« Une Nouvelle Amie » de François Ozon

Par le 7 novembre 2014

Une nouvelle amie, le nouveau film de François Ozon a été présenté en avant-première au 36e Festival du Cinéma Méditerranéen de Montpellier le vendredi 31 octobre. Librement adapté de la courte nouvelle The New Girlfriend de Ruth Rendell, le film raconte l’histoire de Claire (Anaïs Demoustier), une jeune femme qui, suite au décès soudain de sa meilleure amie, va sombrer dans une profonde dépression. Une rencontre aussi improbable qu’inattendue va peu à peu lui redonner goût à la vie. David (Romain Duris), le mari de sa défunte amie, confesse qu’il aime se travestir en femme. Quelque peu effrayée au départ, Claire va lentement se rapprocher de cette « nouvelle amie ».

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Un film politique malgré lui

François Ozon l’affirmait en conférence de presse : « le film sort en salle dans un contexte particulier, celui de l’épanchement des idées réactionnaires, et devient malgré lui un film politique. Ce qui n’est bien entendu pas sa vocation première ». Alors que le livre du polémiste Eric Zemmour, Le suicide Français, dont l’une des thèses est de faire de la sitcom Hélène et les garçons l’un des grands responsables de la féminisation de la société française, caracole en tête des ventes depuis plusieurs semaines, Une nouvelle amie tombe comme un cheveu sur la soupe réactionnaire. Le film risque de s’attirer les foudres de l’écrivain français et d’une bonne partie de la droite chrétienne. Ce dernier ne cherche pourtant pas délibérément à choquer ni même à justifier : il montre, simplement. Sa thèse principale : à l’instar de ces femmes qui portent jean’s et chemises, il existe des hommes qui aimeraient porter jupes et talons sans pour autant renier leur identité biologique ni même leur sexualité. Une sorte de devenir-femme telle que l’a théorisé le philosophe Gilles Deleuze, dont le but est de participer à un processus de reconnaissance et d’émancipation des minorités invisibles. François Ozon l’affirme lui-même : «À un moment, j’avais écrit une note d’intention un peu ironique. Mon projet était que chaque homme en sortant de la projection de ce film se précipite pour acheter des collants, du maquillage ou des robes, non pas pour sa femme mais pour lui-même ! Mon but était vraiment de faire découvrir et partager les artifices féminins aux hommes, les faire pénétrer l’univers du travestissement en douceur, avec tendresse et humour ». Et Romain Duris de surenchérir à propos de la fin du film : «elle est une réponse aux revendications des réfractaires au mariage pour tous. Ils peuvent penser ce qu’ils pensent et faire le nombre de manifs qu’ils veulent, on ne peut pas aller contre ces évolutions. La vie est dans ce mouvement de liberté».

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Le travestissement, une longue tradition cinématographique.

Mais que vaut la vie de ce personnage qui prend plaisir à s’habiller en femme si ce n’est de reprendre à son compte, mais en des termes différents, une ancestrale thématique cinématographique : le travestissement. Dans Tootsie (1982), Sydney Pollack narrait les déboires d’un comédien trop exigeant qui, pour subvenir à ses besoins, auditionnait pour un rôle de femme qu’il finissait par décrocher. Victor Victoria, le film musical de Blake Edwards (1982) racontait l’histoire similaire d’une chanteuse obligée de se travestir en homme pour pouvoir travailler dans des cabarets. Le très populaire Mrs. Doubtfire de Chris Colombus (1993) relatait l’histoire d’un père de famille divorcé qui, privé de la garde de ses enfants, se travestissait en nounou pour approcher sa progéniture. Si la thématique du travestissement est au cœur de ces trois films, une différence importante les sépare pourtant du nouveau film de François Ozon. Dans celui-ci, le travestissement n’a pas de motivation et de légitimité sociale ou professionnelle. Si David – épatant Romain Duris – éprouve le besoin de se métamorphoser en femme, ce n’est donc pas pour dissimuler sa véritable identité et se donner les moyens d’atteindre un objectif quelconque. Le travestissement est donc pour lui une fin en soi alors que, dans Tootsie,Victor Victoria et Mrs Doubtfire, il est un simple moyen. C’est pourquoi l’équation David = Virginia est posée diégétiquement dès le début du film alors que dans les trois autres, elle doit être révélée. La volonté de travestissement est donc portée à nu, montrée pour ce qu’elle est : un fait désormais sociétal qu’il s’agit de porter à la lumière. D’autres se sont risqués à comparer le film de Ozon avec Lawrence Anyways de Xavier Dolan. Mais la différence entre ces deux films est également grande. L’avant-dernier opus du jeune réalisateur québécois nous plongeait dans l’intimité de la relation amoureuse d’un homme, devenu transsexuel, et de sa compagne. Ici, rien de tel. Car les véritables références cinématographiques du film ne sont pas à chercher du côté de la fiction mais bien plus du documentaire. Interrogé sur la façon dont il avait préparé son rôle, Romain Duris confie : «François m’avait demandé de voir « Crossdresser » de Chantal Poupaud et « Bambi » de Sébastien Lifshitz. Cette transsexuelle totalement assumée est très émouvante. Sa féminité ne joue pas uniquement sur le côté sexuel, la drague, le désir. Elle est plus large et intérieure, voire même maternelle. Sa plénitude et sa douceur m’ont beaucoup inspiré pour mon rôle».

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Devenir-femme

Interpréter une femme lorsqu’on est un homme relève de la gageure et exige de la préparation. A ce titre, Romain Duris déclare : « Avec la coach et chorégraphe Chris Gandois, j’ai travaillé ma démarche, mes manières, comment me servir de mon corps. J’ai aussi appris à marcher avec des talons, à m’asseoir à une table en croisant les jambes. Je savais que trouver les bons gestes de Virginia, sans les trop marquer, allait me permettre de ressentir le personnage et sa féminité, de parler avec sa voix, qu’elle soit grave ou plus aiguë, peu importe». Quant à savoir si ce rôle lui a fait découvrir une nouvelle part de lui-même, l’acteur explique que «quand François m’a demandé quel était mon meilleur profil, impossible de lui répondre, mais j’ai adoré me poser ces questions, être conscient qu’un de mes profils renvoyait plus de masculinité que mon trois-quart, où le nez se gomme un peu. Je frôlais des questionnements que se posent peut-être plus facilement des actrices, mais qui font entièrement partie de notre métier, même quand on est un homme. On touche tout le temps une fibre de féminité quand on joue. Le fait de s’abandonner à un personnage, à un regard, d’exprimer des émotions… Depuis vingt ans que je fais ce métier, j’essaie de décaler ma part masculine, mais là, d’un coup, j’ai poussé franchement la porte ! ». Le pari de s’essayer au travestissement était audacieux pour un acteur qui incarne aux yeux de beaucoup l’image masculine et magnétique de l’homme viril. Risqué mais réussi !

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