Le vin bio non européen est-il bien bio ?

Par le 3 février 2018

Au salon Millésime Bio à Montpellier, certains vins viennent de loin. L’Amérique du sud, l’Afrique, l’Australie, les États-Unis et la Nouvelle-Zélande sont représentés au plus grand salon de vins bio du monde. Mais les vignobles de ces pays sont-ils en accord avec les critères européens de l’agriculture biologique ? Haut courant a mené l’enquête.

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« Pourquoi avoir choisi un sujet aussi chiant ? », demande Simon Daure propriétaire du domaine Viña las Niñas, dans la région de Santa Cruz au Chili. En effet, le sujet de la certification bio est loin d’être sexy. Mais un consommateur averti en vaut bien deux, voire trois ! Nous avons donc cherché à savoir si notre vin bio du Chili est bien conforme au bio européen. Pour le président du salon Patrick Guiraud, la question ne se pose pas : « s’ils sont sur le salon c’est qu’ils sont certifiés biologiques ». Comprendre le pourquoi du comment de la procédure fut un long chemin semé de verres de vins. Aucun vigneron ou négociant interviewé n’a une vision globale des démarches administratives. Les deux contrôleurs de l’organisme de certification Ecocert interrogés, n’ont pas la totalité des informations en mains non plus. Mais en recoupant les témoignages et avec l’aide de Valérie Pladeau, ingénieure à Sudvinbio, nous avons réussi à reconstituer le parcours d’importation du vin bio en Europe.

Premier cas de figure : l’équivalence entre le pays exportateur et l’Union Européenne

Si le vin provient d’un pays qui a des équivalences avec l’Union Européenne, la certification du pays tiers suffit pour être certifié bio en Europe. Par exemple, le clos Henry Vineyard, dans la région de Marlborough en Nouvelle-Zélande, est certifié par l’organisme Bio-Gro, comme étant conforme aux standards de la Nouvelle-Zélande. L’Union européenne reconnaît le label de ce pays, le vigneron peut donc appliquer « l’eurofeuille » sur ses bouteilles. -571.jpgPour l’instant, en ce qui concerne le vin, l’Union Européenne a reconnu l’équivalence de cinq pays tiers : le Canada, les États-Unis, la Suisse, la Nouvelle-Zélande et dernièrement le Chili. L’Europe à des équivalences sur les produits biologiques avec huit autres pays (Australie, Argentine, Japon, Tunisie, République de Corée, Costa-Rica, Israël, Inde), mais elles ne concernent pas le vin pour ceux-ci.
L’équivalence ne signifie pas que les réglementations bio de ces pays correspondent exactement à celles de l’Union. Par exemple, les Etats-Unis sont plus strictes sur la définition d’un vin biologique. La dose de sulfites (additifs utilisés pour la vinification) autorisée dans le vin est de 100mg/l chez l’oncle Sam, alors qu’elle varie de 100 à 170 mg/l, en fonction des vins, dans le règlement européen.

Deuxième cas de figure : passer par un organisme de certification

Certains pays comme l’Afrique du Sud, l’Australie ou l’Argentine, ne sont pas reconnus comme équivalents par la commission européenne. Les vignerons et les négociants doivent donc passer par des organismes certificateurs pour exporter leur production. Le français Ecocert, l’allemand BCS, ou le néerlandais Control Union ont des filiales sur tous les continents. « Une soixantaine de ces organismes sont reconnus par l’Union Européenne », précise Valérie Pladeau, ingénieure à Sudvinbio. Être certifié bio d’après le cahier des charges de ces organismes suffit pour recevoir « l’eurofeuille ». C’est le cas d’Andrej Razumovsky, vigneron dans la région de Mendoza en Argentine. Il est certifié Argencert Organico en Argentine, une filiale d’Ecocert. Il respecte un cahier des charges accepté par la Commission Européenne et peut donc exporter son vin bio en Europe.
Ce régime d’importation devrait changer d’ici 2021, en parallèle de la révision générale du règlement bio. « Les organismes devront revoir leurs cahiers des charges pour correspondre stricto sensu au règlement européen », explique Valérie Pladeau.

Du bio sans logo

Louis Boutinot, responsable exportation au Domaine Waterkloof en Afrique du Sud est bien loin de ces considérations. Il n’appose aucun logo bio sur ses bouteilles. « Je ne veux pas être catégorisé », confie-t-il. Selon lui, le bio regroupe une grande diversité de produits plus ou moins respectueux de l’environnement. Il fait du vin bio par conviction et par souci de qualité, mais ne voit pas le besoin de l’afficher sur ses bouteilles. « Je suis tout de même certifié Ecocert, comme ça mes clients peuvent vérifier mes pratiques », précise Louis Boutinot. Mais sa décision n’est pas inaliénable : « Si j’ai une grosse commande qui me demande d’apposer le logo européen, je le ferai ».
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Un double contrôle du vin bio

Les exportateurs sont contrôlés dans leur pays d’origine mais aussi dans le pays d’importation. L’importateur du vin bio est soumis à l’évaluation d’un organisme de certification, qui vérifie l’origine de la production. C’est un contrôle au prisme de la documentation. « S’il y a des doutes, le contrôleur peut demander une analyse par prélèvement », explique un contrôleur Ecocert. Ces contrôles sont critiqués par certains vignerons. « Parfois c’est un peu du pipeau, on a l’impression que les contrôleurs ne connaissent pas grand chose à la vigne », confie un exportateur qui taira son nom. « Ils vérifient plus la taille du logo que ce qui se passe dans les champs … ».

Le Bio-protectionnisme entre pays

« Les négociations d’équivalence entre pays c’est compliqué », commente Valérie Pladeau. En effet, chaque pays cherche à protéger son marché. Jusqu’il y a deux ans, il fallait faire venir un contrôleur chinois pour certifier en bio son exploitation. « C’est politique, les Chinois veulent favoriser leur propre production », confie un jeune contrôleur d’Ecocert. Mais cela « bouge » avec la hausse de la demande en bio dans les pays émergents.

Le vin bio voyage-t-il trop ?

Pourquoi produire en respectant l’environnement, puis envoyer son vin bio à l’autre bout du monde, à l’aide de transports peu écologiques ? Cette question taraude nos esprits innocents. Après quelques recherches, nous découvrons que nous ne sommes pas les seuls à trouver cela paradoxal. L’organisme privé Bio Suisse, qui gère le label Bourgeon, interdit les transports en avion des produits labellisés. Mais ceci s’applique rarement au vin, puisque l’exportation se fait principalement en bateau. Cet impact écologique négatif, les exportateurs le regrettent et le justifient souvent par « la petite taille de leur marché » respectif. D’après Patrick Guiraud, le président de Sudvinbio, ce phénomène est minime : « 98% des vins consommés en France sont français, seul 2% proviennent de l’étranger ». Ces 2%, englobent les vins européens et les vins extra-européens. Mais la France ne représente pas la diversité de la situation européenne. L’Allemagne, la Suède, ou le Danemark sont de grands pays importateurs. Principalement des trois plus grands producteurs de vin bio : l’Espagne, l’Italie et la France. La part exacte de vin bio non européen importé dans l’Union européenne reste pour l’instant un mystère.

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à propos de l'auteur

Auteur : Quentin Bleuzen

Ça fait maintenant 5 mois que j'ai décidé d'être journaliste (j'écris le 28 septembre 2017, un soir sans inspiration ...). Pas né avec cet objectif. Mais pas désintéressé. L'idée trottait dans ma tête. Et je n'ai pas réussi à m'en débarrasser. Pour le meilleur et pour le pire ! Ce métier paraît bouché et sa réalité parfois désenchantante : précarité, développement de l'infobésité, personnalisation de l'information et contenus sponsorisés en témoignent. Mais je veux croire en une presse qui donne du sens à l'actualité. Qui explique les problèmes dans leur globalité et leurs complexités. Informer les citoyens, être moteur de lien social, montrer de nouveaux horizons, sont des idées qui me tiennent à cœur. Je m'intéresse de près aux questions politiques et écologiques. Mais toujours très curieux, désireux de comprendre notre environnement et les gens qui nous entourent, j'aborde d'autres sujets avec plaisir. Alors promis, j'essayerai de faire des articles pas trop embêtants et à la fois intéressants !