Présidentielles argentines : l’obésité, un enjeu bien maigre

Par le 11 novembre 2015

Le 22 novembre, les Argentins élisent leur nouveau président. Au choix de ce menu présidentiel, le candidat issu du Front pour la victoire, Daniel Scioli ou Mauricio Macri, de la Proposition Républicaine. Aucun des deux ne propose de solution sanitaire pour lutter contre l’obésité. Pourtant, selon un rapport de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), 30 % de la population était en surpoids ou obèse en 2011. Quatre ans plus tard, le constat est encore plus grave.

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Pays de la viande rouge, des barbecues, du football, du tango. Derrière cette brochette de clichés, un constat alarmant : l’Argentine est le pays d’Amérique du Sud le plus touché par l’obésité. « La moitié de la population argentine est concernée directement par ce problème, dont 26,4% d’enfants », affirme Fàtima López, chef du service nutrition de l’hôpital Pablo Soria de San Salvador de Jujuy. Ce sont concrètement 21 millions d’Argentins touchés. Rien de nouveau, puisqu’en 2011, 30 % de la population était touchée, selon un rapport de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS). Ces chiffres montrent qu’aucune décision politique ou sanitaire n’a été prise pour diminuer ce fléau.

La priorité de la campagne présidentielle n’est pas à la santé publique

La presse locale et nationale tire la sonnette d’alarme fréquemment. Mais le modèle politique argentin semble insensible aux nombreuses conséquences de l’obésité sur la santé publique. Diabète de type 2, hypertension artérielle et autres maladies cardiovasculaires pourraient être évitées par des mesures contraignantes. « La politique ne s’ingère pas dans cette question là. L’obésité est jugée irrationnelle. Pourquoi essayer de guérir une maladie qui n’est pas épidémique ? », soulève Pablo Schencman, sociologue de l’obésité de Buenos Aires. « Surtout qu’ici, les personnes en surpoids sont loin d’être stigmatisées comme dans les cultures occidentales. Avoir des formes en Argentine, c’est aimer la nourriture, être un bon vivant ».

Les programmes politiques des candidats sont concentrés sur une seule chose : l’état économique du pays. « Nous traversons une crise depuis 2001, sans arriver à véritablement renouveler la classe économique. La présidente sortante Cristina Kircher termine son mandat sous le signe des difficultés. La seule obsession du régime aujourd’hui, c’est de régler les problèmes financiers avant-tout », explique Pablo Schencman.

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Pourtant, ces élections présidentielles pourraient apporter du changement. Il prend forme dans le second tour, totalement inédit dans le paysage politique argentin. Les candidats pourraient véritablement se différencier sur des thèmes aussi peu traités que la santé. « La plupart des aides sociales promue par la politique a servi à acheter le vote de la population », souligne Fàtima Lopez.

Les plus pauvres sont aussi les plus gros

L’obésité est un mal subjectif. Même si elle n’est pas épidémique, elle n’en reste pas moins une maladie. L’OMS a reconnu le statut de maladie pour l’obésité en 1997, alors que « la loi argentine reconnaît l’obésité comme une maladie depuis 2010 », s’insurge Fàtima López. Autre paradoxe, « dans le traitement de l’obésité, seule la pose d’un anneau gastrique est reconnue et remboursée comme un cas chirurgical  ». Ce qui semble être le dernier recours en Europe ou aux Etats-Unis, reste ici la solution la plus efficace et accessible pour les plus pauvres. Ce qui caractérise l’obésité chez les pays émergents comme la Chine, le Mexique ou encore l’Argentine, c’est qu’elle touche en particulier les plus pauvres. Ce phénomène récent semble être lié à une série de facteurs convergents.

En premier lieu, « le déracinement culturel  ». Depuis les années 2000, l’Argentine connaît un dépeuplement progressif de ses campagnes vers ses agglomérations. « Les gens sont déracinés par cet exode rural. Ils perdent leur culture, leurs habitudes nutritionnelles », explique Veronica Cruz, préparatrice d’appareil chirurgicaux à l’hôpital de Jujuy. La solution de facilité et peu coûteuse pour se nourrir reste la malbouffe. « Les plus pauvres se tournent vers la nourriture bon marché, les glucides, les acides gras, les plats préparés trop riche en sel. Ces habitudes alimentaires se sont vraiment dégradées », conclut Veronica Cruz. Les produits sains et peu chers sont devenus impossible à trouver dans les grandes villes.

Buenos Aires, agglomération de 14 500 000 habitants, en est l’exemple le plus frappant. « Les produits frais sont introuvables. Ou lorsque vous êtes face à un stand de pommes, il vous donne tout sauf envie d’en acheter », raconte Pablo Schencman, sociologue de l’obésité. L’enjeu est énorme : un tiers de la population argentine qui vit dans la capitale n’a pas accès de manière normale à ces produits.

Il existe pourtant des initiatives locales, soutenues par les politiques provinciales. «Nous avons commencé à Jujuy un traitement personnalisé de l’obésité, avec des groupes de soutien. Nous allons étendre le programme progressivement », espère Fàtima López. Mais sans de réelles contraintes à l’échelle nationale, le seul régime que connaîtront les Argentins prochainement sera l’austérité financière.

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à propos de l'auteur

Auteur : Gaëlle Colin

Transmettre, raconter, décrire, se confronter à d'autres modes de vie. Aujourd'hui je sais qu'un métier synthétise ces envies : correspondante à l'étranger. Au fil de ma vie Niortaise, j'ai embarqué pour une licence d'Histoire à Poitiers. Un semestre en Irlande fait tout chavirer : par le voyage, je me découvre une passion pour la géopolitique, la rencontre de l'Autre. Terminé pour le long fleuve tranquille ! Ma motivation bien au sec, je débarque à Montpellier pour y étudier les sciences politiques. Assoiffée par ma curiosité et intenable sur place, je me teste en presse quotidienne régionale et en radio associative. Le local m'apprend la rigueur du métier, la réalité du terrain. Aujourd'hui, je navigue entre le monde professionnel via mon contrat de professionnalisation avec Ouest-France et la formation avec le Master 2 Journalisme à Montpellier. « L'exercice du reportage implique deux choses essentielles : le terrain et la curiosité. Donc, j'ai l'habitude de dire qu'il n'y a ni grand ni petit reportage et que le reportage se trouve n'importe où en bas de chez soi, comme bien loin ». Anne Nivat, grand reporter de guerre.