Vos romans l’un historique, l’autre plus contemporain, font référence à la Colombie et sa situation actuelle.
William Ospina : C’est le poids énorme de l’Histoire qui a construit notre pays, l’arrivée des colons espagnols, les massacres des populations indigènes, la traite des noirs… Tous ses événements l’affectent encore. D’ailleurs la mixité de notre population s’explique par l’Histoire.
Evelio Rosero : La réalité colombienne m’affecte en tant que citoyen mais aussi en tant qu’écrivain, je ne pouvais pas ne pas rendre compte de celle-ci. Et la réalité c’est aussi la présence des quatre forces armées : narco trafiquants, paramilitaires, guérillas et militaires face à des civils démunis.
Quelle place occupe les quatre forces armées auxquelles vous faites références ?
E. R : Il n’y a pas une entité plus saine qu’une autre, chaque force tue. Les informations colombiennes relataient il y a peu l’histoire d’une mère de famille se lamentant de voir ses deux fils engagés l’un dans la guérilla, l’autre dans la formation paramilitaire. La mort est la réponse dans tous les cas.
La Colombie ne serait-elle que guerre et souffrance ?
E.R : Tout n’est pas obscur. Il y a une réponse de l’esprit, de l’humour, de la musique. Je l’exprime au début de mon roman. Néanmoins la réalité qui frappe le village imaginaire dont je parle est malheureusement très réelle, la violence est réelle. J’aurais aimé écrire seulement sur le bonheur.
Juan Manuel Santos est arrivé au pouvoir en juin dernier, pensez-vous que cela puisse faire changer les choses ?
E. R : Il y a des différences entre Santos et son prédécesseur Uribe. Cependant Santos s’inscrit dans la continuité du premier. Il est le dauphin d’Uribe et s’emploie d’ailleurs à couvrir les méfaits de son prédécesseur tels que les liens du gouvernement avec les narcotrafiquants et les paramilitaires.
W.O : La différence entre les deux est qu’Uribe appartient à la nouvelle classe de dirigeant alors que Santos vient de la vieille élite colombienne. Leurs intérêts sont différents. Alors qu’Uribe était très attaché à maintenir le régime de grands propriétaires, Santos veut changer cela. On ne peut pas savoir jusqu’où va aller cette différence et si cela va déclencher un autre genre de conflit.
En tant que journalistes, quelle place est donnée à la liberté de la presse en Colombie?
W.O : Je n’ai jamais senti de contraintes, vécu de censure vis-à-vis de mon travail journalistique. Mais je sais malgré tout qu’il y a des choses qu’on ne peut pas dire. La censure se fait par mon autocensure.
Etre écrivain permet-il une plus grande liberté d’expression ?
E.R :La littérature est vitale, elle nous touche et a ce pouvoir de partager la réalité. Le mot écrit reste à la différence des informations télévisées. En tant qu’écrivain je me sens engagé, j’ai le devoir d’écrire de mieux en mieux sans m’affilier à un parti politique quel qu’il soit.
W.O : Je crois à la capacité de la littérature pour modifier l’histoire, les êtres humains, les consciences. La réalité colombienne exige un gros travail sur le plan littéraire et culturel. Si la littérature nous aide à voir, à entretenir la mémoire alors il sera plus facile de changer les choses. L’important n’est pas qu’un pays ait une guérilla, mais qu’il soit capable de la stopper.
Propos recueillis par Clémence Olivier
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