Beethoven fait fuir les jeunes

Par le 12 avril 2008

Huit mois après la mise en service d’un spray anti-SDF, le malodore, par l’ex-municipalité UMP d’Argenteuil, la polémique ressurgit avec le boîtier « anti-jeunes ». Baptisé Mosquito par Howard Stapleton, son inventeur gallois de 42 ans, l’appareil est plus connu en France sous le nom de Beethoven. Commercialisé depuis plus de deux ans en Grande-Bretagne et aux Pays-Bas, cet anti-ados est diffusé en France de manière confidentielle par la société IBP France, basée à Carry-le-Rouet (13). Ce petit haut-parleur, qui coûte en moyenne 900 euros, émet des sons stridents, inaudibles pour les plus de 25 ans. Inquiétant quant à ses effets sur la santé pour certains, discriminatoire pour les autres, le produit suscite un véritable tollé.

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Première juridique en France. Dans les Côtes-d’Armor, les commerçants d’une petite station balnéaire n’ont pas hésité à saisir la justice (1), après qu’un riverain a installé devant sa résidence secondaire un appareil jusque-là marginal en France : un boîtier « anti-jeunes ». Partie de Belgique, la polémique sur cet émetteur d’ultrasons a très vite gagné la France.
« Au départ, nous avons cru à un poisson d’avril. » Stéphane Wintgens, responsable de l’association belge « les territoires de la mémoire », semblait incrédule, le 4 mars, lorsque pour la toute première fois il a entendu parler du Mosquito. Aussitôt après avoir pris connaissance de l’existence de cet appareil, l’association belge, créée en 1993 en réaction à la poussée de l’extrême droite lors des élections législatives, s’empare de l’affaire. Dès le lendemain, elle lance une pétition – « les jeunes ne sont ni des parasites ni des nuisibles pour notre société » – visant à faire interdire le Mosquito. Tout va alors très vite. Le 10 mars, une citoyenne révèle que son fils subit quotidiennement les effets pervers de cette invention, en passant devant une banque à proximité de son école. Indignée, l’association décide d’alerter les autorités communales. Le soir même, le maire parvient à convaincre la banque de retirer son Mosquito. mosquito_Aywaille_2.jpg
L’affaire fait grand bruit et parvient jusqu’aux oreilles de Marc Tarabela, le ministre belge de la Jeunesse. Ce dernier exprime clairement sa volonté de faire interdire l’objet : « Je me suis aussitôt dit qu’il fallait passer la vitesse supérieure en tentant de faire interdire la commercialisation de ce produit par l’Union européenne. »
Marc Tarabela utilise le Rapex, le système européen d’alerte rapide qui concerne les produits de consommation dangereux. C’est un échec. Pour la commission européenne, le produit n’est pas défectueux et ne relève donc pas de sa compétence.

« L’utilisation est innaceptable d’un point de vue éthique et moral dans notre société. »

Le ministre belge écrit alors à ses homologues européens dont Roselyne Bachelot, la ministre française de la Jeunesse. Dans ce courrier, il enjoint l’UE à « prendre des dispositions visant à protéger les jeunes d’une attitude abusive et disproportionnée qui est le fait de personnes aveuglées par des peurs irraisonnées. » Début avril, Roselyne Bachelot demande le retrait de ce genre d’émetteurs, dont « l‘utilisation est inacceptable d’un point de vue éthique et moral dans notre société. »
Depuis cette histoire, la pétition ne cesse de prendre de l’ampleur. Elle compte aujourd’hui plus de 10 000 signatures dont beaucoup viennent de France. Politiciens, de droite comme de gauche, se sont mobilisés afin de bannir l’appareil. Bien qu’aucune étude de santé n’ait encore été menée sur le Beethoven, ce dernier suscite les pires craintes et l’indignation générale. Autour de ce débat, c’est toute la place de la jeunesse dans la société qui est remise en question.
(1) L’affaire sera examinée le 24 avril par le tribunal des référés de Saint-Brieuc.

L’analyse d’Olivier Douard, président de l’observatoire régional de la jeunesse en Languedoc-Roussillon.

« Une injonction paradoxale »

Que vous inspire le procédé du Beethoven ?

Je vois une ambiguïté dans la finalité même de cet appareil. Il est présenté pour lutter contre la présence dans certains lieux de jeunes qui dérangent. Mais ce boîtier va lutter contre tous les jeunes. Or 98% des jeunes ne sont pas des délinquants. Il existe un abus dans la manière de présenter les choses. C’est de la discrimination.


Que nous indique-t-il sur la société actuelle ?

Tout d’abord, personne n’a le droit de se faire justice soi-même. Ce boîtier prétend réagir contre les incivilités. Mais c’est paradoxal : on lutte contre ceux qui ne respectent pas certaines choses tout en s’affranchissant du droit. Sans le vouloir, on envoie un message contraire. Les jeunes sont sensibles à ces procédés. Si l’on veut lutter contre les incivilités, il existe des outils de répression qui entrent dans le cadre de la loi.

Cet appareil révèle la difficulté à appréhender la jeunesse…

Cet appareil est appelé le boîtier « anti-jeunes ». Cela rejoint un champ sémantique. Sauvageons, racailles… La jeunesse est traitée comme un problème. En la stigmatisant, on va récolter des réactions encore plus vives. C’est presque un appareil provocateur.

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à propos de l'auteur

Auteur : Matthieu Marot

Limougeaud curieux de naissance, j’entreprends des études de sociologie au sortir d’un Bac S. La fac de Limoges me compte, ainsi parmi ses plus fidèles étudiants jusqu’à l’obtention de la licence. Puis, avide de nouvelles expériences, je décide de m’inscrire en M1 de science politique et migre vers Rennes. Mais, si la Bretagne recèle moult intérêts, le très renommé crachin Breton a vite raison de moi. Mon M1 dans l’escarcelle, je rentre dans ma contrée (le Limousin) où je fais mes premières armes dans le journalisme comme pigiste aux sports pour le Populaire du Centre (fameux journal local). Depuis ma plus tendre enfance, le métier de journaliste me trottait dans la tête. Le journal « L’Equipe » a grandement favorisé mon apprentissage de la lecture et développé mon attrait pour l’information dans son ensemble. Ma première expérience en presse écrite m’oriente définitivement dans cette voie. Durant cette année, je m’essaye également à la radio, mais ma préférence se dirige rapidement vers l’écrit. Désireux d’apprendre les bases théoriques de ce métier, de boucler mon cursus universitaire, j’intègre le M2 journalisme à Montpellier, mettant par la même occasion le cap au sud. Féru aussi bien de politique que des sujets de société ou de sport, j’aspire à travailler en presse écrite sur papier ou sur Internet.