Durant ce mois de décembre à Buenos Aires, « dérives autoritaires » de l’Etat [[communiqué du parti Union Civica Radical dont Mario Barletta est le leader. Il est le parti majoritaire de l’opposition]] et « démocratisation des médias » [[Miguel Angel Pichetto, chef de file du parti majoritaire, Frente para la Victoria, dont est issu l’actuelle présidente Kristina Fernandez de Kirchner.]] se sont fait écho depuis les bancs de la Chambre des Députés jusqu’aux plateaux de télévision. Les mesures officielles visent à donner le même accès au papier à toutes les entreprises de presse du pays. Mais les réformes engagées semblent plutôt mince face à l’ampleur du projet. Plusieurs syndicats de presse internationaux se sont élevés et La Global Editor Network ( [[Le GEN, réseau international dédié aux rédacteurs en chef, regroupe plus de 400 rédacteurs issus de journaux, de médias du net et de l’audiovisuel. Son actuel président est Xavier Vidal-Foch, directeur adjoint du journal El Pais (Espagne). Ricardo Kirschbaum du quotidien argentin Clarin en est l’un des membres du conseil d’administration.]] a dénoncé « Une augmentation de la pression exercée par le gouvernement contre la presse indépendante ces dernières années. » [[Clarin, 24/12/11]]
« Association illicite au détriment du patrimoine de l’Etat par manque d’investissement »
En Argentine, la production de papier journal est contrôlée par une seule société : Papel Prensa S.A. C’est elle qui produit, commercialise et distribue la pâte de cellulose. Plutôt que de s’inquiéter de cet étonnant monopole, l’Etat[[Le gouvernement argentin a initié ce processus en août 2010 à travers la voix de la SIGEN ; la Sindicatura General de la Nacion, est chargée de contrôler les dépenses internes du secteur public. Elle dépend directement de l’executif.]] a lancé une action en justice pour « association illicite au détriment du patrimoine de l’Etat par manque d’investissement ». Les deux actionnaires mis en cause sont les deux plus importants journaux du pays. Or les propriétaires sont au nombre de trois ; Grupo Clarin (49%), le journal La Nacion (23,5%) et l’Etat (27,5%). La formulation de l’accusation impliquant deux sociétaires au détriment du troisième qui affirme en être le propriétaire, au-delà de son ambigüité, renvoie à des accords passés en 1976.
A cette époque, le gouvernement de facto coordonne le partage de la société ; l’État conserve 27,5% et répartit le reste entre trois journaux. Tortures, menaces, assassinats et emprisonnements auront été employés, selon deux documents déclassés provenant des États Unis (voir encadré). Les parts de la Razόn seront acquises par Clarin en 2000 lors du rachat du journal. C’est la concomitance des deux entreprises qui aurait déclenché les fureurs de Cristina Kirchner en août 2010 lorsqu’elle dénonça « le pacte de syndicalisation » passé entre les deux autres membres. Ceux-ci se seraient mis d’accord pour toujours agir de concert et ne jamais porter atteinte à l’intérêt de l’autre. Sans croire bon d’inclure l’État à leurs bénéfices.
« Clarin et La Nacion utilisent 71 % du total de papier produit par l’entreprise, »
Le groupe Clarin est le groupe multimédia le plus important du pays et détient plusieurs dizaines de quotidiens régionaux ou nationaux, dont le journal le plus populaire, Clarin. On pourrait donc s’attendre à ce que dans sa démarche visant à en finir avec le monopole, le gouvernement exige que le groupe ne soit plus l’actionnaire principal et qu’il répartisse ses actions. Mais le contenu de la nouvelle loi ne modifie en rien ce statut.
Depuis le 23 décembre, l’entreprise a l’obligation de produire au maximum de ses capacités et d’appliquer le même tarif à tous les journaux du pays. « Clarin et La Nacion utilisent 71 % du papier produit par l’entreprise » affirme Anibal Fernandez, sénateur de la majorité, « tout en imposant un surcoût de 15 % aux autres entreprises. » Ainsi, les journaux concurrents étaient jusqu’ici obligés d’importer le papier nécessaire à leur publication entraînant un surcoût de production. Parallèlement, la firme rachetait les invendus de ses deux filiales : « Il faut rappeler que l’entreprise papetière a racheté à Clarin 11 000 tonnes de papier recyclé à 900 dollars la tonne. » dénonce le même sénateur. Dorénavant, dans le cas où la production serait insuffisante[[ Deux organes de contrôle dont un dépendant du ministère de l’économie seront en charge de vérifier l’application de la loi]], l’entreprise sera obligée d’augmenter sa cadence ; en cas de manque, l’Etat apportera des fonds qui seront autant de nouvelles part acquises…
L’Etat augmente son pouvoir au sein d’une entreprise dont il ne supprime pas le monopole et n’envisage même pas d’y valoriser la diversité éditoriale. « En huit années de co-propriété avec Clarin et La Nacion, ce gouvernement n’a jamais rien dénonçé » rappelle Ernesto Sanz, du parti radical. Les nombreuses dénonciations mettant en cause le journal Clarin suffiront elles à détourner syndicats de journalistes et citoyens des manoeuvres surprenantes du gouvernement ? « En 2011, à l’heure de la disparition du papier, (…) cette discussion paraît ridicule. » rappelle le président du parti radical, Ricardo Gil Lavedra. Aubaine ou intox ?
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