Invisibles. Les détenus sexagénaires sont de plus en plus nombreux. Au 1er octobre 2005, les prisons françaises comptaient 2013 incarcérés âgés de plus de 60 ans, dont 411 avaient plus de 70 ans. Un chiffre en augmentation, notamment en raison de l’allongement des sanctions depuis l’abolition de la peine de mort en 1981. L’Observatoire International des Prisons par l’intermédiaire de deux rapports en cinq ans s’est penché sur les évolutions démographiques au sein des établissements pénitentiaires. L’OIP dévoile « une souffrance cachée derrière les murs ». Cette nouvelle donne se heurte à la vétusté des prisons. Les détenus âgés parlent peu de la mort. Leur souffrance est masquée. Peu nombreux à se suicider à cet âge-là, les personnes âgées incarcérées sont davantage dans le syndrome de glissement.
« C’est mes maudits genoux et cette foutue pluie Lorraine »
Maison d’arrêt de Metz-Queuleu. 17h, sous les néons qui peinent à compenser l’obscurité écrasante du couloir central, les détenus s’affairent à leurs occupations. La règle est simple, « il faut travailler pour gagner de quoi cantiner ». Le bruit des portes qui claquent et les verrouillages automatiques rythment le déplacement des incarcérés. Fred, 30 ans, et Jacques, 64 ans, allure frêle et fragile, ont pour mission d’acheminer « les gamelles » des cuisines au « Bloc B » où séjournent les détenus. Fred pousse le chariot pendant que Jacques ouvre les lourdes portes. A leur passage l’odeur de tabac froid s’efface et laisse place au parfum du menu du soir. « Ce soir c’est choucroute les gars, Alsace en force ! » annonce Fred. Un peu plus loin, stoppé net par trois marches d’escalier, Luc, 59 ans, reprend des forces. Armé de sa canne, il exprime sa souffrance « c’est mes maudits genoux et cette foutue pluie Lorraine, c’est pas bon pour mes rhumatismes ». Philosophe ou réaliste il enchaine, « de toute façon, ici, c’est bien le seul endroit où je ne suis pas pressé. »
INTERVIEW : Marcel, 67 ans a purgé une peine de 16 ans de prison. Les trois dernières années, il était incarcéré à la maison d’arrêt de Metz-Queuleu. Il a retrouvé la liberté en Juillet 2007.
Quel regard portez-vous sur vos seize ans d’incarcération ?
Etrangement, ce n’est pas la solitude ou la privation de liberté qui m’a le plus fait souffrir. On s’habitue à tout. Ce qui m’a le plus peiné c’est de ne pas pouvoir être au sein de ma famille durant des périodes douloureuses. Ne pas pouvoir assister à l’enterrement de ma mère m’a beaucoup peiné. La prison n’est pas différente de dehors sur un point. Si on garde le moral, la vie y est plus facile.
Comment vivez-vous votre réinsertion notamment au regard de votre âge ?
J’ai une chance que beaucoup d’autres détenus de mon âge n’ont pas. Mon épouse et ma fille ne m’ont pas quitté. Ce qui change tout. Non seulement en prison car je gardais le moral et j’avais des visites qui m’apportaient beaucoup de joie, mais aussi à l’extérieur. Je n’ai pas eu à me « réadapter à la vie » tout seul ; j’ai pu prendre le temps. Beaucoup de choses ont changé et à mon âge, il faut du temps pour comprendre. Internet, les portables, la carte vitale, tout ça je ne connais pas, moi !
« A la sortie on est plus seul qu’un mort. »
Que pensez-vous du fait que de plus en plus de détenus ont plus de 60 ans ?
La prison n’est pas faite pour accueillir ce public. Physiquement, c’est dur. Les portes sont lourdes, il fait froid, c’est bruyant, on s’ankylose, etc. Les services de soins ne sont pas à la hauteur des pathologies du troisième âge. Moralement, chaque année qui passe est de plus en plus souffrance. On perd espoir de revivre pleinement un jour surtout si, comme c’est souvent le cas, la famille n’est pas présente ou disparaît subitement. Du coup, à la sortie on est plus seul qu’un mort.
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