D’Arusha à Arusha : parole à la défense
Du procès de Nuremberg à la mise en place du Tribunal Pénal International pour le Rwanda, des efforts ont été faits en matière de jugement des crimes de génocide.
Le 6 avril 1994, l’avion du président rwandais Juvénal Habyarimana, cible d’un attentat, explose en plein vol. Quelques heures plus tard, c’est le début du génocide des Tutsis par les Hutus. Dans le documentaire « D’Arusha à Arusha », réalisé par Christophe Gargot, le génocide n’est pas traité dans ses faits mais il témoigne de la complexité de juger un tel événement par la communauté internationale.
Arusha est une ville de Tanzanie où siège le TPIR, créé par les Nations-Unies pour juger les responsables du génocide rwandais.
Pour réaliser son documentaire, Christophe Gargot a pioché des extraits dans les 30 000 heures d’enregistrements effectués par le Tribunal.
Parmi les 79 personnes poursuivies, Georges Ruggiu, ancien animateur belgo-italien de la radio Mille Collines et seul étranger à comparaître devant le TPIR, semble d’un sang-froid saisissant malgré les nombreuses incitations au crime exprimées à travers ce média. D’ailleurs, durant le film, des extraits radiophoniques sont utilisés pour témoigner de l’influence de ce support médiatique sur les auteurs du génocide.
L’autre principal inculpé est Théoneste Bagosora, un colonel retraité des Forces armées rwandaises. Présenté comme le cerveau du génocide, il nie avoir planifié les massacres, préférant parler de « préparation ».
Pour juger ces criminels, l’ONU a mis en place des salles d’audience ultra équipées.
Mais le réalisateur a également insisté sur l’existence, moins connue, de tribunaux populaires implantés dans les collines du Rwanda, là où les crimes ont été perpétrés. Le silence des images montrant les tribunaux de plein air, appelés les Gacaca, contraste avec le témoignage de Jean de Dieu.
Ce dernier, hutu, s’est dit contraint de commettre des crimes pour que sa compagne tutsie soit épargnée.
Un paradoxe qui illustre l’ambiguïté entre responsabilité et culpabilité. Des cas comme celui-là sont difficiles à résoudre pour la justice pénale internationale, confrontée à des « bourreaux malgré eux » révélant une part d’humanité lors des audiences.
Les défis de la justice pénale internationale en débat
Avant même la diffusion du documentaire « D’Arusha à Arusha » et le débat qui suivit, François Roux, avocat et chef du bureau de la défense du Tribunal Spécial pour le Liban, avait préparé l’auditoire. « La justice pénale internationale est complexe » avait-t-il annoncé.
D’un côté, il y a le sentiment général qu’il faut lutter contre l’impunité des crimes commis au Rwanda, au Cambodge ou en ex-Yougoslavie. De l’autre, il y a la justice qui, selon François Roux, « ne doit ni lutter contre l’impunité ni œuvrer pour la réconciliation ». Il cite les propos qu’il adresse aux juges devant les tribunaux : « Oubliez qui vous a nommés et pourquoi vous avez été nommés », autrement dit oublier la pression onusienne et l’atrocité des crimes. Seule l’application du droit compte, la réconciliation devant logiquement découler d’un verdict juste.
François Roux a travaillé à la défense d’accusés présentés devant les tribunaux internationaux, à l’image de Douch au Cambodge. Pour l’avocat, « il ne peut y avoir de justice sans défense. Avant de juger il faut comprendre ».
Le système de la justice pénale internationale est accusatoire. Dans les tribunaux, l’absence de juge d’instruction, sauf au Cambodge, contraint l’accusation et la défense à procéder à leurs propres enquêtes. Ce mode de fonctionnement basé sur le Common Law choque les juristes issus du droit romano-germanique.
Les tribunaux sont alors perçus comme des théâtres où l’on fait défiler des témoins et où les victimes n’ont pas le droit de faire valoir leurs intérêts.
Cette justice des symboles condamne lourdement les donneurs d’ordre, tels que les chefs d’État ou hauts gradés de l’armée, pour en faire des exemples.
Quant aux exécutants, leurs peines sont moindres, ils ne peuvent être condamnés comme des criminels de droit commun en raison du contexte particulier et politique dans lequel on les a poussés à agir.
Dans l’incapacité de juger tous les criminels, la justice pénale internationale délègue son pouvoir aux tribunaux populaires où la procédure est loin d’être tout à fait respectée. A l’image des « Gacaca » rwandais où les victimes sont devenues juges, les avocats absents, et les témoignages de personnes emprisonnées considérés comme irrecevables.
Une justice internationale imparfaite, de par sa jeunesse -quinze ans aujourd’hui-, mais aussi en raison des difficultés posées par la non-adhésion de certains pays concernés.
De la légitimité d’un tribunal dépend l’efficacité de la justice. Or, les tribunaux spéciaux internationaux sont parfois perçus comme des outils d’ingérence des Nations-Unies dans les affaires internes des Etats.
Ainsi au Rwanda, le tribunal n’a jamais connu l’adhésion du pays. Cela a compliqué les enquêtes et la recherche de preuves, rendues déjà difficiles par les délais séparant la commission des crimes et la mise en place du tribunal.
Le Liban n’a pas ratifié la charte de création du tribunal spécial, alors même qu’il était à l’origine de la demande de sa création.
Des pays s’insurgent contre ce qu’ils considèrent comme une ingérence dans leurs affaires. D’autres pensent que l’ONU doit veiller à ce que des criminels ne se cachent pas derrière le « paravent de la souveraineté » pour échapper à la justice.
Faudrait-il alors préférer aux tribunaux spéciaux les »commissions vérité et réconciliation » ? Leur travail est important mais leur bilan est mitigé car elles suscitent autant d’espoirs que de frustrations. Le désir de voir des têtes tomber étant souvent perçu comme un préalable à toute réconciliation.
« Il n’y a pas de réponse parfaite, nous sommes condamnés à faire parce que ne rien faire serait condamnable », conclut François Roux.
Les étudiants de la clinique de droit international, qui sera mise en place au second semestre 2011 à la faculté de Droit de Montpellier, seront peut être ceux qui contribueront aux améliorations de la justice pénale internationale.
Olivier de Frouville et François Roux ont mené conjointement cette initiative. Après avoir pris contact avec le bureau des co-procureurs du Cambodge il y a trois ans, le premier, professeur de Droit public à l’Université de Montpellier propose son projet de coopération au second.
François Roux a déjà participé à la création de cliniques de droit international, notamment aux Etats-Unis et au Liban. L’objectif est de faire travailler les étudiants de master 2 sur des questions pratiques posées par des professionnels. Grâce aux liens établis, les étudiants pourront postuler pour des stages dans les institutions internationales, et, à plus grande échéance, travailler en leur sein.
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