter à la fois un état des lieux et un catalogue de propositions sur les moyens d’action en terme d’éducation aux médias en France.

Le compte-rendu soulève, en autres difficultés, un constat récurrent « l’éducation aux médias est demeurée l’affaire de militants, parfois contestée dans le cadre scolaire » . Le CLEMI, c’est une conception de l’école qui n’est pas unanimement partagée. Jacques Gonnet , en 1995, dans « De l’actualité à l’école »[[« De l’actualité à l’école, Pour des ateliers de démocratie », Armand Colin, 1995]] précise « le Clemi propose un renversement négocié de l’acte d’apprentissage » . Il regrette que « la lisibilité de l’école (soit) encombrée de tests et d’examens permanents » . Autant « d’indicateurs de performances » qui, plus de dix ans après la parution de son ouvrage, au travers de l’application de la loi organique relative aux lois de finance (LOLF), sauront se rappeler au bon souvenir du CLEMI …
Quoiqu’il en soit, il existe en France depuis bientôt 25 ans un centre permettant un apprentissage des médias. Les jeunes ayant croisé son action, devenus adultes, ont donc théoriquement été sensibilisés aux problématiques des médias. Reste à savoir si leurs comportements auront une influence dans la crise que traverse ces derniers aujourd’hui.

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à propos de l'auteur

Auteur : Marie Creyssels

Après des études en sciences humaines et sociales (M1 d'histoire contemporaine, L3 d'ethnologie et de sociologie) et divers stages (édition, presse, culture), j’ai compris qu’un autre moyen existait pour faire de l’observation participante : le journalisme.