Much Loved : Nabil Ayouch regarde le Maroc droit dans les yeux

Par le 2 octobre 2015

Présenté en compétition officielle à la Quinzaine des réalisateurs lors du Festival de Cannes 2015, Much Loved, le nouveau film Nabil Ayouch a provoqué un véritable choc. L’oeuvre a été interdite dans toutes les salles obscures marocaines.

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Nabil Ayouch, réalisateur Franco-Marocain, confirme alors son penchant pour les sujets sensibles. En 2013 il avait réalisé Les chevaux de Dieu, œuvre à l’ampleur percutante sur l’endoctrinement de deux frères marocains qui commettront les attentats de Casablanca en 2013 causant la mort de 41 personnes.

Cette fois-ci, Ayouch se concentre sur l’univers des prostitués dans le Marrakech d’aujourd’hui. Alarmant et nécessaire, ce brûlot assume jusqu’au bout son propos. Et c’est tant mieux.

Censure vs liberté d’expression

Résultat, Much Loved a fait réagir de l’autre côté de la Méditerranée. Parler de prostitution dans un pays où la liberté d’expression est encore très relative, a aiguisé les ciseaux de la censure. Considéré par le gouvernement marocain comme « un outrage grave aux valeurs morales et à la femme marocaine, et une atteinte flagrante à l’image du royaume », le film n’est sorti sur aucun écran du pays. Une censure à laquelle le réalisateur a vivement réagi dans Le Figaro : « Je m’attendais à ce qu’il y ait un débat autour d’une problématique réelle qui touche des familles entières et autour de la femme dans la société marocaine, mais pas à une telle dureté ».

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Combat, misère sociale et infinie beauté

Pourtant Much Loved est un film parfois cruel mais jamais misérabiliste. Sa beauté transparaît à travers ses actrices toutes sublimes de vérité et touchantes de sensibilité. Il a également une utilité sociale : dépeindre une réalité de fait qui est le quotidien de ces prostituées.

Nabil Ayouch sait sublimer ces femmes. En resserrant son cadre sur les actrices, leurs visages, leurs expressions, le réalisateur marocain arrive à nous émouvoir en dévoilant leur intimité la plus profonde. Elles sont constamment contraintes, bafouées, mais Ayouch en fait de vraies battantes, des femmes pleines de vie. Jamais moralisatrice, sa caméra magnétique les filme avec compassion. Elles sont souriantes et démunies mais elles sont dignes. Un portrait à quatre-têtes saisissant sur des protagonistes à la fois tragiques mais jamais défaitistes.

Much Loved renvoie à l’univers féminin de Bandes de filles de Céline Sciamma. Mais la réalisatrice française avait pourtant échoué à nous faire véritablement croire en ses personnages et leur combat pour s’émanciper, en son récit. Ayouch à l’inverse, tape dans le mille. Un travail en amont avait été effectué, notamment dans la rencontre de centaines de prostituées : « Elles m’ont raconté leur vie, leur solitude, leurs blessures, comment elles en étaient arrivées là. Et aussi la manière dont elles se voyaient elles, avec évidemment une perte d’amour propre terrible… Ces filles sont des guerrières, des amazones des temps modernes ». [1]

[1] Secrets de tournages, Allociné

La Bande Annonce :

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à propos de l'auteur

Auteur : Jonathan Rodriguez

Né en terre Montpelliéraine, le journalisme m’est toujours apparu comme une évidence. Les notions de partage et de curiosité m’ont constamment accompagné dans mon développement. Rendre compte du monde qui nous entoure est mon leitmotiv. Passionné par le cinéma depuis le plus jeune âge - où les douces images de Terrence Malick m’ont bercé – ainsi que par le sport et sa ferveur enivrante, le journalisme me permet à travers ses formats divers et variés de transmettre ses passions, les faire vivre et c’est ce qui est le plus important. La transmission. Ma formation en science politique m’a également permis d’accentuer mon attrait pour la politique, les relations internationales et les questions sociétales. Du nécessaire Mediapart, au collectif revigorant So Press en passant par l’indispensable Monde Diplomatique, toutes ses inspirations me façonnent au quotidien et me confortent un peu plus chaque jour dans mon envie d’être un journaliste. Je me bats pour un journalisme citoyen, ludique, intelligent et accessible. « A quoi est supposé servir un journaliste, selon les canons d’une tradition qui unit règles professionnelles et principes politiques ? Tout simplement à apporter aux gens les informations dont ils ont besoin pour être libres et autonomes. » Edwy Plenel