Le Maroc peine à faire entendre sa révolution

Par le 22 février 2012

A l’occasion du premier anniversaire du mouvement de contestation du 20 février, nommé M 20 F, le comité de soutien de Montpellier organisait ce samedi un rassemblement sur la place de la Comédie. A cette occasion, Abel, l’un de ses membres, nous éclaire sur le contexte marocain.

A un an du début du mouvement, pourquoi organisez vous ce rassemblement à Montpellier ?

Nous avons voulu donner un écho en France à ce qu’il se passe aujourd’hui au Maroc et dont personne ne parle. Mais également parce que les membres du mouvement du M 20 F ont besoin de savoir que leur démarche est soutenue par les Marocains de l’étranger et par les autres pays. Or, les médias comme les partis politiques français n’ont presque rien dit de la situation actuelle.

Y a t il eu un événement particulier qui a provoqué la constitution du Mouvement du 20 Février?

Le Mouvement du 20 février est un mouvement de masse, initié par aucun parti politique ni aucun syndicat, mais qui regroupe aujourd’hui des centaines de milliers de personnes. Depuis le 20 février 2011, dans de nombreuses villes du Maroc, les gens se rassemblent chaque dimanche dans la rue pour exprimer leur ras-le-bol. Ils exigent un changement radical de la part du pouvoir, le Marhzen[[Le Marhzen ou Makhzen désigne le roi et l’ensemble des pouvoirs économiques qui en dépendent.]], qu’ils considèrent responsable de la situation dramatique dans laquelle se trouve le pays.

Ce sont principalement des jeunes qui par l’intermédiaire de Facebook à la suite des événements en Tunisie, ont appelé à des manifestations avec des associations de défense des droits de l’homme. Mais déjà depuis plusieurs années, des initiatives telles que des grèves ou des rassemblements, étaient organisées dans différents points du pays. Par exemple, l’association des jeunes diplômés au chômage est très active et se fait entendre régulièrement. Dès le mois de janvier 2011, un comité de soutien aux Tunisiens en révolte s’est constitué, rassemblant divers collectifs. Et rapidement a émergé la question : « Et nous, qu’est ce qu’on peut faire? » C’est ainsi que tout a démarré. Maintenant plus d’une soixantaine de villes lancent leurs propres initiatives.

Par quels moyens la population peut elle participer ?

Le mouvement est national et il existe une coordination nationale, mais dans chaque ville le mouvement est indépendant. Chaque section tient des assemblées générales pour discuter des lignes à suivre et des actions à mener. Les tâches sont réparties entre des commissions internes et des responsables sont élus temporairement pour chacune d’elles. La multiplicité des regroupements à travers le pays permet que les revendications soient adaptées à la situation locale, mais aussi empêche le pouvoir de freiner le mouvement.

« La stratégie du pouvoir est toujours la même : montrer avec l’appui des médias que le mouvement n’a pas d’ampleur, l’ignorer. »

Comment réagit le pouvoir ?

Il y a eu de nombreuses arrestations, et plusieurs emprisonnements. Certains ont été libérés grâce aux protestations du M 20 F. Afin d’échapper à la répression, les marches ne partent pas toujours du même lieu et parfois plusieurs sont organisées simultanément à différents points de la ville.
Mais lorsqu’il s’agit d’intérêts économiques importants, le pouvoir réagit violemment. A Tanger, le port a été bloqué par les dockers auxquels se sont joints des membres du M 20 F. Or, c’est le principal centre d’exportation du phosphate, qui constitue l’une des premières richesses du pays. L’affrontement a duré deux semaines. Mais la stratégie du pouvoir est toujours la même : montrer avec l’appui des médias que le mouvement n’a pas d’ampleur, l’ignorer.

Comment expliquez vous que les médias relaient si peu l’information ?

Nous faisons face à une véritable situation de désinformation. Même en France, seuls Mediapart et L’Humanité ont évoqué la vraie lutte du M 20 F. Pour les autres médias, les réformes engagées par Mohamed VI sont la preuve d’un processus démocratique. Or, ce n’est pas vrai.
Le pouvoir a toute une stratégie visant à faire croire que le pays est démocratique. Chaque fois que survient un problème, une commission désignée par le roi ou ses ministres, est chargée de résoudre le problème. Seulement, et de manière systématique, ces personnes ne sont pas du tout représentatives de la population et les décisions se soldent toujours par une complète inertie. De même, il envoie des délégations à l’étranger communiquer sur sa démarche démocratique. Ainsi il pense aplanir les revendications du peuple, et laisse croire à une volonté de changement. Mais cette attitude a fini par provoquer l’effet inverse. C’était possible encore sous Hassan II car les gens croyaient à une alternative et de fait, les médias et l’opposition étaient plus libres. Mais c’est terminé, les Marocains sont dans une étape de maturation politique et ne croient plus à ces subterfuges.

Les modifications apportées à la constitution et l’organisation avancée des législatives ont elles modifié le cadre politique ?

Ces deux étapes font précisément partie de cette même stratégie visant à faire croire à un processus démocratique. Au Maroc le pouvoir est détenu par le roi qui est entouré de « prédateurs »[[Le terme de « prédateur » est employé par Catherine Graciet et Eric Laurent, Le roi prédateur : main basse sur le Maroc, Seuil, 2012]] qui cherchent à s’enrichir. Ils détiennent l’économie du pays et ont démantelé l’ensemble des services publics, sur conseil du FMI dans les années 80.
La révolte actuelle de la population remet en cause le pouvoir du roi, qui s’est vu obligé de faire un semblant de réformes à la suite de nos revendications. Les modifications apportées à la constitution sont superficielles et ne modifient en rien la toute puissance du roi. Il s’appuie sur un gouvernement fantoche qui ne détient aucun pouvoir. Les postes importants du secteur public et de la justice ainsi que les ministres sont désignés par le roi. Le M 20 F montre que la population n’est pas dupe et que cette politique a atteint ses limites.

« Le soulèvement au Maroc est différent de ceux de Tunisie ou d’Égypte »


En Tunisie comme en Égypte on parle du rôle accru des « islamistes » suite aux Révolutions arabes. Qu’en est il au Maroc?

Le soulèvement au Maroc est différent de ceux de Tunisie ou d’Égypte. Les élections législatives anticipées de novembre ont vu les islamistes modérés du PJD (Parti de la Justice et du Développement) s’installer au gouvernement, mais cela n’a rien modifié car son pouvoir est nul. Au départ certains membres du PJB (Parti de la Justice et de la Bienfaisance, islamistes de l’opposition) faisaient partie du M 20 F. Mais la foule a demandé leur départ car elle ne voulait pas associer sa lutte à des revendications religieuses. Les plus extrémistes d’entre eux ont quitté les rangs du M 20 F.
En réalité, le mouvement est traversé par plusieurs courants. Même certains libéraux y adhèrent car ils attendent eux aussi la fin de l’oligarchie du Marhzen. De même aucune centrale syndicale n’est officiellement associées au mouvement, même si elles y participent. Ce qui importe, c’est la participation au mouvement sans récupération partisane.
Par contre, la nouveauté est l’importante participation des filles. Pourtant ce sont elles qui sont les premières visées par la police. Elles prennent le micro, portent des drapeaux ou se mettent en première ligne des manifestations.

La situation économique du Maroc a t elle été un facteur déclenchant des révoltes ?

Le territoire est divisé depuis des dizaines d’années entre un « Maroc utile » et un « Maroc délaissé ». C’est là que le quotidien est le plus dur. Les services publics sont minables : à l’école, les bâtiments sont délabrés et les professeurs médiocres. Les services de santé sont catastrophiques. Dans certains villages il n’y a même pas de route. L’ IDH (Indice de Développement Humain) du Maroc est classé 130 ème.[[Rapport sur le Développement Humain 2011. L’ IDH est un outil de mesure qui permet d’évaluer qualitativement la richesse d’un pays par rapport à son niveau de développement. Chaque année l’ ONU publie un classement de la plupart des pays.]]*
Beaucoup de filles sont retirées de l’école par leurs parents car les frais de scolarité coûtent trop cher. Les femmes sont pourtant obligées de travailler dans ce contexte économique difficile. Certains ne sont plus capables de payer l’eau et l’électricité. Les tarifs sont les mêmes qu’en France. Une famille de classe moyenne dont les deux parents travaillent doit débourser la moitié de son revenu pour payer l’électricité. Et si elle veut mettre ses enfants dans une école de qualité, elle doit encore verser de grosses sommes.
C’est ainsi que les Émirats Arabes investissent dans l’éducation. Il n’y a aucun contrôle dans ces écoles, l’enseignement est décidé par les investisseurs. C’est un moyen idéal pour diffuser des idées islamistes.

« Les Marocains n’ont plus peur et sont déterminés à faire naître une véritable démocratie. »


Quels projets vous attendent ?

Nous ne sommes qu’au début du processus : pour le moment, le manque de coordination est une faiblesse. Mais le pouvoir est désormais obligé de réagir. Les Marocains n’ont plus peur et sont déterminés à faire naître une véritable démocratie. Nous sommes attentifs à ce qu’il devrait se passer au Maroc le dimanche 19 février car il est très probable que le nombre de manifestants soit important. Mais peut être qu’ils préféreront attendre une autre date, afin de contourner la répression [[La participation de ce dimanche 19 février a été de plusieurs milliers de personnes à travers le pays. C’est moins que ce qui était attendu, mais les formes de luttes ont été diverses : blocage, rassemblements, rencontres syndicales…Le mouvement était présent dans la plupart des villes.]] .

A Montpellier c’est autour de l’appel au boycott à la consultation organisée à l’occasion de la réforme de la constitution que le collectif s’est construit. A cette occasion, nous nous étions rendus au consulat : il y eu une manifestation et nous avions dialogué avec le consul. Désormais nous rassemblons à Montpellier plusieurs dizaines de personnes, beaucoup d’étudiants, mais aussi des ouvriers, des chercheurs ou des gens qui n’ont pas de lien direct avec le Maroc mais qui soutiennent notre démarche. Le comité de soutien d’Avignon a fait partir une caravane vers le Maroc afin d’appuyer le mouvement. Nous envisageons d’en faire autant.

En France comme ailleurs, le projet prend petit à petit de l’ampleur. Des comités de soutien se créent un peu partout dans le monde. Un site internet devrait voir le jour très prochainement, regroupant l’ensemble des vidéos et articles réalisés autour du mouvement. Il devrait aussi permettre aux différents comités de soutien de se faire connaître et de diffuser de l’information dans plusieurs langues.

Le 18 février plusieurs membres de notre comité sont partis à Bruxelles afin d’alerter les responsables politiques européens. Un membre du M 20 F venu du Maroc était spécialement venu déjà l’an dernier à Bruxelles. Mais c’est compliqué de faire venir quelqu’un. Depuis peu de temps, des associations de défense des droits de l’homme nous appuient, et le NPA (Nouveau Parti Anticapitaliste) ou le Front de Gauche relaient nos appels.

2 bulletins d’informations ont été édité par le collectif de Montpellier. Pour les recevoir ou les contacter : soutien.20fevrier.maroc.montpel@gmail.com

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à propos de l'auteur

Auteur : Ombeline Devevey

Le journalisme s'est présenté comme un besoin; celui de donner la parole à des personnes et des expériences trop méconnues. L'organisation d'un festival de documentaire argentin au sein d'une association a été l'occasion de conjuguer mon besoin d'échange et d'engagement avec mon cursus universitaire. Les sciences humaines entre chercheurs n'étaient pas pour moi ! Mais mon attirance pour la sociologie et l'ethnologie persiste, d'autant plus qu'à travers ces études j'ai pu connaître l'Argentine, où j'ai passé plus d'un an. Nouvelle venue à Montpellier, j'espère que la découverte de cette ville sera l'occasion de nouvelles pistes de voyages.