Après votre carrière de journaliste (1), pourquoi vous êtes-vous engagé aux côtés de Nicolas Hulot ?
J’ai pris ma retraite professionnelle. J’ai continué à titre personnel en fonction de mes convictions au sujet de la crise écologique. A la suite d’un livre que j’ai publié en 2005 (2), j’ai rencontré Nicolas Hulot. Nous avons travaillé ensemble. Cela s’est engagé sur Le Pacte écologique, la campagne présidentielle puis le Grenelle de l’environnement. Cela m’a paru être une démarche plus efficace que celle des Verts du point de vue de l’audience.
Comment passe-t-on du trotskisme à la passion de l’écologie ?
Par l’observation des faits, des réalités, cela vient de la pratique de mon métier de journaliste. Ces dernières années, dans mes voyages, mes expériences, mes rencontres, mes lectures, dans mon travail, j’ai vu monter la thématique écologique comme quelque chose d’essentiel qui bouleversait la représentation que je pouvais avoir du monde, qui exprimait d’autres enjeux qui sont devenus pour moi prioritaires. Cela n’a pas été une conversion du jour au lendemain ! Mais une prise de conscience de plus en plus vive. Et la crise écologique approfondit la problématique de solidarité, de justice sociale.
D’où vient cette idée du Grenelle de l’environnement ?
C’est une proposition des associations de défense de l’environnement regroupées autour des objectifs du Pacte écologique. Nous avons rencontré les candidats à l’élection présidentielle avec Nicolas Hulot et nous leur avons proposé, s’ils étaient élus, d’appliquer le Pacte écologique en organisant une grande négociation sur la politique française en matière environnementale. Il se trouve que c’est Sarkozy qui a été élu, on a donc discuté avec lui.
Pourquoi le réseau « Sortir du nucléaire » n’a-t-il pas été impliqué dans les négociations ?
Il n’a pas voulu ! Ce réseau a posé l’abandon du nucléaire comme préalable à toute discussion avec les pouvoirs publics et les autres collèges (3). Nous n’avons pas posé ce préalable parce que nous savions que dans ce cas, il ne se passerait rien. C’était une question de stratégie. Le gouvernement n’a écarté personne, il a pris les associations que nous avons proposé, le groupe de neuf associations (4) avec lequel les discussions avaient eu lieu durant la campagne présidentielle.
Ne craignez-vous pas que les conclusions du Grenelle ne soient remises en cause lors de leur traduction législative ?
On a une vigilance permanente, c’est une bataille permanente. Le Grenelle est un compromis entre toutes les forces vives représentatives de la société française, les entreprises, les salariés, les associations… La négociation a accouché de 273 mesures qui nous semblent importantes, qui nous paraissent engager une démarche écologique différente. Maintenant, il faut que ces mesures soient confirmées par l’Assemblée nationale et le Sénat et ensuite appliquées concrètement par l’administration, ce qui n’est pas gagné.
Pensez-vous que l’UMP est assez mûr écologiquement pour transformer en loi les accords trouvés au moment du Grenelle ? Vous avez déclaré à Médiapart que Fillon voulait la peau du Grenelle…
Je pense qu’il y a une énorme résistance culturelle de l’ensemble des forces politiques à cette révolution écologique. L’ensemble des partis politiques européens est vacciné à une autre logique. Ils viennent de la révolution industrielle, n’ont que le mot de croissance à la bouche. La question écologique oblige à poser les choses d’une manière différente, nous ne sommes plus dans une problématique de répartition de l’abondance mais dans une problématique de partage de la rareté des ressources, de l’énergie… On est dans une logique du moins, non pas dans une logique du plus. Quand la gauche était au pouvoir, les réactions étaient les mêmes. Cela renvoie à un positionnement, une certaine représentation du monde, à des valeurs, des croyances… La distinction droite/gauche existe sur un certain nombre de points mais par rapport à ce que je considère être l’enjeu principal aujourd’hui, le creuset identitaire de la gauche et de la droite est identique.
Que pensez-vous de la méfiance de certaines associations écologistes qui ne voient dans le Grenelle qu’une simple opération de communication ? Un contre-Grenelle de l’environnement a même été organisé…
Je crois qu’à partir d’un moment il faut s’affronter avec le réel et le réel, c’est ce gouvernement ainsi que les forces syndicales, patronales… On a discuté avec l’ensemble de la société, alors, évidemment on a pris des risques mais on voulait engager une prise de conscience, une démarche transitoire, pas déclencher une révolution. C’est toujours la même question de la réforme ou de la révolution, du programme maximum ou d’un programme transitoire. Nous sommes engagés dans une démarche transitoire. Les proclamations ne suffisent pas. Il ne suffit pas de dire qu’il faut demain une société écologique pour la construire. Ça passe par des compromis, c’est une question de rapport de forces.
Comment gérez-vous la contradiction entre le gouvernement actuel qui ne jure que par la croissance et votre appel à une société de décroissance dans votre livre « Comment ne plus être progressiste… sans devenir réactionnaire » ?
Toutes les mesures que nous avons proposé au Grenelle sont des mesures de décroissance, sur les questions de consommation, de flux de matière et d’énergie. Nous plaidons pour une décroissance équitable, c’est une nécessité. Le Grenelle, c’est la mise en œuvre de mesures de décroissance, pas d’une décroissance généralisée, proclamatoire. Ce sont des réformes progressives qui tracent un autre chemin. Moins de circulation automobile, plus de circulation en train, moins de produits phytosanitaires et plus de produits bio de qualité…
Que pensez-vous de la réaction des Verts qui ont estimé que le Grenelle était mort après le vote de la loi sur les OGM à l’Assemblée nationale ?
Les Verts, ils disent depuis le début que tout est mort et finalement ils y viennent, ça les regarde. Tout d’un coup, ce pour quoi ils militent depuis 30 ans a commencé à voir le début d’une résolution. Ils voient passer le train sans en être. Il y a du dépit dans tout ça. On peut être critique sur la loi mais le fait est là, il n’y a plus d’OGM en France au jour d’aujourd’hui, on y est arrivé. C’est simple, on avait deux possibilités pour les OGM : ou bien on se battait front contre front en exigeant l’interdiction totale des OGM, ou bien on élaborait une loi qui fait que la culture des OGM devienne de plus en plus difficile. Aujourd’hui, il n’y a plus de culture d’OGM en France. Il y a certes une loi qui laisse la possibilité d’avoir des OGM mais notre action vise à établir un espèce de moratoire technique et c’est le cas.
Les lobbies ont quand même été très présents lors du vote…
On ne peut pas empêcher les lobbies, c’est le fonctionnement de la démocratie. Mais je ne pense pas que ce soient les lobbies en tant que tels qui influencent le plus les choix politiques de la majorité, je pense que c’est leur culture profonde. Pour eux, les OGM, c’est « la science nous apporte la résolution des problèmes ». Nous, nous leur disons que la science peut entraîner des dégâts environnementaux et sociaux, l’innovation en tant que telle n’est pas forcément bonne à prendre.
Que répondez-vous aux critiques concernant le flou du chiffrage financier du projet de loi « Grenelle de l’environnement » ?
Ce projet de loi d’orientation n’a pas à être chiffré, c’est une loi cadre qui donne un horizon, ensuite viendront les lois d’application, nous serons alors très attentifs.
Pensez-vous que la révolution écologique que Nicolas Hulot appelle de ses vœux dans son Pacte écologique est en marche ?
Oui, absolument. N’importe quel observateur de bon sens s’aperçoit du trajet parcouru ces dernières années. Ce n’est pas seulement dû à notre action, nous avons accompagné cette prise de conscience de la manière la plus active possible. Chaque citoyen touche du doigt la question du réchauffement climatique, les problèmes sanitaires, l’extension des cancers, le manque d’eau… C’est cette expérimentation que les gens font qui implique cette prise de conscience. On a essayé de « coaguler » tout ça. Il me semble que cela a progressé, je ne vois pas comment on pourrait dire l’inverse.
Etes-vous satisfaits de la couverture médiatique du Grenelle ? Pensez-vous que les journalistes intègrent plus qu’avant la dimension écologique dans leur métier ?
Dans tous les journaux où j’ai travaillé, j’ai essayé de faire monter ce sujet, cette préoccupation. Je me heurtais à de grosses difficultés culturelles. Je me souviens au Monde, entre autres, combien c’était difficile. Aujourd’hui, les médias en général accompagnent cette prise de conscience même s’ils le font plus ou moins bien. Le Figaro fait appel à des points de vue critiques mais ils sont obligés de traiter le sujet, c’est ça qui change. On a réussi à mettre la question écologique au cœur des débats politiques, économiques et sociaux en France.
Sur quels critères jugerez-vous la réussite ou l’échec du Grenelle ?
Il faut continuer à se battre. On ne peut engranger des effets positifs que si la société dans son ensemble nous appuie. C’est pour ça que la démarche du Grenelle est très importante pour nous. Les collèges présents au Grenelle étaient représentatifs de la société française. C’est très important qu’on puisse avancer sur des propositions concrètes. Nous pensons que l’amplitude des enjeux est telle qu’on ne parviendra pas à trouver une solution par un coup de force quelconque. Il faut convaincre culturellement l’ensemble de la société. Cela passe par un débat démocratique avec différents intérêts, des heurts. On n’imposera pas la révolution écologique. Cela demande un changement de comportement individuel.
Pensez-vous que la France pourra entraîner l’Europe dans son sillage en matière écologique lorsque le pays prendra en juillet la présidence de l’Union européenne ?
Je ne sais pas si ça va se produire à ce moment-là mais nous, on agit là où on est, on mise sur l’exemplarité des actions menées en France. Vu la dimension des problèmes, cela ne pourra prendre sa véritable échelle qu’au niveau international, précisément au niveau européen. Le gouvernement est déchiré entre la logique du Grenelle et d’autres logiques comme celle de la Commission Attali (5), qui vont à l’encontre de l’esprit du Grenelle. Nous sommes à un moment charnière, c’est normal qu’il y ait des contradictions, reste à savoir lesquels vont l’emporter, on est sûr de rien.
(1) Jean-Paul Besset a été journaliste à Libération et rédacteur en chef du journal « Le Monde » pendant dix ans.
(2) « Comment ne plus être progressiste… sans devenir réactionnaire », coll. Fayard, 2005.
(3) Les groupes de travail ont regroupé cinq collèges : les associations, le patronat, les syndicats, l’Etat et les collectivités locales.
(4) Ces associations sont : World Wild Fund for nature (WWF), Greenpeace, les Amis de la terre, la Fondation Nicolas Hulot, la Ligue de protection des oiseaux, le réseau Action climat, France Nature environnement (FNE), la Ligue pour la préservation de la faune sauvage et la défense des non-chasseurs (ROC).
(5) Le rapport Attali propose de remettre en cause le principe de précaution, inscrit actuellement dans la Constitution française, considéré comme un frein à la croissance, aux investissements et à l’innovation.
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