GRAND ENTRETIEN : Toledano et Nakache, pour le meilleur et pour le rire

Par le 26 octobre 2017

Le succès de leurs comédies ne les a pas rendus Intouchables. Rencontre avec les « patrons » du cinéma populaire, toujours soucieux de se renouveler.

Ces deux-là n’ont que deux ans d’écart et une relation très forte. Olivier Nakache, 44 ans, précise qu’il est le cadet à qui Eric Toledano demande « de ranger sa chambre ». Leurs comédies sont remplies d’humour mais ils portent aussi en eux la joie de vivre et le désir de rire de tout. Ils sont complices et complémentaires. Leur rencontre – insolite – en colonies de vacances a donné le ton à leurs comédies. Elles sont éprises d’une vision optimiste d’un vivre ensemble mais surtout basées sur des aventures humaines. Les petits boulots et les expériences vécus ensemble inspirent tous leurs films.

Eric Toledano revient sur leurs débuts et leur volonté de « s’attaquer comme des alpinistes à ce monde du cinéma qui (leur) était totalement étranger ». Leurs parents auraient alors préféré les voir dans un travail « plus classique », pas sûr qu’ils aient toujours la même opinion à ce sujet après les nombreuses réussites. Leur duo est une force et leur permet de « vivre ces moments en synergie ». Olivier Nakache appuie sur l’importance de travailler en binôme : « C’est très motivant de trouver un alter ego dans l’écriture. Chacun est le public de l’autre ». Ils ne cessent d’ailleurs de se remettre en question et ne prennent jamais le succès pour acquis.

De l’art d’être humble et de relever de nouveaux défis

En 1999, ils avaient présenté leur premier court métrage Les Petits souliers au Cinemed et s’étaient confrontés au rire du public pour la première fois. Cette année, ils reviennent avec une rétrospective de leur oeuvre. L’occasion de voir tout le trajet parcouru. Mais ils assument l’étiquette de réalisateurs depuis peu de temps. Eric Toledano en témoigne par une phrase qu’il avait dite à Omar Sy lors de leur première rencontre : « Si tu n’es pas acteur, on est pas plus réalisateurs ». Leur humilité n’est en rien de la fausse modestie puisqu’ils n’ont pas pris la grosse tête après tous ces succès. Jusqu’à un certain nombre de films réalisés, les deux acolytes se disaient « plus spectateurs que réalisateurs ». Les deux hommes ont d’ailleurs fait preuve d’un effacement médiatique face à un Omar qui « est solaire et a pris beaucoup de lumière » mais ils se réjouissent de cette situation. Et même, s’ils ont maintenant plus d’expérience et de confiance en leur travail, Eric Toledano affirme : « au bout de six films (il a) encore le sentiment d’apprendre énormément sur les fonctions que peuvent avoir les dialogues… et sur (eux)-mêmes aussi puisque en même temps (ils) se dévoilent, c’est automatique ».

Olivier Nakache révèle les bénéfices de cette pression perpétuelle : « C’est elle qui nous tient éveillés et nous montre que rien n’est gagné, qu’on est pas encore arrivés ». Eric Toledano approuve : « Ces succès ne vous garantissent rien sur la suite ». Dans Le Sens de la fête, Jean-Pierre Bacri, interprétant Max le traiteur, clame : « Je joue ma vie à chaque soirée », eux jouent leur vie et leur carrière à chaque film. Après les 19,5 millions d’entrées pour Intouchables, ils ont ensuite eu plus de liberté dans le choix des thématiques de films. Mais Olivier Nakache se souvient qu’ils ont reçu « cette vague gigantesque sur la gueule » et même s’ils en ont profité un temps, ils ont continué à avancer et à se mettre en danger.

Ils ne recherchent pas la facilité, bien au contraire, Eric Toledano rappelle cette phrase « l’art naît de contraintes et meurt de liberté » (André Gide, ndlr) et précise que « parfois, même de façon masochiste, certains recherchent la difficulté ». Les contraintes permettent de révéler leur créativité lorsqu’ils font face à des défis.

Le Sens de la fête ou la métaphore de « la France au travail »

Leur nouveau film, Le Sens de la fête, est d’ailleurs une métaphore d’un plateau de cinéma et des difficultés rencontrées par une équipe de tournage. Eric Toledano insiste sur leur volonté de montrer les techniciens et organisateurs derrière les mariages et de braquer la caméra de « l’autre côté du miroir ». Au-delà du contexte du mariage, c’est surtout « un film sur la France au travail, sur comment on avance aujourd’hui en équipe dans un monde un peu anxiogène, pleins de difficultés et de violences mais aussi de réseaux sociaux et de changements technologiques ». Finalement, c’est le récit de l’adaptation à un monde en changements. Ils ont désiré dresser « une petite radiographie de la France telle qu’on la perçoit aujourd’hui ».

Les deux réalisateurs ont pour habitude d’évoquer dans leurs comédies des thèmes, pour la plupart graves tels que la tétraplégie ou l’immigration, sur un ton léger. Ce sont deux personnes engagées dans la vie. Ils révèlent les grandes lignes de leur prochain film, en écho à leur engagement qui dure depuis 20 ans. En effet, ils sont « investis dans des associations qui s’occupent de jeunes adultes et d’enfants autistes. Et, il est possible que (leur) prochain film traite d’une histoire dans ce contexte-là ». Ils mettraient ainsi la lumière sur les encadrants, dont on ne parle pas souvent, oeuvrant pour intégrer ces individus dans la société. Olivier Nakache précise « qu’il n’y a pas beaucoup de place pour les gens un peu différents ». Ils souhaitent continuer « d’essayer de faire rire les gens avec des sujets sociaux ».

Du rejet des étiquettes et d’une volonté d’être « populaire »

Souvent appelés les « patrons de la comédie populaire », les deux réalisateurs rejettent cette habitude de toujours coller des étiquettes. Eric Toledano se souvient : « à l’époque quand on était les ‘champions du box office’, le lendemain on pouvait aussi être ‘les champions de ceux qui se plantent’, si le film n’était pas réussi. On est pas fan des gens qui nous réduisent. On aurait pu être réduits à « box office » après Intouchables. Alors qu’on a réalisé Samba, un film sur les sans-papiers, on nous a dit ‘alors maintenant vous êtes politiques’ » s’agace Toledano. « Mais patrons, je veux bien après tout » plaisante-t-il.
Les réalisateurs préfèrent se concentrer sur leur métier et leurs films populaires. « Populaire à ne pas prendre au sens péjoratif » précise Toledano. Leur but est d’être vu, de s’adresser à tous et de toucher un maximum de personnes.

Les cinéastes parfois comparés au réalisateur Robert Altman sont flattés par cette analogie. « Elle est très valorisante » admet Toledano. Pour lui, la ressemblance entre leurs deux manières de faire du cinéma peut être la « façon d’écrire beaucoup de personnages sans jamais les abandonner en milieu de route ». Eric Toledano revendique l’idée de ne pas ouvrir une porte « sans se demander où (il) emmène le spectateur ». Ils s’entourent souvent de la même bande de potes avec Omar Sy, Jean-Paul Rouve, Joséphine de Meaux, Hélène Vincent, Jean Benguigui, Vincent Elbaz, ou Lionel Abelansky. Mais ces choix sont humains et, même si les affinités comptent, tout dépend des rôles. Olivier Nakache confie avoir « envie de découvrir d’autres acteurs, des gens (qu’ils ont) adorés dans d’autres films pour élargir encore plus la famille ».

Billy Wilder : « La comédie c’est de la tristesse déguisée »

Ils reviennent à la comédie populaire avec leur nouveau film, Le Sens de la fête. Ce retour aux sources rappelle leurs premiers courts et longs métrages Les Petits souliers ou encore Nos jours heureux. Après avoir réalisé des films « graves », ils ont eu la volonté et le besoin d’un film « pour rire ». « On veut détendre les gens, on pense qu’ils en ont besoin. Et nous-mêmes on avait besoin de se détendre » confesse Toledano. À l’instar de Billy Wilder, réalisant une comédie lorsqu’il était triste, il perçoit dans la comédie « une tristesse déguisée ». Eric Toledano explique que « derrière le rire, il y a le pleur », puis précise « qu’on a vécu des années très difficiles en France et en Europe, qu’on les vit encore, avec un climat anxiogène avec la montée des populismes, les attentats… Est-ce que ce n’est pas l’humour qui va nous sauver ? L’humour c’est la relativisation par excellence, la dédramatisation ». Dans Le Sens de la fête, cette phrase de Beaumarchais : « Je me presse de rire de tout, de peur d’être obligé d’en pleurer », résume bien l’état d’esprit des deux réalisateurs. Dans leurs films, rires et pleurs coexistent toujours. Eric Toledano insiste sur « comment le rire peut nous sauver de certaines situations ». Eux-même sont partis « se réfugier dans la comédie pour avaler ce moment qui était dur à digérer ». Bref, rire pour garder le sens de la fête.

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à propos de l'auteur

Auteur : Clara Mure

Montpelliéraine de souche et italienne de coeur, je reste avant tout une enfant du monde et de la génération Erasmus. Issue de la Science Politique mais aussi du monde de l’Esthétique, j’ai toujours voulu appliquer ce double cursus aux mots d’Albert Camus qui m’ont toujours animée « Un journal c’est la conscience d’une nation ». En tant que journaliste, j’allais ainsi devoir faire preuve de « contact et de distance », comme l’indiquait Hubert Beuve-Méry, afin de devenir l’intermédiaire entre le peuple et l’État, le prescripteur de l’actualité et le garant de notre Démocratie. Une des interrogations les plus primaires dans notre existence est la suivante : « Que voudras-tu faire plus tard ? », plus tard sous-entendant au moment de notre vie d’adulte où nous devons déterminer du rôle que nous voulons tenir au sein de la société. John Lennon leur avait répondu « heureux », alors qu’aux yeux de tous il n’avait pas compris la question, il semblait déjà détenir le sens de la vie. Je peux affirmer que l’écriture, mais surtout sa portée, est certainement la clef de mon bonheur. Écrire pour croire, écrire pour comprendre, écrire pour révolter, écrire pour exister. Être journaliste a toujours été pour moi une évidence, car au-delà d’une vocation, c’est inscrit dans mon ADN. En devenant journaliste, je confirme la vulgate nietzschéenne : « Deviens ce que tu es ». Et en assumant pleinement ce que je suis, je donne un sens à ma vie avec pour priorité, d’être utile. Engagée, je ne saurai que l’assumer. Pacifiste, résolument, j’utilise ma plume comme d’une arme pour combattre l’obscurantisme et défendre mes idéaux. Ma conviction : que des mots sélectionnés avec raison aient bien plus de poids que le sang sur leurs mains. Seule l’encre salira les miennes mais avec la ferme intention qu’elle n’ait coulée en vain. Je vous parlerais bien des enseignements de la Science Politique, des doctrines qui forgent et de celles qui font réfléchir, de celles qui animent et des autres qui désarçonnent ; Mais surtout de ces Hommes qui ont marqué l’Histoire du poids de leurs convictions et du vacarme de leur volonté ! Je vous parlerais bien du goût de l’aventure, de l’apologie de la rencontre, de l’éloge du risque et de l’oraison de l’expérience. Mais Philippe Bouvard nous a un jour soufflé que « le journaliste doit avoir le talent de ne parler que de celui des autres », alors je vais m’y entreprendre dès maintenant.