Rencontre avec le mouvement islamique Ennahda à Lyon

Par le 3 octobre 2011

La Tunisie s’apprête à élire une assemblée constituante, le 23 octobre prochain, afin de tourner définitivement la page du régime Ben Ali. Pour la première fois, les Tunisiens de l’étranger seront également représentés. En France, des scrutins auront lieu les 20, 21 et 22 octobre. L’Hexagone a été divisé en deux circonscriptions: le nord (Paris, Pantin, Strasbourg) et le sud (Lyon, Marseille, Toulouse, Grenoble, et Nice). Le mouvement islamique Ennahda, favori des élections, sera représenté pour la tête de liste sud par un Lyonnais. Rencontre.

Un bureau, un ordinateur, une grande table de réunion, un canapé, et un cadre orné d’un verset du Coran. C’est le nouveau local des militants d’Ennahda (Renaissance), le parti islamique tunisien. Situé à Saint-Priest, dans la banlieue lyonnaise, il est «provisoire, le temps des élections», nous confie Neji Jmal, tête de liste du mouvement, accompagné de trois militants.
A première vue, rien n’indique les orientations politiques de ce cadre de 46 ans, docteur en histoire et père de 5 enfants. S’exprimant dans un français impeccable, ce réfugié politique arrive en France en 1986, pour ses études.
Mais il ne retournera pas en Tunisie, le dictateur Ben Ali mène alors une campagne de répression terrible contre le mouvement, accusé de vouloir le renverser. Des milliers de militants sont arrêtés et torturés, d’autres, à l’instar du leader Rached Ghannouchi, sont contraints à l’exil. S’en suit une longue traversée du désert pour le mouvement.

« Nous ne voulons pas gouverner seuls »

Jusqu’à cette fameuse révolution, inaugurant le printemps arabe. Pendant des années, le parti est parvenu à maintenir une structure, essentiellement à l’étranger, malgré la répression et la dispersion de ses membres. Son activité consistait essentiellement à organiser des conférences pour dénoncer la situation des droits de l’homme, et à collecter des fonds pour les familles en Tunisie dont les membres étaient en prison.
Comme tous les observateurs, les dirigeants d’Ennahda n’ont rien vu venir, surpris par l’ampleur du soulèvement. «Pour les plus optimistes des Tunisiens, le changement pouvait venir de l’intérieur du système, mais personne n’imaginait un soulèvement populaire» admet Neji Jmal. Le parti soutient bien évidemment la révolution, mais tient à ne pas apparaître sur le devant de la scène. «Nos membres ont rejoint la révolution en Tunisie, et nous avons organisé des manifestations de soutien en France. Mais nous étions conscient que le régime tunisien était soutenu par les puissances occidentales. Et nous ne voulions pas que Ben Ali puisse prétexter des manifestations islamistes, pour diaboliser le soulèvement. Quant à ceux, en Tunisie, qui nous accusaient de vouloir récupérer la révolution, ils ne devraient pas oublier que c’est notre mouvement qui a le plus payé des années de plomb et qui a fait le plus de sacrifices».
Neji Jmal regrette que les puissances occidentales regardent le mouvement Ennahda «à travers les lunettes de Ben Ali». Il souhaite que son parti puisse travailler avec d’autres, à l’issue du scrutin :«Le mouvement Ennahda ne veut pas gouverner seul. La situation exige une participation politique large et un consensus entre les parties, d’autant que la rédaction de la Constitution concerne tous les Tunisiens. Toutefois si nous avons la majorité absolue nous assumerons». Mais la crainte de devoir diriger un pays seul se fait ressentir, car Ennahda n’en a pas l’expérience, et ne souhaite pas susciter l’hostilité des puissances occidentales, bien que le mouvement refuse toute ingérence.

La liberté, la dignité et la justice sont des valeurs islamiques

Neji Jmal tient à rassurer. Si le mouvement Ennahda est bien un mouvement islamique, il ne s’agit ni d’interdire ni d’imposer la religion par la force.
Certes, il tient à l’article premier de la Constitution qui dispose que «L’Islam est religion d’Etat», et ne conçoit pas «de voter une loi en contradiction avec nos références religieuses». De même qu’il n’envisage pas une quelconque relation avec Israël «tant que le problème palestinien ne sera pas réglé», une approche, selon lui, partagée par la majorité des Tunisiens.
Mais Neji Jmal tempère. «Nous avons notre lecture de l’Islam, que nous adaptons et que nous contextualisons. Par exemple, le système bancaire actuel fonctionne avec l’intérêt, ce qui est contraire à l’Islam. Mais le système de finance islamique n’est pas assez fort et répandu pour pouvoir l’adopter. Donc nous garderons le système traditionnel jusqu’à ce que nous trouvions un meilleur système. Nous appliquerons nos références petit à petit».
Une logique de persuasion, et non de contrainte, qui serait contre productive dans une Tunisie encore marquée par une laïcité imposée de manière autoritaire sous Bourguiba et sous Ben Ali. Neji Jmal tient toutefois à rappeler que «les valeurs que réclament les Tunisiens, la liberté, la justice, la dignité sont des valeurs islamiques. C’est cela qu’il faut commencer à mettre en place».
Une position partagée par les militants. Comme Bechir, qui ajoute qu’au sein du parti, «il existe des frères qui ne portent pas la barbe et des sœurs qui ne portent pas le voile. Nous sommes pour la liberté et tous ceux qui partagent notre programme peuvent nous rejoindre. Nous n’imposons rien à personne».
Ennahda tient à convaincre que son projet est d’édifier une Tunisie moderne et musulmane.

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à propos de l'auteur

Auteur : Farid Omeir

Etudiant en science politique mention relations internationales et titulaire d'un master 2 en Intelligence économique, j'ai rapidement compris l'importance de l'information aussi bien pour comprendre le monde qui nous entoure que pour la compétitivité et la performance économique des entreprises françaises. Passionné par le Moyen-Orient et l'actualité, je me suis naturellement tourné vers le Master 2 journalisme afin de satisfaire aussi bien mon envie de découvrir de nouveaux environnements que de couvrir l'actualité. (faridomeir@yahoo.fr)