Vin bio : Et vous, vous faites la différence ?

Par le 19 janvier 2015

Comment distinguer un vin bio d’un vin conventionnel à la dégustation ? Pas évident, en dépit de méthodes de cultures pourtant distinctes… Cinq professionnels de la vigne livrent leur verdict. Edifiant.

Il s’invite de plus en plus souvent dans les verres et grignote des parts de marché au vin conventionnel. En jouant la carte nature, le vin biologique cherche à se démarquer des vins traditionnels… Mais les stéréotypes qui collent à la peau de ce breuvage naturel sont nombreux. Une étude réalisée en 2006 par le programme Orwine*, chargé de formuler des propositions pour une règlementation européenne du vin bio, révèle que ce dernier souffre d’une image négative en termes de qualités gustatives, même si cette tendance décroît. Le produit est en revanche perçu comme pur, sain et naturel. Des assertions justifiées ou simple préjugé ? Le vin bio a-t-il vraiment un goût, une saveur particulière ?

« J’ai eu l’impression de retrouver le goût du terroir« 

Philippe Labro, gérant du site de vente en ligne de vin bio « Vin Singulier », se souvient de son appréhension lors des premières dégustations. « Quand j’ai découvert le vin bio, je me suis demandé s’il n’était pas moins bon que le vin traditionnel ». Un a priori qu’il a réussi à dépasser au fil de ses initiations. « Avec le temps, on arrive à déceler un goût particulier, assez typé, mais c’est difficile de mettre un mot dessus. J’ai eu l’impression de retrouver le goût du terroir. C’est ce que j’appelle un vin vrai, par opposition au vin conventionnel stéréotypé, dans le sens où on peut trouver une différence de goût, au contraire des grands domaines où tous les vins ont le même goût ».

« Le cuivre utilisé pour le traitement peut se déposer sur le raisin »

Ancien œnologue, Virgile Joly se montre plus mesuré. Reconverti depuis 2000 dans la culture de vigne bio après avoir créé son propre domaine à Saint-Saturnin-de-Lucian (Hérault), il pose un double regard sur cette supposée différence de goût. « Dans l’absolu, il n’y a aucune raison, même s’il y a des différences liées à des choix d’itinéraire technique. Un vigneron bio va ainsi privilégier un itinéraire avec moins d’interventions. Le vin est typé mais le raisin est le même, insiste le vigneron. Mais en réalité, il y a bien une différence dans le sens où le cuivre utilisé pour le traitement peut se déposer sur le raisin bio et influencer sa fermentation. » En revanche, à techniques identiques, pas de différences notables, selon Virgile Joly : « S’il y a les mêmes raisins et le même processus de vinification, non ce n’est pas décelable. »

« En bouche, il est possible d’évaluer la teneur d’un vin en sulfites« 

Vigneron bio depuis 1984, Jean-Claude Daumond dresse un constat similaire. Pour cet adepte de la première heure, le taux de sulfites, cet addictif chimique à base de soufre utilisé comme conservateur, est un des facteurs susceptible d’influer sur le goût d’un vin. « C’est une question de doses. En conventionnel, la dose légale pour le vin rouge est de 150 mg par litre. En bio elle est à 100, moi j’en mets 50. Les sulfites n’altèrent pas le goût mais peuvent altérer la santé » prévient le sexagénaire. Barre sur le front, brûlures à l’estomac, des maux bien connus des buveurs. En bouche, il est possible d’évaluer la teneur d’un vin en sulfites. Mais pas au point de distinguer un vin bio d’un vin conventionnel. « Dans une dégustation à l’aveugle, je reconnaitrais les sulfites mais pas un vin bio » confesse le viticulteur, basé au Domaine Folle Avoine à Vendargues (Hérault). Une distinction d’autant plus difficile à apprécier que les méthodes de production ont parfois tendance à se rejoindre entre biologique et conventionnel. « Il y a aussi des vignerons non bio qui travaillent avec très peu de sulfites. Difficile de s’y retrouver lors de la dégustation. »

« Un autre phénomène paradoxal : l’utilisation des levures pour la fermentation« 

Philippe Torquebiau, sommelier au restaurant gastronomique « La Maison de la Lozère » à Montpellier, abonde en ce sens. « Un de nos fournisseurs, le Domaine Léon Barral, vinifie sans soufre et là on a vraiment une différence par rapport à un vin conventionnel. Mais la différence de goût, je ne saurais pas la reconnaître. Elle n’est pas vraiment perceptible sauf si on se dirige sur des vins qui respectent davantage de règles de vinification » analyse le sommelier, qui a sous sa responsabilité une cave de 3 000 bouteilles, dont environ 15 % sont exclusivement biologiques. En somme, moins le vigneron intervient, plus le goût s’en ressent. Philippe Torquebiau soulève d’ailleurs un autre phénomène paradoxal : l’utilisation des levures pour la fermentation. « Certains vignerons utilisent celles qui se trouvent directement sur les raisins, mais on peut faire du bio et rajouter des levures fabriquées en laboratoire et uniformisées. » De quoi accentuer la complexité d’un univers déjà marqué par une pluralité de techniques de production.

« Les échantillons analysés avaient une acidité plus élevée que les vins conventionnels« 

Ingénieure agronome, Valérie Pladeau apporte un éclairage bienvenu. Conseillère en œnologie pour l’organisation interprofessionnelle Sud Vin Bio, elle a participé à une étude sur l’aspect gustatif du vin bio dans le Languedoc-Roussillon, en lien avec le programme « Orwine ». Financé par la Commission Européenne, le programme fournit un point de vue analytique sur la saveur effective du breuvage. « A partir d’analyses de laboratoires, on avait noté que les échantillons analysés avaient une acidité plus élevée que les vins conventionnels. » L’acidité, voilà la différence. Mais le consommateur a peu de chances de déceler cette caractéristique car pour le reste, il n’y a pas de convention. Le goût d’un vin bio reste aléatoire, comme le confie Valérie Pladeau : « Tout dépend du processus de vinification que vous allez suivre. Il n’y a pas un style de vin bio et un style conventionnel car il existe beaucoup de possibilités de vinifier. Cette multitude de pratiques va avoir un impact sur la saveur. D’autant plus qu’en bio, certains poussent les pratiques assez loin en bannissant levures ajoutées et sulfites. »

Pas de différence gustative dans la bouche

Le constat est bien que les saveurs du vin bio sont aussi nombreuses que les méthodes de production. Autant dire que la différence n’est pas perceptible dans le verre. D’autant plus que l’appréciation subjective des consommateurs peut faire varier les perceptions. Tous les interlocuteurs contactés ont d’ailleurs confié leur incapacité à reconnaître un vin biologique lors d’une dégustation à l’aveugle. Pour Valérie Pladeau, la question du goût ne se pose même plus. « Aujourd’hui, les vignerons bio sont capables de faire des produits qui gagnent des médailles dans des concours sans distinction de catégorie. » Autre preuve de cette banalisation du bio, sur la carte des vins de la Maison de la Lozère, les vins bio sont mélangés aux autres sans même que leur particularité ne soit mentionnée. Le vin bio, un vin comme un autre ? Plutôt une question d’éthique qu’une affaire de goût.

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à propos de l'auteur

Auteur : NICOLAS FORQUET

Gros consommateur d’actualité, je m’injecte avec application ma dose quotidienne d’information. Quoi de plus passionnant que de plonger au cœur de l’évènement ? A mon intérêt pour le journalisme politique s’agrège un suivi de l’actualité à toutes les échelles : locale, nationale et internationale. Ma licence en sciences politiques à l’Université Lyon II m’a offert un savoir que je compte bien réutiliser dans ma pratique du journalisme. En quête de belgitude, j’ai passé ma troisième année de licence tout là-haut, à Bruxelles. Cette ville du « Nord » m’a séduit par son caractère chaleureux et son dynamisme, caché derrière son calme apparent. En intégrant un master 1 de sciences politiques dans la capitale des Gaules, j’ai décidé, en parallèle, de pratiquer une activité journalistique afin de m’immerger dans ce milieu tant fantasmé. C’est ainsi que j’ai exercé pour le quotidien régional Le Progrès en qualité de correspondant local de presse, pendant une année. Ce que j’en retiens ? Un univers passionnant et une pratique assidue du terrain, au contact de personnalités diverses, élus, acteurs du milieu culturel ou responsables associatifs. Cette expérience enrichissante m’a conforté dans mon souhait de m’orienter dans le monde de la presse et des médias. Ce Master 2, je le vois comme une opportunité destinée à assimiler les techniques propres à ce métier et à me donner les clés pour ouvrir les portes du journalisme professionnel.