Opération « Grand Coeur » malade

Par le 6 février 2012

Le 26 janvier dernier, une équipe du GIPN* a expulsé au petit matin la vingtaine d’occupants d’un immeuble du quartier Figuerolles. Leur crime? Vivre illégalement dans une structure rachetée par la SERM** dans le cardre de l’opération « Grand Coeur », dont la mission est de réhabiliter le centre-ville de Montpellier. Or, ce logement a été vidé et laissé à l’abandon en attente de travaux qui n’ont pas été effectués en 5 ans. Un phénomène loin d’être isolé et qui gangrène la politique d’accès au logement dans ce quartier populaire.

Ce samedi après-midi était organisé sur la place Roger Salengro un rassemblement militant pour débattre et informer des dérives qu’implique l’Opération Grand Coeur à Figuerolles. Si l’intention initiale de la SERM (rénover et remettre aux normes certains immeubles vétustes) apparait salutaire, son application ne fait pas l’unanimité auprès des habitants du quartier. Ce rendez-vous a permis de parler de la récente expulsion des squatteurs de l’immeuble situé au 31 rue du Père Fabre. L’occasion d’entendre et comprendre leurs revendications.

Une politique d’embourgeoisement au détriment de la mixité sociale

La SERM est l’instance qui mène les actions de renouvellement du tissu urbain prévues par l’opération Grand Coeur, impulsée par la mairie de Montpellier dès 2003. Aujourd’hui, elle s’est déja emparée de plus de 200 logements. Des dizaines d’immeubles ont été rachetés et vidés à Figuerolles sans que les travaux n’aient débuté. Certains permis de construire datent même de 2008, comme c’est le cas du rez de chaussée du logement d’où on été expulsés le 26 janvier les squatteurs, dont Thierry[[Son prénom a volontairement été modifié]] faisait partie.

Pour cet ancien étudiant en science politique à l’université de Montpellier 1, laisser ces immeubles vides est un moyen de contribuer à la hausse des loyers en limitant l’offre de logements par rapport à la demande. Une enquête publiée dans la Gazette en décembre dernier (« Plan Cabanne, fin du quartier arabe? »[[https://montpellier.squat.net/?p=321#more-321]]) explique que la mairie a pour ambition de « déghettoiser » le quartier de Figuerolles afin d’élargir la mixité sociale de ses habitants. A l’image de Thierry, les gens présents ce samedi accusent au contraire la mairie de vouloir supprimer une mixité déja établie, en écartant la partie pauvre du quartier.

« Quand on vante sa ville comme belle, performante, dynamique, dans l’air du temps à l’aide de campagnes publicitaires comme « Montpellier, la ville où le soleil ne se couche jamais »… ce discours finit par se retourner contre la population. La ville veut tellement que tout soit beau et propre qu’elle commence par prendre des arrétés anti-mendicité [[cet arrêt a été acté en 1996 surtout lors des périodes estivales]], puis éloigne les populations les plus pauvres, les plus gênantes, et, il faut bien le dire, les plus arabes. Pourtant tout le monde adore ce quartier tel qu’il est aujourd’hui. »

Cette politique de rachat massif de logements par la SERM s’étend également aux commerces. Actuellement, dès qu’un commercant ferme boutique, la mairie préempte le local si le projet de reprise ne lui convient pas. Pendant ce temps aucune enseigne ne peut s’y établir et les lieux sont laissés en jachère. Selon la Gazette, ce procédé aurait dors et déjà touché une vingtaine de commerces arabes.

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Le refus de la mairie d’accorder des conventions d’occupation précaire :

Avant d’être assigné en justice puis expulsé, le goupe de squatteurs du 35 rue du Père Fabre avait soumis quelques propositions à la mairie. Des projets à chaque fois refusés. Ce groupe réclame notamment l’ouverture d’un espace par le biais d’une convention d’occupation accordée à un collectif. Dans ce lieu vivrait une communauté militante et politique qui proposerait des activités gratuites, alternatives et ouvertes à tous. Cette revendication est latente depuis une vingtaine d’années à Montpellier, mais aucune action n’a encore légalement abouti. Pourtant ce genre de structures existe dans certaines villes (notamment à Toulouse, Dijon ou encore Grenoble).

La possibilité d’établir une convention d’occupation est d’ailleurs prévue par le projet « Grand Coeur ». En théorie, la SERM n’a pas le droit de laisser ces batiments occupés sauf si la mairie lui en fait la demande. Le texte en question permet d’autoriser une occupation provisoire des logements laissés vides par une convention d’occupation précaire. C’est ce que Thierry et ses confrères avaient demandé d’appliquer. En vain.

« Je trouve ça dégueulasse qu’il y ait tout cet espace inoccupé alors qu’on peut y loger des gens. La mairie pourrait établir des conventions d’occupation en lien avec des associations comme la Maison des chômeurs ou Emmaus par exemple. Cela premettrait à des SDF d’y habiter pendant l’hiver. Il y a de la place pour les gens à la rue. Pour moi ce devrait être une évidence! Quand on me dit « montpellier: ville socialiste », je tousse! ».

Depuis leur expulsion, le groupe de squatteurs s’organise comme il peut. Soutenus par des amis et connaissant d’autres squats, ils disposent heureusement de suffisamment de ressources pour ne pas passer ces nuits glaciales dehors.

Ce qui choque le plus dans cette décision d’expulsion en urgence, c’est qu’elle intervient en plein hiver, alors qu’en ce moment le froid est particulièrement vif. Elle pousse des gens dehors et ne leur propose aucune solution d’hébergement. Cette action a soulevé la colère et l’incompréhension de nombreux habitants du quartier. A ce sujet, Julien del Litto, artisan et propriétaire de la rue du Père Fabre s’emporte: « C’est scandaleux d’expulser des gens en janvier. Si l’un d’entre eux meurt de froid, ce sera entièrement la faute de la SERM! ».

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* Groupe d’intervention de la police nationale

** Société d’équipement de la Région montpeliéraine

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à propos de l'auteur

Auteur : Anthony Tejero

Le métier de journaliste m'est d'abord apparu comme une option; une idée en germe parmi d'autres. Un germe qui n'a cessé de croître et déraciner peu à peu mes autres aspirations professionnelles, s'avérant finalement le plus vorace.

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