Jean-Claude Mauroux, visiteur: « la prison est un lieu de vie, on s’y attache. »

Par le 15 décembre 2009

Jean-Claude Mauroux est membre de l’association Aviso Montpellier qui apporte un soutien aux détenus et à leur famille. Il est également représentant de l’Association Nationale des Visiteurs de Prison (ANVP). Ce truculent personnage, ancien syndicaliste militant n’a pas sa langue dans sa poche, quant à l’état du système pénitentiaire français. Retraité, il met sa bonne humeur, son humour et son incroyable humanisme au service de ceux qui, derrière les barreaux, en manquent cruellement. Il accueille et guide également les familles des détenus, parfois perdues dans la rigueur du système carcéral. Entre deux parloirs, entretien devant le local d’accueil des familles, à la prison de Villeneuve-lès-Maguelone.

Haut Courant : Comment devient-on visiteur de prison ?

Jean-Claude Mauroux : Pour moi ce fut un peu un hasard… J’étais employé municipal à Bordeaux. Très investi dans le syndicalisme, j’ai été secrétaire national de Force Ouvrière (FO) à Paris. J’ai toujours aimé le contact humain, les luttes pour des causes justes, je suis profondément contre tout ce qui bafoue les droits de l’Homme. Bref, après avoir déménagé à Montpellier, je suis tombé sur une annonce de l’association Aviso qui cherchait des bénévoles, et je me suis lancé. C’était en 2006, depuis je n’ai pas arrêté. C’est un peu la continuité du syndicalisme. Le jeudi je fais l’accueil des familles, et je donne des cours de code le mardi. En plus de mes visites une fois par semaine aux deux détenus dont je m’occupe : Nicolas et Mohamed. Tiens regardez, vous pourriez interviewer les rats, il y en a beaucoup ici à cause des conditions d’insalubrité et de la nourriture que jettent les détenus par les fenêtres (il montre en rigolant un rat juste à quelques mètres de nous !)

HC : Pourquoi jettent-ils la nourriture, ils n’ont pas de poubelle ?

JCM : Si, mais c’est leur façon de protester contre « la gamelle ». C’est un peu spécial en prison, il y a deux façons de se nourrir, la gamelle c’est la nourriture préparée par les détenus. Pour les plus chanceux, soutenus par leurs familles, ils peuvent « cantiner ». C’est-à-dire acheter leur propre nourriture à une société privée et c’est eux qui cuisinent. L’argent est ensuite directement prélevé sur leur compte car l’agent est interdit en prison. Mais les produits sont beaucoup plus chers qu’à l’extérieur. Une bouteille de coca c’est presque 3 euros. Voilà une chose que peu de personnes connaissent et qu’il faudrait changer dans le fonctionnement interne des prisons.

HC : Justement, vous qui pénétrez dans la prison, comment sont les conditions à l’intérieur ?

JCM : La prison est surchargée. Elle a une capacité d’accueil de 593 places, et il y a environ 700 hommes dedans. Je vous laisse imaginer le reste. Ils devraient être deux par cellule, la plupart du temps, ils sont trois. La proximité, le manque d’hygiène et les rats sont souvent évoqués par mes gars. Vous savez, même en rentrant dedans, on n’est pas au courant de grand-chose. L’univers carcéral est assez opaque. Et puis je n’entre pas vraiment au cœur de la prison, je n’ai pas accès aux couloirs de détention. Nous avons des salles d’activité à notre disposition, un peu éloignées de leurs cellules. C’est sûr qu’il y aurait beaucoup de choses à améliorer mais il n’y a pas assez de moyens en France, surtout pour les prisons, et c’est un réel problème.

HC : Et les relations avec l’administration pénitentiaire ?

JCM : C’est une relation de coopération, ils ont besoin de nous et on a besoin d’eux. Tout ce qu’on fait, c’est avec leur accord. C’est très réglementé, après cela dépend des surveillants, certains sont plus rigides que d’autres. Mais dans l’ensemble, ça se passe bien.

HC : Aujourd’hui vous êtes à l’accueil du parloir. Quelle est votre mission ?

JCM : Les premiers parloirs sont toujours difficiles. Les femmes des détenus sont perdues, souvent en pleurs. Notre rôle est de les rassurer, les guider sans jamais les juger, respecter leur dignité. Leur honte aussi. C’est pourquoi l’association Aviso a construit il y a trois ans un petit espace vert pour les enfants et a demandé la mise à disposition d’un local en attendant l’ouverture des parloirs. C’est plus convivial. Une des règles du visiteur de prison, c’est de ne jamais demander ni aux détenus, ni aux familles pourquoi ils sont en prison. On leur explique le règlement : pour les condamnés c’est un parloir par semaine, et pour les prévenus cela peut aller jusqu’à trois. Seuls les détenus peuvent demander un parloir, et ils peuvent les réserver jusqu’à trois semaines à l’avance. Les familles ont le droit d’amener un sac de linge et uniquement de linge lors de leurs visites. Pas de lettre, pas de nourriture. Après on assiste parfois à de petites ruses (il se marre en apostrophant une femme justement à l’œuvre !) Comme emballer de la nourriture dans du film transparent et se la coller sur les mollets, entre les seins. Mais on ne dit rien, ce n’est pas notre rôle. Avec certaines cela devient une relation de complicité, on les voit chaque semaine. Je suis d’ailleurs impressionné par la fidélité des femmes. Il y en a qui viennent plusieurs fois par semaine, même avec leurs enfants. Il y a une grande solidarité entre elles. Les mecs ne le feraient pas ! Pour revenir à Aviso, nous sommes présents du mardi au samedi toute la journée. Il y a trois roulements. Après le parloir, les familles sont gardées en attendant la fouille totale des détenus.

HC : Racontez-nous les jours où vous endossez le rôle de visiteur.

JCM : Je vais voir Nicolas tous les mardis depuis 15 mois. Il attend les Assises depuis plus d’un an. Mohamed, lui, est là depuis 6 mois. Il sort la semaine prochaine. Au début, je ne leur demande pas pourquoi ils sont là. Nicolas me l’a confié il y a peu. Je me demande comment il en est arrivé là, c’est une suite d’évènements, de circonstances, un engrenage. Pourtant il est cultivé. J’ai une certaine complicité avec lui. Il sait parler chinois, il passe le brevet en maths et en sciences. Il écrit dans la feuille d’Hector, le journal de la prison. Je l’écoute, on parle de tout et de rien. Avec Mohamed, j’essaie plutôt de faire de la prise de conscience. C’est aussi ça notre rôle.

HC : Jamais eu de difficultés particulières avec un détenu ?

JCM : La pédophilie je n’aurais pas pu. Ca ne m’est jamais arrivé d’en refuser, même si je me souviens du cas d’un cambrioleur qui n’arrêtait pas de se vanter de ses casses. Il en était fier ! C’était impossible d’avoir une autre conversation avec lui, heureusement il a été transféré. Il y a aussi des groupes de parole mais certains ne changeront jamais, ils sont menteurs… La prison ça ne sert à rien, ça ne fait que renforcer leur conviction. Il n’y en a pas beaucoup qui vont changer.

HC : Mais alors pourquoi êtes-vous visiteur si vous ne croyez pas à la possibilité de rédemption ?

JCM : On est obligé d’y croire un tout petit peu. Il faut beaucoup d’écoute pour entendre la souffrance des autres sans la juger. J’essaye de leur apporter un peu d’air frais. Vous voyez comme je suis, j’essaye de prendre les choses avec bonne humeur, à la rigolade. Je me dis qu’on a tous une boîte à outil à la naissance et qu’ils n’ont pas choisi le bon cette fois-ci. Mais qu’on contribuera un peu à ce qu’ils choisissent le bon outil la prochaine fois. La prison est un véritable lieu de vie, un monde à part. On s’y attache.

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à propos de l'auteur

Auteur : Camille Garcia

« Avec le temps va tout s’en va », disait le grand Ferré... Tout, sauf cette envie de journalisme qui me tiraille déjà depuis longtemps. Le chemin fut sinueux et peu conventionnel avant d’intégrer ce master métiers du journalisme. Cinq longues années à errer entre une première année de droit, puis un master 1 LEA Europe qui aura eut le mérite de me faire franchir les frontières du territoire français pendant deux ans. Après un passage à Liverpool chez les quatre garçons dans le vent que sont les Beatles ou une épopée andalouse chez le roi Boabdil et sa divine Alhambra de Granada, me voilà en territoire Héraultais. « L e journalisme, c’est bouché » me disait déjà à l’époque Mme François la conseillère d’orientation en troisième. « Les journalistes, tous des fouineurs » ajoutait Mr Chabrier mon cher et tendre voisin. C’est dire si journaliste est une vocation, un sacerdoce qui demande avant même de pouvoir l’exercer une grande ténacité et une grande volonté pour s’opposer aux nombreux pessimistes voire détracteurs de la profession. Et pour continuer avec la morosité ambiante, maintenant, c’est la crise de la presse, la mort des journaux, le lecteur n’achète plus, ne fait plus confiance aux journalistes... Mais alors pourquoi vouloir se lancer dans une bataille déjà perdue ? Ma réponse est simple et courte : je ne me vois pas faire autre chose et c’est une histoire de passion et de passionnés. Je crois que c’est à nous futurs journalistes de reconquérir nos lecteurs, de revaloriser l’information, de la diversifier, de la rendre originale et pluraliste en répondant aux besoins du lectorat sans oublier de susciter chez eux l’envie de s’informer, d’en savoir plus. Alors même si les journalistes précaires se ramassent à la pelle comme les feuilles mortes du grand Prévert, tant pis! Je reste convaincue qu’après l’automne vient le printemps et qu’une nouvelle génération de journalistes, la nôtre, aura sa place. Satanée optimisme quand tu nous tiens !