Marché de Noël, décorations tapageuses, frénésie consumériste: L’arrivée des fêtes de fin d’année ferait presque oublier l’urgence de la réalité sociale. Il n’y a pourtant qu’à ouvrir les yeux pour constater l’ampleur de la misère qui se répand dans les rues de la ville et les nouveaux visages qu’elle revêt. Jeunes travailleurs, familles monoparentales, retraités sont les nouvelles victimes de la paupérisation progressive de la population qui n’épargne pas Montpellier.
Stéphane, 42 ans y vit depuis 4 ans.
Il est l’exemple même de ces personnes dont la vie a dérapé sans crier garde. Après un emploi à la mairie de Nîmes, il est tombé gravement malade. Puis, de fil en aiguille ça a été la dégringolade: perte d’emploi, perte du logement de fonction, puis la rue, et son combat de tous les jours pour la débrouille et la survie. Lorsqu’on lui demande par quoi se traduit cette paupérisation la réponse ne se fait pas attendre:
« La dégradation de la situation, elle est générale et je le constate tous les jours, ça a vraiment basculé depuis deux ans et demi. Dans la rue on croise de plus en plus de jeunes […] il y a quelques années on aurait dit que c’était des « zonards » et qu’ils l’avaient choisi mais la réalité est différente aujourd’hui. On croise aussi pas mal de retraités qui font les poubelles par honte de mendier ».
« On essaie réellement de faire remonter par le biais des assistantes sociales les carences du système ». Mlle Sales, responsable du secours populaire
Du côté du secteur associatif, le constat est semblable si ce n’est plus grave. Mlle Sales, responsable de l’antenne du Secours populaire proposant de l’aide alimentaire dans le quartier Figuerolles s’indigne de cette situation: « on constate l’apparition de nouveaux précaires qui n’étaient qu’une minorité il y a quelques années: travailleurs pauvres, personnes isolées, retraités avec une trop petite pension, jeunes en apprentissage, étudiants boursiers, étudiants étrangers, familles monoparentales ». La liste est dramatiquement longue.
Si la plupart de ces personnes n’ont besoin que d’une aide temporaire, une partie d’entre elles, comme les retraités, n’ont aucune perspective d’évolution salariale ou professionnelle. Ils doivent donc être pris en charge sur le long terme ce qui transige avec l’organisation de base de l’association. Cette dernière reposait jusqu’alors sur un accompagnement des gens d’une durée de 6 mois dans le but de les faire progressivement retrouver une autonomie. « On essaie réellement de faire remonter par le biais des assistantes sociales les carences du système ».
Face à la demande grandissante des travailleurs pauvres qui ne peuvent se déplacer la journée, le Secours populaire envisage même d’ouvrir certains soirs de la semaine.
Un tissu associatif dense qui peine à faire face
Comme le souligne Stéphane, c’est de manière plus générale tout ce qui permet aux précaires et surtout aux Sdf de survivre qui est progressivement démantelé à Montpellier. Alors qu’un large tissu associatif permettait jusqu’alors de pallier aux besoins élémentaires des « gars d’la rue », les différentes structures doivent faire face à une augmentation sans précédent des demandes. Difficulté aggravée pour une partie d’entre elle par une baisse des moyens financiers et humains dont elles disposent. Diminution de places dans les foyers déjà surchargés, baisse des effectifs du samu social, lenteur des procédures administratives, les personnes les plus précaires sont les premières victimes de cette dégradation.
Une situation sociale qui s’aggrave malgré la conscience des acteurs sociaux
Les travailleurs sociaux rattaché à la ville par le biais du Centre Communal d’Action Sociale (CCAS) semblent partager ce double constat. C’est ce que confirme Mr De la Torre, directeur de l’accueil et de l’insertion du CCAS de Montpellier: « les indicateurs socio-économiques qui nous permettent d’évaluer chaque année les besoins des publics en difficulté témoignent d’une précarité croissante qui nous avaient déjà alerté en 2009. Ce contexte touche particulièrement les jeunes et les personnes âgées, ce qui nous pousse à adapter nos actions. Nous avons également observé une augmentation des situations de précarité extrême contre lesquelles nous ne sommes pas habilités à lutter ». Alors que l’action sociale du CCAS est axée sur l’aide aux publics identifiés comme fragiles, les situations d’extrême précarité comme celles des personnes sans domicile fixe relèvent de la solidarité nationale donc de l’État.
Si le CCAS a conscience que la situation se dégrade, Luis Torres déclare que l’organisme subventionné à 80% par la ville n’est pas responsable des problèmes de fonctionnement de ces organismes étatiques: « Nous sommes en relation permanente avec les associations et ces organismes qui gèrent les personnes en situation de grande précarité mais nous n’avons aucun pouvoir dans leur fonctionnement, la ville prend d’ailleurs ses responsabilités dans le financement des différentes structures ».
En science politique et plus particulièrement dans le domaine des politiques publiques, un concept dénommé «l’incrémentalisme » semble particulièrement adapté à la triste ironie de la situation présente. Il explique qu’une politique publique ne peut changer que petit à petit et de façon endogène. Les institutions installées, avec leur système de valeurs, ont selon cette vision une fâcheuse tendance à freiner le changement.
Le problème, c’est qu’à la vitesse à laquelle se dégrade la situation, si ni l’État ni les pouvoirs publics locaux ne daignent ouvrir les yeux sur l’ampleur d’un phénomène que l’ensemble des acteurs sociaux constatent, l’absence de mesures d’urgence risque de mener à des drames.
On ne pourra plus alors plaider l’ignorance.