LaPrimaire.org : la politique à portée de clic

Par le 15 novembre 2016

Ils ne comptent pas sur les institutions et les partis mais sur des calculs mathématiques et des outils informatiques. Deux citoyens se sont lancés le défi d’organiser la première primaire citoyenne en ligne. Grâce au web et à un système électoral inédit, LaPrimaire.org veut faire émerger un candidat citoyen pour la présidentielle de 2017.

Le vote au jugement majoritaire expliqué par Tatienne Laplanche

Ils comptent s’installer à l’Élysée en 2017. Pourtant, ils ne sont membres d’aucun parti, n’obéissent pas à une ligne partisane et n’ont peu ou pas d’expérience politique. Thibauld Favre, ingénieur en informatique et David Guez, avocat, ont créé l’association Democratech en 2015. C’est la première fois qu’ils s’impliquent en politique, avec pour objectifs de donner la parole différemment aux citoyens et de casser les logiques des partis traditionnels. Leur association organise aujourd’hui la première primaire ouverte et citoyenne en ligne grâce à leur site LaPrimaire.org.
Pour l’heure, plus de 88 000 personnes se sont inscrites pour participer à leur initiative. Les concepteurs du projet en attendent eux, 100 000, un chiffre minimum à leurs yeux pour acquérir crédibilité et légitimité.

Selon eux, le système politique français ne fonctionne plus. Avec leur plateforme de primaire citoyenne en ligne, ils proposent de le réinventer. Leur constat : 9 français sur 10 n’ont plus confiance dans les partis et seul 0.5% de la population est membre d’un parti politique. Il y a une crise de représentation et un sentiment de méfiance qui s’est installé vis-à-vis des partis et des élus. Face à ce désenchantement, LaPrimaire.org propose de nouveaux outils pour que les électeurs puissent se réapproprier la politique. Ils expliquent : « Le but c’est de retourner la pyramide. Les partis politiques fonctionnent de manière très centralisée. Ils désignent des candidats, élaborent un programme et le servent aux citoyens. L’électeur est passif. Nous on pense que c’est l’inverse, ça doit partir des citoyens. Ils choisissent leur candidat, co-construisent des programmes et in fine il y a quelqu’un qui sort pour porter ça. »

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Le web pour prendre le contre-pied des partis

L’utilisation du web répond d’abord à une préoccupation pragmatique : le financement. L’association vit uniquement grâce aux dons de citoyens qui soutiennent le projet (un peu plus de 60 000 euros ont été récoltés à ce jour). L’autre raison est une conviction des organisateurs : « Les partis politiques se sont créés lorsqu’il n’y avait pas encore internet. Ils fonctionnent d’une manière qui est non numérique. Pour leur primaire, Les Républicains vont dépenser 8 millions d’euros juste pour le vote ! Le web apporte de nouveaux outils et permet de réinventer la manière dont un parti fonctionne. »
Lorsqu’on se rend sur le site, son caractère intuitif et interactif, permet de saisir aussitôt le déroulement de la primaire, le système de vote, le profil des candidats et le fonctionnement de l’association. C’est très exhaustif et on y trouve même des réponses aux questions que l’on ne se posait pas ! Graphiques, animations et communication efficace donnent à ce projet un peu fou des allures très sérieuses.

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Choisir un candidat plus qu’un programme

Entre avril et juillet 2016, tous ceux qui souhaitaient s’inscrire gratuitement sur la plateforme pour être candidat ont dû signer une Charte (8 engagements pour garantir un comportement éthique), avant de pouvoir se présenter et proposer un programme. Les citoyens étaient ensuite invités à apporter leur soutien à ces candidats. Parmi eux, ceux qui recevaient 500 soutiens étaient qualifiés pour le premier tour.
Parmi les 215 candidats putatifs, 16 se sont qualifiés. Ils ne sont aujourd’hui plus que 12 en raison du jeu des ralliements de certains. Mais l’un d’entre eux, Maxime Verner a quitté l’aventure LaPrimaire.org. Cet ancien « candidat des jeunes » autoproclamé à la présidentielle de 2012 a préféré l’aventure individuelle en allant quérir par ses propres moyens les 500 parrainages d’élus indispensables à tout candidat à l’élection présidentielle.

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Chaque programme est consultable en ligne sous forme d’articles thématiques. Les candidats ne revendiquent aucun rattachement à une ligne politique traditionnelle mais empruntent plutôt des idées aux différents partis en y apportant leur touche personnelle. Le but n’est pas de proposer un programme complet mais d’avancer des idées en fonction de ses compétences. Charlotte Marchandise, candidate à la primaire citoyenne et adjointe à la santé de la ville de Rennes propose notamment d’intégrer la santé dans tous les domaines d’action (lire notre portrait de Charlotte Marchandise). Chaque décision devrait être prise en fonction de ses effets sur la santé, notamment en termes de politique énergétique, d’urbanisme et économique. À terme, les organisateurs souhaitent que chaque citoyen contribue à l’élaboration d’un programme complet. Le vote a pour but de faire émerger une personne qui porterait un programme commun plus qu’un candidat et ses opinions personnelles.

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Le vote au jugement majoritaire : innovant mais complexe

Thibauld Favre et David Guez ont mis au point un système de vote en ligne innovant, dit « au jugement majoritaire ». Il peut être déroutant tant il est aux antipodes des habitudes électorales. Thibauld Favre en est conscient : le système « n’est pas compliqué en soit, l’expliquer c’est compliqué mais à partir du moment où on fait une jolie interface et quelque chose d’intuitif, je pense qu’il n’y a pas de problème ». Une dessinatrice a même réalisé un tutoriel sous forme de bande dessinée qui explique son fonctionnement.

Un lot comprenant 5 candidats sélectionnés aléatoirement est proposé à l’électeur inscrit. Grâce à un algorithme, ce regroupement en lot garantit l’équité : chacun des 12 candidats sera soumis au vote des citoyens le même nombre de fois.

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L’électeur doit se prononcer sur chacun des 5 aspirants à l’Élysée. Le candidat citoyen n’est pas choisi mais jugé. Les votants attribuent des mentions allant de « Très Bien » à « Passable » à chacun des 5 candidats. À l’issue de ce vote, les postulants ayant obtenu les meilleures mentions sont qualifiés. Ils ne seront pas 2 mais bien 5 candidats au second tour de cette primaire atypique qui se tiendra en décembre : Charlotte Marchandise, Nicolas Bernabeu, Michel Bourgeois, Roxane Revon et Michaël Pettini.

Le vote au jugement majoritaire expliqué par Tatienne Laplanche

Pour garantir la sécurité du vote, les organisateurs ont misé sur un système en blockchain. Cette technologie de stockage sécurise la récupération des données, garantit l’anonymat du vote et permet la consultation des informations.

Créer un parti pour sortir du système des partis

Tout est fait pour prendre le contre-pied des partis politiques et du système en général. À travers leur plateforme, les concepteurs de LaPrimaire.org ont cherché à prendre le contre-pied radical des partis politiques et du système électoral traditionnel à deux tours. Mais pour avoir la possibilité réelle de concourir à l’élection présidentielle, ils ont dû se plier aux institutions et lois qui régissent les élections.
En décembre le candidat citoyen sera donc désigné. Commencera alors pour lui la recherche des fameuses 500 signatures d’élus pour pouvoir se lancer dans la course à l’Élysée. Là aussi, Thibauld Favre et David Guez comptent sur les citoyens. Ils misent sur le crowdsourcing, c’est-à-dire l’appel aux compétences et savoir-faire de chacun pour aboutir à une production participative. Les organisateurs inciteront les quelque 88 000 citoyens inscrits à aller voir un élu ou toquer à la porte de leur maire pour tenter de récolter les précieux parrainages. Thibauld Favre est « confiant, il faut être optimiste. C’est aussi ça l’enjeu des 100 000 participants, il faut une base solide derrière. »

Thibauld Favre va devoir composer avec une contrainte législative : celle qui oblige tout candidat à la présidentielle à s’adosser à un parti politique. Le candidat citoyen de LaPrimaire.org sera bel et bien obligé d’en fonder un… et d’entrer dans ce système qu’il rejette tant. Les créateurs du site ont du coup décidé de créer un parti pour 2 ans. Une fois la campagne présidentielle terminée et les comptes faits, il sera dissous. « C’est un outil, c’est un véhicule pour mener la campagne. En dehors des élections on ne voit pas l’intérêt. » Pour eux, l’élection présidentielle n’est qu’une première étape, certes de taille. « Le but c’est toutes les élections donc on créera un parti à chaque élection ». Ils ambitionnent d’impulser des candidatures citoyennes toujours plus nombreuses aux élections législatives et municipales. Mais au préalable, ils devront réussir le passage d’un environnement virtuel à une campagne électorale bien réelle.

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