Jean-Claude Martinez : « depuis 35 ans j’élève le peuple. Je leur fais croire qu’ils sont intelligents. »

Par le 13 mars 2010

Comment fait-on campagne quand on s’appelle Jean-Claude Martinez, qu’on a été pendant 25 ans vice-président du FN, puis exclu de ce même parti, après des différents avec la progéniture du père fondateur ? Comment fait-on campagne sans l’étiquette FN ? Comment fait-on campagne lorsqu’on dispose d’un petit budget et que les derniers sondages vous créditent de 0,5 % des voix ? A 3 jours du premier tour, rencontre avec l’aberrant, hyperactif et inclassable leader en Languedoc Roussillon de la liste La Région, la France, la Vie.

« Ce sont de faux habitants dans cette ville, un vrai décor de cinéma. »

« C’est beau, c’est grand, c’est fort la vie » telle est la devise de Jean-Claude Martinez. Mercredi 10 mars au marché d’Uzès (Gard), il a fallu toute la force de ce slogan à l’ex-vice-président du FN, pour convaincre les quelques rares électeurs. Refroidis par le froid et la neige ? Sans doute d’autant qu’« ici, c’est un marché bobos, il n’y a que des madamettes qui achètent bio. Ils ne sont pas à moins de 5 000 € par mois ». Tenace, il apostrophe pourtant « la bourgeoisie » et les commerçants à grand renfort d’humour, et de jovialité exubérante. « Si je trouve des clients, je vous les amène et vous vous m’amenez des électeurs ! » plaisante t- il auprès du boucher.

A ses militants, il ironise « Il faudrait peut-être trouver un électeur ! Allez, on s’agite, allons trouver les commerçants ! ». Ils sont huit ou neuf fidèles à le suivre, des anciens du Front National (FN) ou du Mouvement Pour la France (MPF) qu’il a ralliés à sa cause. Et le moins que l’on puisse dire c’est qu’il font corps avec leur candidat : « suivez-le, qu’il y ait du monde sur la photo ! » souffle l’un d’eux. Un autre, en passant devant un étal de charcuterie, tape sur l’épaule du candidat en s’exclamant : « tu devrais acheter des saucissons pour montrer aux musulmans qu’on aime le porc ! »

Chez les commerçants l’accueil n’est pas beaucoup plus chaleureux. Une vendeuse refuse le livret que lui tend la tête de liste « je suis apolitique, mais je vote blanc, je n’ai pas besoin de tous vos blablas ! ». Piqué, Martinez s’en va en maugréant « ce sont de faux habitants dans cette ville, un vrai décor de cinéma. Ils croient qu’on peut bâtir une économie avec des robes en coton équitable ! ». Et justement, lui, veut construire une vraie économie, avec une agriculture qui permet de faire vivre les agriculteurs, pas une «imposture du bio» comme le préconisent les Verts.

Il fait pourtant preuve de lucidité quant à son avenir incertain à la tête de la région. Crédité de 0,5% dans le dernier sondage, il avance les 1%, « c’est 1 000 voix, soit le nombre de résistants en 1940. Jésus, ce con, n’a fait que 12 voix et la 13e elle l’a trahit ». Puis il rebondit sur le pape qui en prend pour son grade : « il devrait s’occuper d’autre chose que des capotes ! »

Après le marché ça sera direction les vignobles. La crise de la viticulture ? «Quand on arrache une vigne, on plante de l’Allemand ou de l’Anglais !» s’exclame t-il. La solution ? « Un conservatoire de vignoble pour stocker les terres et installer les jeunes. »

« Si Jean-Marie a un pépin, c’est moi qui irait à la DDASS pour déclarer qu’il est maltraité par sa fille »

Depuis le 17 novembre 2008, Jean-Claude Martinez a été exclu du FN. Pourtant pendant 25 ans, il en a été le vice-président, la tête pensante (ndlr. il a écrit la majorité des discours de Jean-Marie Le Pen). C’est une grande «affection» qui l’unit à Jean-Marie Le Pen. Ils ne se sont pas « quittés dans le drame ». L’affection demeure, au point que « Si Jean-Marie a un pépin, c’est moi qui irait à la DDASS pour déclarer qu’il est maltraité par sa fille » s’esclaffe le bougre. Mais sur ce coup-là, le leader frontiste n’a pas pu soutenir son ami : Marine et France Jamet, même combat, même filiation, même fidélité.

Voilà donc Martinez à son compte, pour « ouvrir une autre voie ». Une maison de la vie et des libertés pour être précis. «Un terme chaud, un refuge pour tous ceux qui appartiennent à la grande famille des hommes, les vignerons, les agriculteurs, les personnes âgées, les moutons… s’emballe-t-il». Une cassure irrémédiable donc avec le FN, mais surtout avec la fille de son «ami Jean-Marie» qui se joue sur la «vie», explique t-il. «Je ne peux pas le suivre sur ce terrain là, je suis contre la peine de mort, contre l’euthanasie…».

« Depuis 25 ans j’élève le peuple. Je leur fait croire qu’ils sont intelligents »

Sans l’étiquette FN, plus difficile la campagne ? « Non, c’est la même puisque les gens sentent que je suis différent. Je ne suis pas dans l’uniformité des autres partis. Je leur donne un livret pas un tract. » Justement le programme de M. Martinez compte 100 mesures axées sur trois thèmes Protéger nos racines, ouvrir nos ailes et embellir nos vies. Poétique non ? Normal, ce Sétois, brillant universitaire et ami de Maurice Clavel a été parolier de Frida Boccara.

Cent mesures, n’est ce pas un peu indigeste pour l’électorat ? Point du tout : « C’est la grandeur de l’universitaire d’élever le débat. Depuis 25 ans j’élève le peuple. Je leur fait croire qu’ils sont intelligents, je suis là pour élever leur sphincter moral ». Faire croire aux électeurs qu’ils sont intelligents ou les traiter de cons, la nuance est faible. Pas pour Martinez. lui «engueule les gens pour les faire réagir», il ne les «caresse pas comme le fait Georges Frêche».

Le candidat déplore d’ailleurs qu’il ait insulté «un vrai homme d’Etat, un israélite.» et a eu l’audace de le taxer d’ «espagnol de merde» au cours d’une émission de Guillaume Durand à laquelle ils étaient tous les deux conviés. Pas rancunier le bonhomme, comme pour Le Pen, une grande affection l’unit au président de région sortant. «Il m’appelle mon frère» confie-t-il. Il affirme d’ailleurs avoir apporté la spiritualité, l’intellect à l’un, tandis qu’à l’autre il aurait pu amener la nuance, le devoir de l’universitaire d’élever le débat.

«Ceux qui votent FN vont à l’originale France Jamet, et ceux qui ne votent pas FN continuent de lui (ndlr. M.Martinez) coller l’étiquette FN.»

Paradoxal Martinez ? Ne lui dites surtout pas qu’il est d’’extrême droite, un mot «issu du bipartisme» qui lui hérisse le poil. Il affirme avoir tenté de changer la ligne du FN, il a même organisé une rencontre entre Jean-marie Le Pen et le roi Hassan II du Maroc (ndlr. il a été conseiller fiscal du roi et directeur d’étude à l’ENA du Maroc). Il devait aussi lui présenter Hugo Chavez, qu’il admire et a déjà rencontré à plusieurs reprises. Construire un «axe Europe- Amérique Latine», est d’ailleurs un point essentiel de son programme.

Finalement, cet hurluberlu de la politique, à la frontière entre la folie et le génie – «il est un peu fada et difficile à suivre !» selon un de ses co-listiers – se présente comme un «alternationaliste». Il accueille tout le monde dans sa «maison de la vie et des libertés». Pourtant en en voulant se détacher du « père fondateur », et surtout de la nouvelle étiquette FN portée par Marine Le Pen, il s’est tiré une balle dans le pied. Comme l’explique un de ses militants  » Ceux qui votent FN vont à l’originale France Jamet, et ceux qui ne votent pas FN continuent de lui coller l’étiquette FN. »

Enfin, lorsqu’on le questionne sur l’incohérence de son discours et de son parcours, il rétorque : «Ces classements sont stériles. A ce moment là, l’extrême droite commence à la SFIO. Je crois à la lutte des classes, regardez, ici à Uzès, les riches me reçoivent mal. Je ne suis contre personne. On ne tient pas 25 ans contre !».
Finalement c’est l’un de ses militant qui le résume le mieux :  » Martinez, il avait la tête au FN et le cœur ailleurs ». C’est beau, c’est grand, c’est un peu fort tout de même…

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Mis à jour le 13 mars à 22h30

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à propos de l'auteur

Auteur : Camille Garcia

« Avec le temps va tout s’en va », disait le grand Ferré... Tout, sauf cette envie de journalisme qui me tiraille déjà depuis longtemps. Le chemin fut sinueux et peu conventionnel avant d’intégrer ce master métiers du journalisme. Cinq longues années à errer entre une première année de droit, puis un master 1 LEA Europe qui aura eut le mérite de me faire franchir les frontières du territoire français pendant deux ans. Après un passage à Liverpool chez les quatre garçons dans le vent que sont les Beatles ou une épopée andalouse chez le roi Boabdil et sa divine Alhambra de Granada, me voilà en territoire Héraultais. « L e journalisme, c’est bouché » me disait déjà à l’époque Mme François la conseillère d’orientation en troisième. « Les journalistes, tous des fouineurs » ajoutait Mr Chabrier mon cher et tendre voisin. C’est dire si journaliste est une vocation, un sacerdoce qui demande avant même de pouvoir l’exercer une grande ténacité et une grande volonté pour s’opposer aux nombreux pessimistes voire détracteurs de la profession. Et pour continuer avec la morosité ambiante, maintenant, c’est la crise de la presse, la mort des journaux, le lecteur n’achète plus, ne fait plus confiance aux journalistes... Mais alors pourquoi vouloir se lancer dans une bataille déjà perdue ? Ma réponse est simple et courte : je ne me vois pas faire autre chose et c’est une histoire de passion et de passionnés. Je crois que c’est à nous futurs journalistes de reconquérir nos lecteurs, de revaloriser l’information, de la diversifier, de la rendre originale et pluraliste en répondant aux besoins du lectorat sans oublier de susciter chez eux l’envie de s’informer, d’en savoir plus. Alors même si les journalistes précaires se ramassent à la pelle comme les feuilles mortes du grand Prévert, tant pis! Je reste convaincue qu’après l’automne vient le printemps et qu’une nouvelle génération de journalistes, la nôtre, aura sa place. Satanée optimisme quand tu nous tiens !