Jean-Yves Dormagen : « Un Français sur cinq a un problème d’inscription sur liste électorale »

Par le 7 mars 2016

Jean-Yves Dormagen est professeur de Science Politique à l’Université de Montpellier. En 2007, il coécrit avec Céline Braconnier La démocratie de l’abstention. Aux origines de la démobilisation électorale en milieu populaire, où il traite notamment des problèmes de mal-inscriptions. Après des couacs relevés lors des dernières élections régionales, il revient sur ce problème qui n’est pas nouveau.

Comment expliquer ces procédures complexes qui empêchent les gens, et surtout les jeunes, de voter ?

C’est la manifestation d’un système complètement obsolète et aberrant. Au nom d’une pseudo lutte contre la fraude électorale on met en place des procédures extrêmement lourdes et compliquées. La France est un des seuls pays au monde à avoir une procédure d’inscription sur listes électorales. Ça existe quasiment nulle part ailleurs.

Ici à Montpellier, la procédure est compliquée. Y-a-il un déséquilibre entre les villes françaises ?

Le plus surprenant c’est que les mêmes dossiers sont acceptés dans certaines villes et refusés dans d’autres. Les exigences ne sont pas les mêmes d’une mairie à l’autre. Des documents sont acceptés à Cergy Pontoise et refusés à Montpellier. Chacun a son interprétation de ce qu’est une preuve de domicile. Nous faisons une étude dans l’Ecusson (quartier du centre-ville de Montpellier) : au moins la moitié des inscrits n’habitent plus là. C’est complètement surréaliste.

« La procédure lourde et complexe empêche à des citoyens qui sont prêts à voter de le faire. »

En quoi le fait de devoir s’inscrire sur les listes électorales un an à l’avance, exceptionnellement deux mois pour les dernières élections régionales, est-il un problème ?

Le calendrier d’inscription sur les listes électorales est complètement anachronique. On demande aux gens de s’inscrire alors que les campagnes électorales n’ont pas débuté.

Concrètement, que faire pour palier à ces lourdeurs administratives ?

Il y a des méthodes plus drastiques et radicales. Par exemple, pourquoi quelqu’un qui change de domicile et fait un changement de suivi de courrier à La Poste n’est-il pas inscrit automatiquement à sa nouvelle adresse ? Ou bien quand vous changez votre carte grise automobile ou que vous obtenez votre permis de conduire ? On pourrait faire un système assez simple, il y aurait juste une case à cocher.

« Je regrette de ne pas avoir voté. Je n’ai pas pris le temps de faire procuration, je ne savais pas vraiment comment on devait faire. » Nolween, 21 ans, Lyon – originaire de Rennes.

Beaucoup de mal-inscrits veulent voter au second tour mais n’ont pas fait de procuration…

Énormément de citoyens ne connaissent pas les procédures, ces questions d’inscriptions sont très peu médiatisées. Aux dernières élections régionales par exemple, avec la dramatisation autour de la présence du Front National au second tour, ça peut donner envie à des abstentionnistes du premier tour d’aller voter. Hors quand vous êtes mal-inscrits, c’est très compliqué. C’est décourageant.

« Il y a des pubs partout pour dire qu’il faut aller voter, mais derrière, ça ne suit pas ! » Coralie, 18 ans, Montpellier – originaire de Nissan-lez-Ensérune.

Quelle serait la solution pour simplifier le système de procuration ?

La procuration totalement en ligne. Déjà pour une unique question de temps, pourquoi on ne peut pas faire une procuration le jour du vote ? Aujourd’hui à l’ère de l’informatique, c’est facile, on pourrait avoir un passeport électoral crypté, il suffirait de matcher les fichiers pour voir si vous n’êtes pas déjà inscrits ailleurs.
Tout devrait être dématérialisé, ce serait plus sûr, beaucoup moins couteux, plus rapide et plus efficace. Mettre en place une procuration en ligne c’est juste une question de volonté politique, techniquement c’est faisable.

Quelles sont les conséquences de la mal-inscription sur l’abstention ?

C’est responsable d’une partie de l’abstention même si ça n’explique pas tout, loin de là. Pour autant, ce n’est pas sans conséquences. Beaucoup de mal-inscrits ne votent pas alors qu’ils le feraient peut-être s’ils avaient juste la rue à traverser pour déposer leur bulletin de vote. On sait qu’en France si on supprimait la procédure d’inscription sur les listes électorales, il y aurait plus d’électeurs.

En quoi le calcul de l’abstention sur les inscrits fausse en réalité les chiffres de ceux qui n’ont pas voté ?

Le taux de participation est calculé sur les inscrits, on occulte totalement les non-inscrits. En volume électoral il y aurait plus de votants. Ça contribue à surestimer la participation électorale. On se plaint qu’il y a beaucoup d’abstention mais on a créé un système où on l’occulte un peu. Quand on dit qu’il y a eu 50 % de participation aux dernières régionales – ce qui est déjà très faible – on devrait plutôt parler de 40 % : c’est encore pire.

« Quand j’ai déménagé, je n’ai eu aucune information, j’ai entendu que c’était le dernier jour pour s’inscrire sur les listes aux infos à la télé, le jour-même. », Armelle, 21 ans, Lyon – originaire de Rouen.

Quels sont les enjeux de la mal-inscription sur les listes électorales ?

Il y a une très forte méconnaissance par les pouvoirs publics de ces enjeux-là, ils ne se rendent pas compte. C’est devenu un enjeu démocratique et institutionnel majeur. Il est vraiment urgent de modifier ce système et d’en faire un système adapté à la société du 21ème siècle.

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