À mi-chemin entre Verdun et un teknival
Pour bien comprendre, il faut s’imaginer une zone fraîchement déboisée longue d’environ 2 kilomètres et large de 400 mètres. Un décor qui rappelle étrangement les images de Verdun. Des « poilus » d’un autre genre occupent les positions. En aval, lieu où devait être construit le barrage, des monticules de terre et d’énormes tranchées constituent désormais « le fort ». C’est ici que le jeune militant écologiste Rémi Fraisse a trouvé la mort. Un grillage parsemé de messages de soutien bloque l’accès à ce qui est considéré aujourd’hui comme un sanctuaire. Au-dessus, les camps « Zoulou » et « L’altitude » montent la garde. Des tours de guet surveillent tous les accès de la ZAD. En remontant le Tescou, on tombe sur « Gazad ». Évacuée il y a plus d’un mois, la zone est en train d’être réinvestie. Symbole de cette reprise, un arbre abattu a été replanté et trône seul, orné d’un nœud papillon. En chemin, on peut croiser d’autres « villages » aux noms folkloriques comme « L’île Maurice », « La Maison des Druides » ou bien encore « La Maison des Bergers ».
Au bout, c’est « la base arrière ». La métairie neuve, une ancienne ferme, est la seule construction en dur. Elle est en pleine rénovation. La métairie, c’est un peu le QG des zadistes. Elle leur sert à la fois de dortoir, free-shop, pharmacie, cuisine collective, garde-manger et douche. Tout autour pullulent tentes Quechua, camping-cars, abris en bois en tout genre. Il s’y trouve même des jardins et des poules. Un point infos a été installé pour accueillir les journalistes, les nouveaux arrivants et pour renseigner la communauté.
Architecture d’une communauté hétéroclite
Il est difficile d’estimer le nombre de zadistes qui vivent quotidiennement sur le site. Eux-mêmes ne le savent pas. Le nombre change tous les jours mais il se stabilise entre 100 et 200 personnes. Certains viennent passer quelques jours, d’autres sont là depuis longtemps. Outre l’emplacement sur lequel ils s’installent, les opposants au barrage se donnent des noms de « tribus ». On peut croiser « les anarchiques », « california », « les pirates », « chez mémé » ou « bidonville ». Tous s’appellent « hé copain » pour ne pas dévoiler leurs noms. La communauté n’a pas de chef. Des équipes spécialisées s’occupent de la communication (Auto-média), des droits (Legal Team) et des blessures (Medic Team). Les informations sont transmises par radio, talkie-walkie, téléphones et lors des Assemblées Générales. Véritables centres de décision, les Assemblées sont tenues tous les deux ou trois jours avec des sujets différents à chaque session. Camille nous explique : « Chacun travaille suivant sa spécialité, son envie, les plus qualifiés se contentent de donner des indications. Par exemple, aujourd’hui la mission principale consiste à dégager les branches de bois qui bloquent le débit naturel du Tescou; hier c’était de construire des toilettes ». Ici tout le monde s’appelle Camille, une précaution de plus.
Pourtant, la gestion de la ZAD ne fait pas l’unanimité. Les zadistes doivent composer entre eux et certains sujets divisent la communauté. Un autre Camille fait état d’un de ces débats : « Il y a différents modes de pensée sur la ZAD. Nous avons eu de longues discussions avec les Vegans (contre l’exploitation animale, NDLR) qui ne voulaient pas que l’on enferme les animaux, notamment les poules. Or, beaucoup de gens ont des chiens qui se baladent en liberté et peuvent les blesser ». Aussi surprenant que cela puisse paraître, certains manifestants pensent qu’il ne faut pas s’installer sur le long terme pour laisser la faune et la flore réinvestir naturellement les lieux.
L’hiver approche à grands pas
Si certains dorment dans des maisons fabriquées avec des planches de bois ou du torchis, d’autres se préparent à passer l’hiver dans leur tente. Les nuits sont de plus en plus froides et humides, surtout au bord de la rivière. Un zadiste confie dormir à deux mètres de hauteur, dans un arbre : « pour le moment je n’ai pas froid, je dors dans deux duvets. Si ça se gâte, on a un important stock de couvertures ». Il faut dire qu’ils ne sont pas seuls. Tous les jours, des gens viennent leur livrer du matériel divers et varié.
Aujourd’hui, c’est Paul et son fils qui amènent « pas grand-chose, juste quelques planches de bois, histoire d’aider ». Une solidarité qui fait chaud au cœur des occupants : « On ne fait quasiment jamais de courses, sauf pour le gasoil. On vit grâce aux dons et au troc ». Une liste des besoins est tout de même en ligne sur internet. Médicaments, matériel de construction, nourriture, tout est bon à prendre pour améliorer les conditions de vie. Même rudimentaires, elles n’effraient pas les nouveaux habitants.
Camille conclut : « Même avec l’hiver, hors de question de partir, c’est devenu notre lieu de vie ».
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