Chronique d’un laborieux passage à l’Ouest :
De l’autre côté du mur se déroule dans le Berlin des années 1970, divisé en secteurs d’occupation. La capitale est une enclave en territoire soviétique et le théâtre d’incessantes intrigues entre les services secrets occidentaux et ceux de la terrible STASI (Staatsichereit : service de sécurité intérieure) de la RDA pilotée par l’URSS. Dans ce décor, Nelly, jeune veuve d’un scientifique russe, et son petit garçon Alexei quittent Berlin-Est pour émigrer à Berlin-Ouest. Ils passent de l’autre côté du rideau de fer, non sans mal, via le fameux check-point Charlie, où occidentaux et communistes se toisent en chiens de faïence. Jusqu’alors le scénario est assez proche à tout point de vue avec le Barbara de Christian Petzold. Le film de Christian Schwochow se démarque quand Nelly et Alexei atterrissent dans un centre d’hébergement d’urgence de Berlin-Ouest tenu par les Américains. Afin d’obtenir le passeport pour vivre à l’Ouest, il leur faut montrer patte blanche et paraître dociles lors des interrogatoires des services secrets américains sur leur vie antérieure de l’autre côté du mur. Nelly entame un marathon administratif durant lequel elle se retrouve confrontée au passé qu’elle tente d’oublier. Mais l’intrigante personnalité de son ex-compagnon russe, Vassili Batalov, va resurgir et constituer un handicap à l’obtention du précieux sésame pour le monde occidental…
Berlin-Ouest un eldorado incertain :
Loin des clichés manichéens classiques pro-Ouest, le film De l’autre côté du mur rétablit un certain équilibre dans la perception des deux camps antagonistes. Le réalisateur tend à montrer que les Alliés aussi savaient faire preuve de rudesse et de bureaucratie kafkaïenne. Ainsi, l’univers des personnages est avant tout ce centre d’hébergement, s’apparentant plus à un camp de prisonniers qu’à un centre de vacances. Les aspirants à une nouvelle vie y sont soumis à rude épreuve : promiscuité, lourdeurs administratives, intimidations, pressions, etc… Le camp s’avère être un précieux centre de renseignements pour les services secrets américains qui profitent de ce transit de population pour soutirer des informations aux personnes en rétention sur le camp adverse. Finalement, les migrants retombent dans un macrocosme semblable à celui qu’ils abhorrent et viennent de quitter : celui de la RDA et de son effrayante STASI. Mêmes interminables interrogatoires, interrompus par la secrétaire portant le café (à l’Est comme à l’Ouest !), mêmes formulaires à remplir, mêmes attestations à produire, un véritable calvaire bureaucratique. Une fois les barrières administratives franchies les « Ossis » (surnom des habitants de la RDA, dérivé du mot « Öst » : Est) sont confrontés à la difficulté de s’insérer dans le monde professionnel, leurs diplômes méprisés par les « Wessis » (habitants de l’Ouest, dérivé du mot « West »). Face à ces obstacles, certains migrants en viennent même à retourner à l’Est.
Ce climat de suspicion perpétuelle entraîne Nelly, chimiste à l’esprit pourtant rationnel, dans une logique de paranoïa aiguë qui va l’amener à se méfier de tout le monde, y compris de ses amis. Le réalisateur Christian Schwochow rend bien compte de cette ambiance oppressante en optant pour de longs plans serrés dynamiques sur les personnages. Seul écueil, cette technique efficace finit par peser sur le spectateur.
Un film criant d’actualité :
En plus de commémorer le quart de siècle de la chute du mur, De l’autre côté du mur met en exergue des actualités brûlantes : celle de l’asymétrie de développement toujours visible entre Est et Ouest, et plus largement la rupture entre l’Occident et la Russie poutinienne. Le film souligne en creux cette fracture germanique fratricide, toujours perceptible, à travers le parcours heurté de Nelly. En effet, malgré des efforts financiers colossaux consentis par l’Allemagne (80 milliards d’euros), les cinq « Länder » de l’Est, formant l’ex-RDA, peinent encore économiquement : bas salaires, taux de chômage élevé, faible attraction économique. Preuve que l’on n’efface pas ainsi 43 années d’occupation communiste.
Durant la période du rideau de fer, Berlin a cristallisé les rivalités Est-Ouest et été le théâtre d’opérations retentissantes comme lors du blocus de la ville de 1948 à 1949, passages clandestins des check-points, échanges de prisonniers… De quoi alimenter l’imaginaire des scénaristes. De l’autre côté du mur restitue à merveille cet implacable univers de la Guerre Froide où l’activité d’espionnage entre services secrets étrangers faisait partie du quotidien. Les fans de John Le Carré ou de Graham Greene retrouveront ici la litanie de pratiques propres aux services de renseignements : chantages, filatures, dossiers personnels, pressions psychologiques, dénonciations, cadavres factices, accidents dissimulés, vrai-faux agent infiltré, etc. Impossible de savoir à qui se fier. Des agissements qui semblaient appartenir à un passé révolu et qui, malheureusement, reviennent sur le devant de la scène sur fond de crise ukrainienne et de révélations d’écoutes (affaire Edward Snowden). Signe que le schisme entre Occidentaux et Russes est loin d’avoir trouvé son dénouement.
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