L’origine du malentendu date de l’année précédente, même époque.
Il faut remonter au 11 Novembre 2008, pour comprendre les raisons de cette polémique.
Ce jour là, Nicolas Sarkozy délocalise l’hommage aux soldats morts: la solennelle cérémonie du 11 Novembre se déroule au beau milieu des vallons de Douaumont, entre l’immense cimetière et l’ossuaire qui renferme les restes de 130 000 soldats.
Pour la première fois, un président de la République commémore cette date sur le champ de bataille.
Surtout, commémorer à Douaumont, c’est faire le choix de raviver le souvenir de Verdun. C’est fouler une terre qui a englouti des milliers de Poilus dans la bataille la plus meurtière de la Première Guerre Mondiale. Pour le président de la république, c’est une savante mise en scène dans un lieu tragique (de la même façon qu’il l’avait fait dans la « clairière des fusillés » au Mont Valérien pour rendre hommage à Guy Moquet).
Il y a un an, l’émotion était palpable sur ce lieu profondément lié aux combats les plus sanglants. Parmi les figurants en costumes d’époque (veuve, Poilus, infirmières…), les caméras de télévision se bousculaient pour retransmettre en direct le 90ème anniversaire de la Grande Guerre.
Au cours de cette cérémonie, Nicolas Sarkozy choisit de briser le silence et donc le protocole, pour s’exprimer…durant treize minutes.
Et pendant ce discours, le chef d’Etat va évoquer un sujet qui fait polémique, depuis la fin de la Grande Guerre : la « réhabilitation des fusillés pour l’exemple ».
A ce moment là, on se souvient de l’émoi suscité en 2001 par la volonté de Lionel Jospin de réintégrer les mutins dans la mémoire nationale. Ce fut un échec cuisant, le mythe de l’Union Sacrée restant encore vivace, on compara Jospin à un doux pacifiste.
En 2008, Sarkozy évoque à son tour ces hommes :
«Le temps est venu d’honorer tous les morts sans exception […]
Je pense ici à ceux qui n’ont pas résisté à la pression, trop forte, à l’horreur, trop grande, et qui un jour, après tant de courage et d’héroïsme, sont restés paralysés au moment de monter à l’assaut […]
90 ans après, je peux dire au nom de la Nation que beaucoup de ceux qui furent exécutés alors, ne s’étaient pas déshonorés, n’avaient pas été lâches, mais simplement qu’ils étaient allés jusqu’à l’extrême limite de leurs forces. »
Ce jour là, Sarkozy se met en scène dans un lieu boulversant, tout près de Fleury-devant-Douaumont, village rasé en 1916, déclaré « mort pour la France » en 1918 et aujourd’hui inhabité. Si le lieu, l’image se prêtent au tragique, ce sentiment est renforcé par le discours tout aussi émouvant du Président de la République.
Mais, réellement, ce qu’il explique le 11 Novembre 2008, c’est qu’il rend hommage aux fusillés pour l’exemple. A aucune moment, il n’évoque la réhabilitation. Les mutins n’ont été évoqués que pour la forme, pour l’émotion. Car, le patriotisme républicain s’apparente davantage à la thèse du « sacrifice consenti » défendue par l’Ecole de Péronne qu’à celle de la « contrainte des Poilus » soutenue par l’Ecole de Craonne.
A Douaumont, Nicolas Sarkozy prenait soin d’éviter d’employer les termes de « mutins » et de réhabilitation juridique (à l’inverse de Jospin en 2001).
Tout le malentendu réside dans cette déclaration qui date d’un an. Car, entendant cela, le conseil général de la Meuse s’est engouffré dans la brèche : la stèle réalisée par l’artiste Paul Flickinger, a été inaugurée aujourd’hui à Fleury-devant-Douaumont. Elle rend hommage aux sous-lieutenants Henri Herduin, 35 ans, et Pierre Millant, 29 ans, du 347e régiment d’infanterie, fusillés pour « abandon de poste » le 11 Juin 1916 sur un ordre écrit du colonel commandant la 103e brigade.
Arsène Lux, le maire de Verdun s’est violemment opposé à cette initiative qu’il a qualifiée de scandaleuse. Le 19 octobre, il envoyait une lettre ouverte véhémente à Hubert Falco, secrétaire d’Etat à la Défense et aux Anciens Combattants, qui a donc a annulé son déplacement.
Pour s’être repliés sur Verdun alors qu’ils étaient à court de munitions et dans l’impossibilité de recevoir des renforts, sauvant ainsi une quarantaine d’hommes de leur compagnie, Henri Herduin et Pierre Millant furent exécutés sans jugement à Fleury-devant-Douaumont le 11 juin 1916.
Entre 1914 et 1918, les fusillés pour l’exemple furent légion.
Ne pas les réhabiliter, c’est oublier qu’ils étaient conscrits, sommés de rejoindre l’Est de la France pour une guerre d’inimitié, dont ils ne connaissaient les véritables enjeux. Refuser de réintégrer ces hommes dans la mémoire nationale, c’est refuser de regarder l’histoire en face.