Dans le cadre de la sortie de son nouveau livre, « L’assassinat raté de Georges Frêche » (Editions Singulières), Alain Rollat, ancien journaliste au Monde et fondateur de La Gazette de Sète, revient sur ce qu’il appelle un « cas d’école ». Deux ans après l’affaire dite des « sous-hommes », l’auteur décrypte les rouages de la machine médiatique qui selon lui se serait emballée contre le président de la région Languedoc Roussillon. Après le scandale des «Blacks de l’équipe de France», ce sont ces deux « affaires » qui l’ont « décidé à opérer sur Georges Frêche un arrêt sur image, (…), comprendre comment ce notable auréolé par ses œuvres montpelliéraines avait pu devenir ce despote taxé de racisme dont la plupart des médias véhiculaient l’image. »
A quelques jours de la sortie officielle de son ouvrage (prévue pour le 21 février 2008) que nous avons pu nous procurer, Alain Rollat nous a accordé un entretien exclusif.
Avant d’aborder le sujet du livre, Alain Rollat revient sur le rachat du groupe des Journaux du Midi et la responsabilité du Groupe Le Monde dans cette affaire.
Alain Rollat a propos du Midi Libre
Hautcourant : Pourquoi ce livre ?
Alain Rollat : Pour opposer mon objection déontologique à l’équation aberrante selon laquelle Frêche serait assimilable à Le Pen. L’idée que je me fais du journalisme m’a conduit à démontrer l’absurdité de cette fausse symétrie. Je me suis attelé au décryptage de cette image mensongère parce que personne, visiblement, n’avait envie de le faire. J’ai cherché à comprendre pourquoi et j’ai démonté un mécanisme médiatique prouvant que l’addition de demi-vérités ne fait pas toujours une somme véridique.
Vous comparez le cas de Georges Frêche avec la vindicte roumaine, avec le massacre d’Ouvéa et les prisonniers israéliens. N’est-ce pas là une façon de créer de l’émotion avec Frêche que de comparer des scandales d’Etat, des prises d’otage, des exécutions sommaires de tyrans, des manipulations dramatiques, avec la vindicte dont est victime un seul homme et seulement pour des mots ?
Attention aux raccourcis trompeurs ! Le cas Frêche me paraît un cas d’école, en matière de traitement de l’information, parce qu’il prouve que l’addition de bouts de vérité ne fait pas toujours une vérité vraie. Quand je me réfère au syndrome de Timisoara je le fais pour renvoyer à un phénomène identifié : le refus, parfois observé chez les médias, de sortir de l’erreur collective consécutive à un emballement irrationnel. Quand je rappelle certaines des folles rumeurs colportées en Nouvelle-Calédonie dans la période où je « couvrais » ce sujet pour Le Monde, je le fais pour illustrer le complexe de Sem et Japhet exposé dans la Bible : le refus de voir la réalité en face comme les fils de Noé refusaient le spectacle de leur père ivre…Je ne recherche aucun effet émotionnel, je m’inscris dans une méthodologie qui m’oblige à préciser quels instruments j’utilise pour ma démonstration. Les comparaisons auxquelles je procède ont justement pour but de montrer qu’en politique le mot ne suffit pas à faire l’homme. Chez Frêche, l’emploi du mot « sous-hommes » présentait toutes les apparences du racisme mais cela n’autorisait pas à conclure que Frêche était raciste. Quand le journalisme se fait sommaire il n’est plus digne de ce nom.
Votre ouvrage paraît inattaquable sur le fond, vous démontez l’engrenage dans lequel Georges Frêche a été pris. Dans ce cas pensez-vous qu’il existe des vérités de fait absolues qui ne souffrent pas la contradiction ?
Les vérités de fait n’étant que des vérités « modestes », selon le qualificatif d’Hannah Arendt, elles ne sauraient être absolues. Les vérités journalistiques ne sont pas des vérités scientifiques. C’est justement pour cela que les règles déontologiques du journalisme préfèrent les notions d’intégrité et d’honnêteté intellectuelle au critère prétentieux de l’objectivité qui n’est que l’horizon à atteindre…
A propos de l’affaire des harkis, et sans avoir à préjuger de l’antiracisme de Frêche, est-il acceptable qu’un homme politique puisse utiliser en public de tels termes teintés de populisme ? Cela vaut aussi pour l’affaire des Blacks dans l’équipe de France ?
Non, aucun homme politique ne saurait être exonéré de ses écarts de langage. Populisme rime avec démagogie. Mais, en démocratie, c’est au citoyen qu’il appartient d’être vigilant. On a les élus qu’on mérite.
Avec cette affaire, Georges Frêche n’est-il pas dans la situation de l’arroseur arrosé et n’a-t-il pas suscité les réactions que l’on sait dans la mesure où, le matin même, à une inauguration du tramway, il avait justement déjà estimé que les harkis étaient « les cocus de l’UMP » ?
Oui, vous avez raison. A force de verser dans la violence verbale Georges Frêche a subi un retour de manivelle qui a coalisé contre lui, chez ses adversaires, comme chez certains de ses propres amis, ainsi que chez les journalistes locaux, tous ceux qui ne supportaient plus ses excès de langage. Ceux-là ont été ravis de le voir puni par là où il avait péché…De là à écrire « Frêche = Le Pen »… Les journalistes qui ont franchi ce pas ont manqué à toute retenue, et surtout à leur devoir d’information véridique.
A propos des malheurs de Frêche avec la Septimanie, l’An I de la gratuité, le Midi Libre se défendait des attaques du président de la région en arguant que le quotidien faisait son travail. Les articles étaient tous négatifs selon vous. Est-ce que Midi Libre avait un parti pris ou a fait preuve de négligence ?
Le rachat du groupe des Journaux du Midi, laisse à craindre, selon Alain Rollat un « appauvrissement du contenu rédactionnel« .
Alain Rollat sur La Depeche du Midi (2)
La défense de Midi Libre aurait été plus crédible si le quotidien régional s’était montré équitable. En montant en épingle tout ce qui apparaissait en négatif dans le bilan régional de Frêche, à l’automne 2005, sans publier en regard tout ce qui pouvait apparaître en positif, Midi Libre a donné le bâton pour se faire battre. Frêche y a vu une volonté de lui nuire, il a déclenché des représailles en privant le journal d’une partie de ses recettes publicitaires, puis ce contentieux a dégénéré quand l’affaire des « sous-hommes » a éclaté, en février 2006. A ce moment là Midi Libre a réglé ses comptes avec Frêche dans tous les sens du terme. Il a préféré la loi du talion à celle de l’information, ce n’était plus du journalisme mais une vulgaire empoignade.
Georges Frêche s’est-il réjoui des turbulences du Midi Libre? L’auteur donne son avis sur les relations qui unissent une presse régionale et la classe politique.
Alain Rollat, presse régionale et pouvoir politique (3)
Vous parlez des relations entre le président de la région et le Midi Libre qui sont houleuses. Le Midi Libre n’a-t-il que des torts ? Dans son rapport aux médias Frêche n’utilise-t-il pas des moyens de pression ?
Non, tous les torts ne sont pas du côté de Midi Libre. Georges Frêche a fait de ses rapports avec la presse des rapports de force et dans ce genre de situation la vie est difficile pour tout le monde. Le traitement de l’information en subit fatalement des conséquences et c’est dommage.
Dans la lutte des quotidiens régionaux ou locaux La Gazette est souvent taxée de « frêchiste ». Est-ce avéré ? Et cela n’est-il pas de nature à créer un système médiatique binaire ?
La Gazette de Montpellier s’est construite, depuis 1987, en opposition culturelle au contenu de Midi Libre qui était alors en situation de monopole. Et il vaut toujours mieux, où que ce soit, disposer de deux journaux plutôt que d’un seul. L’information des Montpelliérains y a trouvé son compte. Georges Frêche, dont les relations avec Midi Libre ont toujours été tumultueuses, a naturellement tiré profit de ce pluralisme mais le contenu de La Gazette a toujours été équilibré. Je veux dire que si son fondateur, Pierre Serre, ne fait pas mystère de ses convictions de gauche, ni de sa sympathie personnelle pour Georges Frêche, le contenu de son hebdomadaire n’est pas, pour autant, celui d’un journal militant ou celui d’un journal inféodé. Frêche n’y est pas épargné quand il mérite d’être épinglé. Le succès spectaculaire de La Gazette prouve, me semble-t-il, que, à Montpellier, les citoyens apprécient beaucoup la diversité que leur garantit ce système binaire en matière d’information, sans oublier la contribution satirique de « L’Agglo-rieuse »…
Après les deux livres de Delacroix et Maoudj votre ouvrage a-t-il vocation à servir de synthèse ou à faire pencher la balance ?
Mon livre n’est ni un pamphlet ni un dithyrambe. Je ne suis plus, depuis très longtemps, en recherche de vocation. Si ma démonstration pouvait faire réfléchir certains de mes jeunes confrères à la nécessité de l’humilité dans la pratique de notre métier – et parfois au devoir de dire « non » à son propre employeur- j’en serais le plus heureux des vieux crabes…
Alain Rollat, ancien du Monde et des Journaux du Midi, se sait attendu par la profession sur le contenu de son livre. Ne craint-il pas une levée de boucliers? Pourquoi parler de « cas d’école »?
Alain Rollat se sait attendu par la presse sur la sortie de son livre
Frêche a-t-il encore un avenir politique (région ou ministère) ?
Il ne sera jamais ministre et il le sait. C’est trop tard. Quel chef de gouvernement prendrait d’ailleurs le risque de sa « grande gueule » ? Georges Frêche aspire à finir sa carrière au Sénat et à exercer un second mandat à la présidence de notre région. Je lui souhaite de sortir de la vie politique par cette grande porte car il mérite mieux que l’image qu’il donne trop souvent de lui-même.
Quel avenir entre Georges Frêche et le nouveau groupe de presse régional, allant de Bordeaux à Montpellier?
Alain rollat, Frêche face à la restructuration des groupes de presse
Montpellier est-elle encore aujourd’hui une « surdouée » ?
Le fait d’avoir été surdouée ne l’empêche pas de vieillir mais je trouve que c’est une ville qui vieillit bien parce que sa population a conscience que c’est une chance de vivre à Montpellier.
Etes-vous devenu «frêchiste» ?
Le journalisme politique, tel que je le conçois, interdit la connivence. Il impose, au contraire, la prise de distance maximale vis-à-vis du « sujet » à observer. Mon regard est celui de l’entomologiste. Frêche m’intéresse parce qu’il est un « spécimen » peu commun dans le paysage politique. J’ai longtemps observé le fonctionnement de Georges Pompidou sans devenir pompidolien, puis celui de Valéry Giscard d’Estaing sans devenir giscardien, puis celui de François Mitterrand sans devenir mitterrandolâtre. Je suis allergique aux étiquettes. Je n’étais pas frêchiste et ne le suis pas devenu. Je tiens trop à ma liberté d’expression pour l’aliéner.
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