«L’Hérault : l’un des départements les plus riches en matière d’espèces animales et végétales»
Philippe Martin, vous pratiquez la photographie naturaliste et subaquatique depuis plus de quarante ans. Avant d’aborder l’exposition « l’Hyper Nature », pourriez-vous nous parler de votre rôle d’écologue?
C’était au lycée Joffre en 1970. À l’époque, l’écologie n’existait pas dans la région. J’ai plutôt passé mes quinze premières années, de vingt à trente-cinq ans, à travailler dans le sport. J’ai rejoint les écologistes de l’Euzière (association de défense de l’environnement basée à Prades-le-Lez (Hérault), ndlr) en 1990, pour passer quatorze ans chez eux. J’écrivais pas mal d’ouvrages sur la région, fait des milliers de ballades naturalistes, des centaines de conférences etc. C’est un métier à plein temps, de la maternelle à la fac, en passant par tous les public.
En tant que montpelliérain, comment jugez-vous le potentiel écologique de la ville et ses environs?
Mon domaine, ce n’est pas tellement la ville, c’est plus l’Hérault. En France, c’est peut-être l’un des trois ou quatre départements les plus riches en matière d’espèces animales et végétales. Tout cela est dû à l’incroyable diversité géologique des affleurements rocheux, notamment dans le centre-Hérault qui montre des paysages de toutes les couleurs. C’est ce qui donne la végétation la plus luxuriantes, mais aussi des faunes très diverses.
Vous êtes également illustrateur. D’où est née cette vocation pour l’image?
Au quatrième étage d’un immeuble des Arceaux en 1970. Dans ma salle de bain se développaient des films noirs et blancs de mes premières macro-photos de grenouilles et de serpents quand j’avais quinze ans. Maintenant, en temps qu’écologue, l’image me sert énormément pour les livres, pour les conférences. Sur le plan pédagogique, j’arrive dans les écoles avec des immenses panneaux d’animaux géants, nets et tout en relief.
«L’hyper focus : un truchement de quatre techniques»
L’exposition « Hyper Nature » était donc un moyen d’allier deux passions finalement…
Absolument. C’est même plutôt quatre passions. Le procédé « hyper focus » qui donne ces images numériques en fausse 3D, est le truchement de quatre techniques : la photo, la peinture naturaliste, la nature et la maîtrise des outils technologiques de dernière génération. Mais attention car au final, on parle de peintures numériques ! D’ailleurs, je n’ai pas le droit de participer à un concours photo du fait que c’est un trucage qui occasionne 96% de réparations. En terme de temps, la plus grosse partie, c’est la peinture numérique. On doit donc parler « d’images numériques » ou « d’images composites numériques », mais pas de photo.
L’hyper focus, c’est justement le nœud de vos travaux actuellement exposés à Pierrevives. En quoi consiste concrètement cette pratique ?
Il y a six ans, le photographe montpelliérain Frédéric Jaulmes me prête un logiciel dont il ne voulait pas se servir et me dit : «Tiens, regardes ce que tu peux faire avec ça.» Ce sont des logiciels que des millions de scientifiques, de techniciens et photographes emploient sur la planète. Le principe est de prendre, comme au scanner, un objet, un animal, une plante. Quand vous êtes très près de l’objet à photographier, vous avez très peu de profondeur de champ : un, deux ou trois millimètres maximum. Donc, vous découpez l’objet du museau jusqu’au bout de la queue en petites tranches de netteté de trois millimètres. Ensuite, le logiciel de « focus stacking » (empilement de mise au point, ndlr) va coller les pixels nets de chaque photo floue pour reconstituer une sorte de statue, une sorte de matrice en 3D. Cela donne un effet de relief assez saisissant. Grâce à ma technique, j’outrepasse la physique optique et je retravaille tout avec un pinceau numérique sur une tablette graphique.
C’est un procédé novateur qui vous a notamment permis de remporter le grand prix européen de l’image numérique en 2012. Aujourd’hui, le procédé s’est-il propagé dans l’univers de la photographie ?
Heureusement, pour mon éditeur et moi, non (rires). Les chinois et les américains ne s’y sont pas mis. C’est incroyable parce qu’on peut vérifier sur Google que les seuls livres « Hyper Nature » sont toujours les seuls sur le marché mondial. C’est très cool (rires). D’ailleurs, je prépare un Hyper Nature sous-marin pour la fin de l’année, pris dans la mer des Caraïbes, dans le Pacifique et la mer Méditerranée. C’est justement dans la Méditerranée que j’ai fait mes premiers essais, sur la corniche de Sète et l’étang de Thau. J’ai placé le système hyper focus dans un caisson étanche avec un pied en inox absolument nouveau.
«La protection de l’intégralité des paysages plutôt que celle de quelques espèces dites protégées»
Lors de la réalisation de vos photos, comment avez-vous procédé sur le terrain? On imagine que photographier la faune nécessite une grande discrétion…
L’idée est de prendre 80 photos sans que l’animal ne bouge. Il faut donc avoir une certaine connaissance des réflexes de chacun d’entre eux. Vous avez les papillons qui s’envolent quand on se place à trois mètres d’eux. D’autres qui se laissent photographier quand on se tient à dix centimètres. Pour les reptiles, par exemple, il vaut mieux les photographier le matin quand ils sont encore engourdis, car dès que la température augmente, leur métabolisme s’accélère incroyablement. Comme j’ai commencé mes premières collections d’insectes à sept ans, je suis censé connaître tous les groupes d’animaux, mais aussi où trouver telles espèces d’insectes à tel endroit et à telles époques.
Pourriez-vous nous donner d’autres exemples?
Une coccinelle, c’est deux centimètres de distance. Une couleuvre de Montpellier, un mètre. Globalement, ça va de la macro-photo jusqu’à la proxi-photo qui embrassent des micros-sujets de quarante à cinquante centimètres !
Quels messages souhaitez-vous adresser au grand public par le biais de cette exposition?
L’utilité de la connaissance, ou de l’admiration, de la contemplation, qu’on peut émettre à l’endroit de ces images ou de ces êtres vivants, se situe dans la seule gestion du territoire. La protection de l’intégralité des paysages plutôt que la protection de quelques espèces dites protégées qui empêchent justement de parler de la multitude des autres.
Propos recueillis par Jérémy Lochi pour Radio Campus Montpellier et Haut Courant.
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