Justice : le long combat de Rabia

Par le 23 janvier 2008

Assise sur un banc du palais de justice de Nîmes, elle attend. Le président du Tribunal Correctionnel ne veut personne dans la salle pour cette affaire, même pas elle, la mère. Juste les avocats des deux parties. On ne saura pas ce qu’il sera dit.

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Accompagnée d’une amie retraitée, membre de l’association « Azur » Rabia ne veut rien laisser transparaître. « Ils ont tué mon fils, mais je veux rester digne » martèle-t-elle d’une voix sèche. « Trois ans que j’attends. Trois ans. Vous trouvez ça normal ? Et maintenant ce juge qui refuse qu’on assiste aux débats… »

Depuis quatre ans, elle se bat pour que « les assassins » de son fils, Mourad, mort en 2003 à Durfort (Gard), passent devant la Cour d’Assises, et non devant le Tribunal Correctionnel. C’est un véritable combat que mène cette mère pour qu’éclate enfin la vérité sur cette nuit du 1er au 2 mars, quand la gendarmerie tira 17 coups de feux sur la camionnette de trois jeunes soupçonnés de tentative de cambriolage. Mourad, touché à la nuque, décédera quelques heures plus tard à l’hôpital.

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Rabia a perdu depuis longtemps confiance en la justice. Après les faits qui avaient débouché sur des émeutes dans le quartier Valdegour de Nîmes, d’où était originaire Mourad, ses deux compagnons d’infortune avaient été rapidement jugé puis condamné pour vol. Mais en ce qui concerne les gendarmes, les choses prennent beaucoup plus de temps. « Le tireur était un stagiaire. Il a été mis en examen, mais on voudrait le voir aux Assises » précise Martine, soutien sans faille de Siham. « Bien sûr, sa hiérarchie voudrait éviter ça. On en est là. » Se cachant au départ derrière la légitime défense, les gendarmes ont revu leur copie quand, à l’automne 2004, le chef de patrouille avoue avoir menti : à rebours de sa version initiale, tricotée pour couvrir l’auteur des coups de feu, il dit maintenant ne jamais avoir donné l’ordre de tirer. Mais la révélation de son faux témoignage n’entraîne ni nouvelle enquête ni reconstitution après celle de février 2004, « reconstitution où j’avais été exclu » précise Rabia. En juillet 2005, deux gendarmes sont mis en examen pour faux en écriture. L’affaire prend de l’ampleur, et commence à inquiéter en haut lieu. Et c’est à pas comptés que la justice tire tout ce beau monde vers un procès en correctionnelle, en requalifiant les faits « en coups et blessures ayant entraîné la mort, sans intention de la donner. »

« Une justice à deux vitesses »

Rabia n’hésite pas à raconter son histoire. Simplement, avec ses mots à elle. « J’ai décidé de poursuivre les trois gendarmes présents aux moments des faits car j’estime qu’un jeune de 17 ans n’a pas à mourir comme ça. Même s’il avait fait une bêtise. » Elle a longtemps cru que le tireur et l’officier qui avait donné l’ordre seraient vite déféré devant le juge. Elle a dû déchanter. « Il y a deux vitesses dans la justice. Les justiciables comme vous et moi. Et puis les autres, protégés par leur administration. Qui continuent leur métier en toute impunité. J’ai parfois l’impression de dérouler une pelote de laine, sans en voir le bout.» Elle ne désespère pas arriver à ses fins, à savoir « voir les responsables de la mort de mon fils répondre de leurs actes devant douze jurés. »

Au fur et à mesure que les souvenirs remontent, les yeux de Rabia s’embrument. Une larme coule alors le long de sa joue. Elle l’enlève d’un geste vif, presque violent. Ne rien montrer, comme un credo. « Je dois rester droite. » On la sent quand même vaciller sous le poids de cette justice qui met trop de temps à lui rendre une décision.
Rabia se lève, tente une entrée dans le Tribunal Correctionnel. La réponse du président tonne jusque dans les couloir. « Madame, une fois de plus, je vous répète que l’audience n’est pas publique. Je vous demande de sortir ! » Elle sort, hausse les épaules, lance un regard incrédule à Martine, puis se rassoit. Pour attendre, encore.

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