Cravate ou pas cravate ? Dès l’introduction du débat, Bruno Le Maire a mis fin au suspense et à notre sobriété. Le « renouveau » portait bien une cravate hier soir, au grand dam de 3 joueurs qui ont parié sur le contraire. Pour le reste de la soirée, les choses sont bien plus sérieuses et les règles sont simples : chaque joueur incarne un candidat tiré au sort par une main presque innocente. Presque, puisque choisie dans un bar. Chaque fois qu’une case est cochée sur le bingo, le joueur boit un coup. Avertissement : cet article va parler autant d’alcool que du débat d’hier.
Les deux premiers débats ayant été soporifiques, on a décidé de se motiver pour le regarder, en faisant ce que les étudiants font de mieux : s’intéresser à la politique. Et boire. Surtout boire. On a donc fait des recherches extensives au comptoir pour écrire ce bingo tout en se préparant physiquement. Oui, Buzzfeed et Libé ont aussi fait des bingos. La Voix du Nord a poussé le vice jusqu’à écrire un bingo par candidat. Nous aussi. De toute façon, il est permis de copier puisque France 2 a clairement pompé notre photo de couverture Facebook pour son générique de début.
Surtout, pas d’originalité
« Bonsoir. » « Bonsoir. » « Bonsoir. » « Bonsoir. » « Bonsoir. » « Bonsoir. » « Bonsoir. » Pas de fantaisies ni de salut aux camarades présents hier soir. Le premier mot des candidats est à l’image de la première heure du débat : chacun dans son couloir et surtout pas d’originalité. David Pujadas attaque d’emblée sur l’élection de Donald Trump et « une poussée des populismes, peut-être aussi en France ? ». Peut-être, qui sait ? Festival de parades des candidats, personne ne voulant se mettre à dos le président-élu des États-Unis, ni froisser un potentiel électorat trumpiste. Juppé répond à la question par une question, NKM rappelle que Clinton a gagné le vote populaire, Bruno Le Maire frise le point Godwin en rapprochant la situation actuelle de l’Europe de 1945. Jusqu’ici, le bingo est un échec, les verres restent désespérément pleins.
Sans transition, Pujadas abandonne le sujet de la défense européenne et demande à l’ancien président Sarkozy si Alain Juppé est le meilleur rempart contre l’extrême-droite. On ne sait pas trop ce que cette question vient faire là. C’est sans importance. En 15 secondes, Nicolas Sarkozy dégaine un gloubi-boulga de propositions sur le Conseil de sécurité de l’ONU, l’agriculture française et un « Buy European Act ». Le rempart contre l’extrême-droite n’a pas tremblé.
Au tour de Jean-François Copé de réaliser le premier combo de la soirée : en une minute, il rappelle qu’il n’a pas été ministre, qu’il est ici seulement pour dézinguer de l’ancien président et qu’il est « décomplexé ». C’est celui qui le dit qui l’est. Alain Juppé rappelle que lui aussi est de droite, mais pas que de droite : « et du centre » ! Il n’a même pas peur du méchant Macron qui vient de se déclarer candidat, le refoulant à gauche. Macron est de gauche, tremblez, peuple de France ! Enfin, les verres commencent à se vider.
Pujadas fait le service minimum. Ouf !
Jusqu’à 21h15, on a eu peur de devoir changer de métier. Si si, regardez en bas à droite du bingo : « pas de questions sur Takieddine dans Mediapart = on finit les bouteilles et on change tous de métier. » On a bien fini les bouteilles, mais on n’a pas changé de métier. « Avez-vous oui ou non reçu de l’argent liquide de Libye pour financer votre campagne de 2007 ? » Dans son coin, Jean-Frédéric Poisson s’exclame « c’est pas vrai ». Les grands chevaux n’ont jamais été autant montés par un Nicolas Sarkozy outragé, un Nicolas Sarkozy brisé, un Nicolas Sarkozy martyrisé ! Mais un Nicolas Sarkozy libéré par « l’indignité » de la question, « une honte pour le service public ». David Pujadas ne relance pas l’ancien président, mais a fait le service minimum. Ouf.
Arrive le premier intervieweur, un jeune journaliste plein d’avenir. Transfuge de l’ORTF où il présentait le journal en noir et blanc au début des années 1970, à l’époque où même Alain Juppé était encore étudiant, Jean-Pierre Elkabbach débarque pour aborder l’international et l’Europe de manière mesurée, réfléchie et pas du tout anxiogène : « La France est en guerre ». Et on s’étonne que la jeunesse se réfugie dans l’alcool.
À ce moment, on regrette de ne pas avoir mis « ton candidat reprend un journaliste de volée » dans le bingo. NKM reprend Jean-Pierre Elkabbach sur la présence des forces spéciales françaises en Syrie. Ça vaut bien un « Taisez-vous Elkabbach ». Et une gorgée de plus. S’en suit une passe d’armes assez désagréable, qui affiche un méprisable mépris pour Monsieur « Renouveau mais avec une cravate quand même ».
L’ennui nous gagne
Sur l’international, il faut le dire, on s’ennuie un peu. Il n’y en a quasiment pas dans le bingo, comme dans les programmes de la plupart des candidats. Jean-Frédéric Poisson est toujours coincé à 1 minute 17 alors qu’Alain Juppé dépasse les 5, et son joueur commence à s’impatienter. Le candidat du PCD est le seul à soutenir Bachar Al-Assad, à qui il a rendu visite à plusieurs reprises. François Fillon affirme qu’Al-Assad a un « soutien populaire ». Malgré ces superbes énormités, on s’ennuie un peu. Jusqu’au moment où Alain Juppé apostrophe Fillon : « t’as fini ? » On avait un peu décroché du débat, mais ce micro clash nous redonne la super-pêche.
Entendu à la rédac : « Ils disent plein de conneries quand même. » On désespère un peu. Après plus d’une heure à s’hydrater en rythme avec les candidats, l’analyse politique de Haut Courant s’émousse et les candidats nous font remonter le temps grâce à leurs propositions. Suppression du collège unique, service militaire (ou « national »), voire salut au drapeau, Marseillaise obligatoire et uniformes dans les écoles pour Jean-François Copé. Pendant que François Fillon veut redresser la France, on lève le coude et on oublie un peu de l’écouter. Des sondages improvisés sont lancés dans la salle : qui vote ? à gauche ? à droite ? Sans surprise, la moitié des joueurs ne vote peu ou pas. À l’image d’une génération. Étonnant quand on voit des candidats à la présidence de la République âgés de 43 à 71 ans.
Vive le débat d’idées, et vive le journalisme de canapé !
23h, on fait les comptes. Copé a déjà coché 5 cases, les bouteilles se vident. Toutes les cinq minutes, on entend « Qui joue Sarkozy ? Il a été pris en flag d’intox par Le Monde, tu bois ! » Rarement un candidat à la présidentielle aura autant dragué l’électorat âgé : rétablissement du service militaire, suppression des allocations pour les parents d’élèves absentéistes… Et rarement un journaliste aura autant bu devant un débat. Il devient difficile de se concentrer et d’écouter les candidats. Sur les notes prises par les joueurs, on lit « manque de réalisme », « propositions creuses », « faiblesse des idées », « Poisson est muet comme une carpe »…
Allez, on a tenu jusque-là, dernier effort de concentration pour les conclusions des candidats. Poisson balance son texte comme on récite du Prévert à l’école primaire. Juppé nous fait regretter d’avoir enlever « rassembler » du bingo. Mention spéciale pour Jean-François Copé, qui termine son allocution de candidat à la présidence de la République en rappelant qu’il est maire de Meaux, 53 000 habitants. Le renouveau répète ad nauseam qu’il faut de l’audace. Danton s’en retourne dans sa tombe. Sarkozy agite tous les épouvantails à sa disposition. Éthyliquement, la rédaction s’anime une dernière fois, tellement qu’on en oublie d’écouter François Fillon (oups). De NKM, on retiendra « moi, moi, moi. » Drôle de débat que ce grand oral où les candidats se parlent sans vraiment se répondre, chacun préférant se différencier de ses adversaires grâce à des détails infimes plutôt que d’entrer dans une joute d’idées. Pour citer David Pujadas, « vive le débat d’idées ». Et vive le journalisme de canapé !
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