La mise en scène de la pièce de Molière par Émilie Hériteau propose de repenser le monde autour de la figure de l’étranger. L’humour côtoie le tragique, la réflexion enveloppe la légèreté apparente des péripéties.
Cette pièce décrit l’irruption de Pourceaugnac, gentilhomme limousin qui désire épouser la fille d’Oronte, dans la société parisienne. Il se heurte à l’hostilité de ses hôtes. Sbrigani met en scène une comédie afin d’humilier et exclure Pourceaugnac. La scène se transforme progressivement en salle des pendus avec des grilles de cordes qui se tendent pour accompagner les diverses humiliations. Le provincial doit subir la consultation de médecins déjantés avant de devoir se travestir pour fuir la justice qui le condamne sans procès. Il subit diverses violences et tromperies avant d’être expulsé. Un tourbillon musical emporte la vie de l’étranger, arrêté et expulsé, dans une insouciance festive.
Malgré la dimension musicale de cette comédie ballet composée par Lully, et l’humour constant dans l’intrigue et les répliques, le spectateur hésite parfois à rire. La musique semble enivrer Pourceaugnac et le rire suscité se fait au dépens de l’étranger, à travers le traitement qui lui est infligé. La représentation est souvent tonique mais semble parfois traversée par un alanguissement mélancolique. Le contraste entre différents registres alimente un sentiment ambiguë pour le spectateur. Emporté par la musique et amusé par l’humour de la pièce, il n’en est pas moins incité à réfléchir. Tandis que Michel Sardou invite le spectateur à « aller danser pour oublier tout ça » après l’expulsion de l’étranger, la pièce est émaillée de réflexions philosophiques. L’ironie de Molière et l’euphorie musicale de Lully sont mises en perspective par la lecture de textes rédigés par trois philosophes contemporains.
René Schérer évoque l’hospitalité « à comprendre comme utopie, folie, peut-être mais aussi, mais surtout, comme nécessité et exigence de notre survie ». Le principe d’hospitalité apparaît alors comme un impératif indispensable à la culture et au lien social. Jacques Derrida évoque le problème lié à la langue. L’étranger est accueilli dans une langue qu’il ne maîtrise pas. Cependant, la notion d’hospitalité semble insuffisante pour penser l’altérité. En effet, l’hospitalité ne concerne pas directement l’étranger mais celui qui est censé l’accueillir.
Giorgio Agamben renverse la perspective. L’étranger n’est pas uniquement un sujet passif soumis aux lois de l’(in)hospitalité de l’État qui l’accueille. Il devient aussi un sujet politique. La figure du réfugié invite même à repenser le monde et la communauté humaine. Le théoricien de l’état d’exception et du contrôle généralisé perçoit dans le réfugié un sujet émancipateur « parce qu’il détruit la vieille trinité État-nation-territoire ». Giorgio Agamben propose même d’ « abandonner sans réserve les concepts fondamentaux par lesquels ont été pensés jusqu’à présent les sujets du politique (l’homme et le citoyens avec leurs droits, mais aussi peuple souverain, le travailleur,…) et à reconstruire notre philosophie » à partir de l’unique figure du réfugié.
Cette mise en scène de Monsieur de Pourceaugnac rappelle l’actualité accablante de la chasse à l’immigré. Des Afghans de Calais menacés d’expulsion aux centres de rétention, la xénophobie d’État répand terreur et tristesse. La mise en scène de cette comédie de Molière riposte à ce projet étatique en insufflant de l’humour et de la vie.
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