Egypte : deux ans après, la révolution continue

Par le 28 janvier 2013

Hier, les Égyptiens ont rejoint une nouvelle fois la place Tahrir, là où tout avait commencé deux ans plus tôt. Sur un fond de tension, les revendications ont été émises haut et fort. Rares ont été les véritables commémorations de la révolution du 25 janvier 2011, l’heure était aux accusations.

Les restes de gaz lacrymogènes de la veille restent en suspend et le nez piquotte. En ce vendredi matin, jour de prière, ils ne sont pas nombreux à se recueillir sur la place Tahrir. Quelques milliers certes, mais on est loin des grands rassemblements euphoriques de l’année précédente, pour le premier anniversaire de la révolution. Sur le terre-plein central, le « Musée de la révolution » a ouvert ses portes. Photos et textes mettent à l’honneur les jeunes martyrs de la révolution. La commémoration s’arrête là.

Les partisans des Frères ne sont pas très nombreux et se font discrets. Aux contraire, les opposants à Mohamed Morsi et aux Frères sont présents en masse et le font savoir. Plusieurs slogans se partagent l’affiche entre les lampadaires : « A bas le guide Suprême », « Non à la Constitution des Frères » et le célèbre « Le peuple veut casser le régime » du 25 janvier 2011. Dans un coin, un portrait géant de Gamal Abdel Nasser sert de point de ralliement aux nasséristes nostalgiques.

Il est 13 h, la prière est terminée, la foule commence à prendre la place Tahrir d’assaut. Les shebab jeunes] de la révolution sont là. « La révolution continue. Je suis là pour manifester contre les Frères. », explique Hisham, « Ils nous ont pris notre révolution. ». Les Ultras Ahlawy avec leur drapeaux sont présents et mènent des cortèges à travers Tahrir. Tous demandent, expressément, le jugement des accusés pour le massacre de Port Saïd, où 72 de leurs amis ont perdu la vie le [1er février 2012.

Des milices civiles surveillent la place pour prévenir les harcèlements sexuels. Les femmes, peu nombreuses, restent en groupe. Dans un coin, une dizaine d’entre elles enchaînent les « Dégage » et autres slogans vindicatifs. Parfois un homme tente de placer un slogan mais c’est peine perdue, les femmes sont plus nombreuses et leur voix portent loin. Il se déclare vaincu le sourire aux lèvres.

« On vous voit »

Dans l’après-midi, les manifestants se font plus nombreux. La nuit tombe et les rues du centre-ville sont noires de monde. Bilal et ses amis affichent fièrement à leur bras un auto-collant « Shayfeenkom » on vous voit], avec un numéro à composer en cas d’urgence et l’adresse d’un site internet pour toute information [(shayfeencom.org). Cette organisation souhaite assurer, avant tout, la sécurité des manifestants. « Je ne suis pas ici aujourd’hui pour manifester contre Morsi. », explique Bilal, 25 ans, employé dans une agence de sécurité. « C’est notre président, il a été élu démocratiquement. Je suis venu demander une remaniement du gouvernement et une séparation claire entre le pouvoir et les Frères. Ils s’impliquent trop dans le nouveau régime, ils doivent rester à leur place, c’est tout. ». « Mais je ne suis pas d’accord avec les gens qui demandent la chute de Morsi. C’est ridicule. Aujourd’hui, on doit reconstruire l’Egypte et une nouvelle révolution n’apportera que des problèmes. », ajoute-il avant e rejoindre ses amis dans un café de Bab El-Louk.

Affrontements mortels

Avec la nuit, les tensions resurgissent. De la place Bab El-Louk à Qasr El Aïni, en passant par Zaad Zaghloul et sharia Falaky, des centaines de policiers sont déployés. Les barrages de fil barbelé empêchent tous les véhicules de circuler dans la zone du Parlement et du ministère de l’Intérieur. En train de dormir dans de vieux bus, des policiers en civils attendent de passer à l’action. Peu à peu, les familles quittent la place Tahrir et les jeunes tentent de s’attaquer aux murs. Les bombes de gaz et les pierres volent à nouveau. A quelques centaines de mètres, les Ultras Ahlawy manifeste près du pont du 6 Octobre. Ils déclarent haut et fort que le jugement du lendemain, pour les responsables du massacre de Port Saïd, devra répondre à leurs attente, sinon leur colère sera fatale. Les affrontements ne se font pas attendre. A Suez, la situation est plus violente. Dans la soirée, tous les gouvernorats connaissent des troubles. A 22 h, le Ministère de la Santé fait état de 5 morts et de plusieurs centaines de blessés.

Comme le 25 janvier 2011, les gaz lacrymogène se répandent dans le centre-ville du Caire et les pierres volent sur la place Tahrir. La révolution continue certes, mais personne ne sait vraiment dans quel direction. Il y a deux ans, les Égyptiens ont découvert le pouvoir de la rue et ils ne sont pas prêts de le lâcher.

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à propos de l'auteur

Auteur : Camille Martin

Le printemps arabe et ses révolutions ont été un véritable déclic, le journalisme est alors devenu une évidence. Après une licence d'histoire à l'université de Rennes, j'ai vécu deux ans au Caire pour apprendre l'arabe égyptien et surtout découvrir un nouveau monde. Pendant mon master de recherche Histoire des Relations internationales, je me suis spécialisée dans la géopolitique du Moyen-orient. Mon mémoire pose les bases de la révolution égyptienne du 25 janvier 2011, un évènement auquel j'ai assisté de près. Mon stage au service politique/international à Ouest-France m'a permis de découvrir les dessous du plus important quotidien français, les bons côtés commes les mauvais et de me conforter dans mon désir de travailler en freelance, du moins au départ. Aujourd'hui, je souhaite associer reportages et enquêtes journalistiques pour effectuer un travail d'analyse sur une région en pleine mutation, aussi bien politique que sociétale.