VIDÉO – Haut Courant filme le Cinemed #5

Durant le festival du cinéma méditerranéen, l’équipe de Hautcourant vous propose une série de vidéos sur les rapports hommes/femmes dans le septième art. De courtes interviews en lien avec l’actualité de l’affaire Weinstein.
Entretien avec : Eric Toledano et Olivier Nakache, réalisateurs.

PORTRAIT DU JOUR #5 – Hacene Larkem, le journalisme n’a pas de frontières

Dans le cadre du Cinemed qui met à l’honneur le cinéma algérien, des journalistes de ce pays ont été invités pour couvrir le festival. Une manière de découvrir une autre réalité du métier.

Pour Hacene Larkem, le journalisme est avant tout une passion. C’est à partir de la terminale qu’il prend goût au métier. Il participe à la rédaction du magazine du lycée. Et se lance ensuite dans des études d’information et de communication. Une fois diplômé, il réalise des piges pour différents médias algériens et travaille en Egypte. Il retourne en Algérie en 2011 et intègre l’agence de presse nationale algérienne, (l’Algérie Presse Service), en tant que reporter. En décembre 2012, il fait partie « des trois personnes qui ont créé le service audiovisuel de l’agence ». Un fait d’armes dont il est fier. Pour continuer à en apprendre sur son métier et se perfectionner dans l’audiovisuel, Hacene décide de reprendre ses études et finit major de sa promotion. Les six journalistes algériens présents au Cinemed sont aussi « les six majors de promo de chaque spécialité » de l’Ecole Supérieure de Journalisme d’Alger.

Quand on l’interroge sur la réalité de son métier en Algérie, il affirme qu’il existe « une crise de la presse, notamment pour la presse écrite et privée. Les journaux ferment, des journalistes sont au chômage ». Hacene, lui, fait partie des chanceux. Il est dans le secteur public qui « se porte bien grâce aux aides de l’Etat même s’il n’y pas d’augmentation de salaires ». Il dévoile le lien entre la crise subie par le pays et le prix du baril de pétrole en baisse. Il distingue aussi nettement le secteur public et le secteur privé. « La presse privée est libre de tout faire, elle dépasse parfois certaines limites de la déontologie. A contrario, la presse publique a une ligne éditoriale précise à suivre, l’objectivité avant tout ». Quand il écrit des articles politiques ou économiques (sa spécialité), il doit obligatoirement citer ses sources, et donne l’information brute sans exprimer son avis.

Mais alors n’est-ce pas trop difficile de parler du cinéma quand on est pas habitué ? Hacene semble trouver cela « abordable ». Pour lui, le Cinemed est l’occasion de retrouver les salles obscures et découvrir le cinéma de son pays. Un cinéma très peu diffusé en Algérie et qui souffre clairement d’un manque de financements. « Ces films m’ont étonné, c’est une fierté de regarder les films de la jeune garde du cinéma algérien ».
En couvrant le festival, ses collègues et lui veulent éclairer leurs concitoyens et faire bouger les choses. Une mission noble, qui s’annonce ardue.
Concernant Hacene, il va tenter de passer son doctorat et souhaite se spécialiser dans l’économie. Il travaille actuellement sur la création d’une émission consacrée à ce domaine. Il faut bien le reconnaître, quand on aime, on ne compte pas.

GRAND ENTRETIEN – Aurélie Filippetti : la vie d’après

Ancienne ministre de la Culture, la présidente du Cinemed revient avec Haut Courant sur le cinéma, les politiques culturelles et sa nouvelle vie, loin de l’Assemblée Nationale…et du Parti Socialiste.

  • Racontez-nous votre histoire avec le cinéma…

Depuis l’enfance, j’ai une relation particulière avec le cinéma méditerranéen, notamment italien. C’est à travers le festival de cinéma italien de Villerupt en Lorraine que j’ai fait mon apprentissage cinématographique. C’est par cet événement que j’ai découvert la richesse et la diversité du 7e art. Après avoir présidé le FID (Festival International du Cinéma de Marseille) pendant 8 ans, j’avais envie de m’investir, de participer au projet Cinemed. J’ai accepté avec enthousiasme la proposition qui m’a été faite par Philippe Saurel et j’ai rencontré une équipe formidable.

  • Quel est votre rôle au Cinemed ?

En tant que présidente du festival, je participe à la réalisation de partenariats. Je contribue à la consolidation de l’assise financière du festival et à la recherche de mécènes privés, ce qui est essentiel pour que le Cinemed puisse se passer dans de bonnes conditions. Avec le directeur du festival, Christophe Leparc et toute l’équipe, on a des relations toute l’année. On discute des invités, du jury, du pays qui est mis à l’honneur, de l’affiche, de la programmation. Ce sont des discussions très horizontales. Je suis moi-même bénévole.

  • Un film a-t-il retenu votre attention à l’occasion de la sélection 2017 ?

Razzia m’a beaucoup marqué. Cela m’interroge. J’ai eu le même sentiment l’année dernière avec le cinéma tunisien. Je trouve que c’est à travers le cinéma qu’on arrive à avoir un vrai portrait de ce qui se passe dans ces sociétés aujourd’hui. J’ai beaucoup plus appris sur la situation en Tunisie par le Cinemed qu’en lisant les journaux. Razzia donne une image complète et inquiétante de la société marocaine. Le film parle notamment de la réforme de l’enseignement scolaire de 1982 avec l’arabisation forcée des populations berbères, du retour de l’enseignement religieux qui prime sur l’enseignement scientifique. Trente ans après, on ressent encore les conséquences de cette réforme dans le pays, par exemple sur la place des femmes dans la société.

  • Dans le cadre du Cinemed, des séances sont proposées au jeune public. Qu’en est-il des inégalités d’accès à la culture pour les jeunes aujourd’hui ?

Il n’y a pas assez de progrès aujourd’hui. Au Cinemed, il y a un programme « jeune public », un jury jeune, un partenariat avec les lycéens dans le cadre de l’option cinéma. On travaille beaucoup sur cette thématique. Il faudrait que ce soit systématique dans tous les événements et établissements culturels. On a trop tendance à considérer que la programmation « jeune public » est une sous-programmation, quelque chose d’annexe. Or, c’est pour moi le cœur de la mission de tous les établissements culturels. Nous devons former les jeunes esprits qui seront demain les spectateurs adultes.

  • Depuis de nombreuses années, la culture est la première cible des restrictions budgétaires. Est-ce que le ministère de la Culture a les moyens de mettre en place une vraie politique culturelle ?

Lorsque j’étais ministre de la culture, il y eu un manque d’ambition du président de la république François Hollande. Il a fait l’erreur de soumettre la culture à des restrictions budgétaires. Une erreur qui a été reconnue par la suite, notamment par Manuel Valls : il y a eu un redressement durant le quinquennat mais le mal était déjà fait. Ce fut une erreur… et pas la seule d’ailleurs. Aujourd’hui, la nouvelle ministre Françoise Nyssen a des difficultés, comme souvent quand on est au ministère de la Culture. La situation ne change pas. Le gouvernement et Bercy ne comprennent toujours pas que ça ne sert à rien de diminuer le budget du ministère de la culture.

  • À l’issue de vos deux mandats consécutifs de députée, vous n’avez pas été reconduite. Y a-t-il une vie après l’Assemblée Nationale ?

C’est un grand mensonge que de considérer que lorsqu’on a été élu on ne peut rien faire d’autre. Beaucoup d’entre nous ont eu des métiers avant, certains étaient des apparatchiks politiques mais ce n’est pas mon cas. À l’origine, j’étais professeure de littérature et aujourd’hui je suis redevenue professeure : à Science Po Paris ainsi qu’à l’Ecole Supérieure de Journalisme (ESJ). Je souhaite aujourd’hui me mettre en retrait de la vie politique. Toutefois, je continue à être extrêmement intéressée et à suivre ce qui se passe politiquement et économiquement dans mon pays. On peut être engagé politiquement sans être élu et parlementaire. Je suis avant tout une citoyenne. Et à ce titre, je suis comme n’importe quel citoyen, je suis à même de m’exprimer, de dire les choses et d’avoir mon analyse sur la situation politique de mon pays.

  • Vous avez reçu une lettre vous signifiant votre « sortie » du Parti Socialiste (PS). Que pensez-vous de l’état du parti ?

C’est fou ! Lorsqu’il y a une crise au sein d’une organisation politique, il faudrait se serrer les coudes. En réalité, on fait face à des règlements de compte, des épurations et de la vengeance. On est dans un système où ceux qui restent au Parti Socialiste (PS) profitent de sa faiblesse pour essayer de se débarrasser de la ligne la plus à gauche du parti.
Le PS n’est pas en bon état, c’est certain. D’ailleurs, je ne suis pas sûre qu’il parvienne à se réformer et se transformer suffisamment pour se remettre en selle. En ce moment beaucoup partent du Parti Socialiste parce qu’ils en ont assez… Moi je considère que le Parti Socialiste est en très mauvais état suite au quinquennat de François Hollande : les gens ont été complètement désorientés par sa politique, donc il faut sans doute construire autre chose.

  • Vous êtes aussi chroniqueuse…?

C’est un gros mensonge, une fake news ! Je ne suis pas chroniqueuse ! J’ai accepté de participer deux fois par mois à une émission de débat chez Fogiel. Il invite 4-5 personnes tous les soirs, moi je n’y suis que deux fois par mois ! Les médias ont raconté que j’étais chroniqueuse mais c’est totalement faux. C’est n’importe quoi ! J’ai beau le dire, l’écrire sur ma page Facebook…c’est vraiment le règne des fake news.

Ce n’est pas le média de la France Insoumise. Il n’y a pas de lien avec l’émission télévisée de Jean-Luc Mélenchon. Des personnalités de toutes origines ont signé cet appel. Pour moi, c’est un appel à soutenir l’apparition d’un média citoyen, avec des contributions diverses de la société civile. Je soutiens cette démarche, mais je n’y participe pas. Je suis pour l’existence d’un nouveau média qui soit indépendant, ce qui ne veut pas dire qu’il ne puisse pas exprimer des opinions. Rien n’est pire que la fausse objectivité de certains journaux qui défendent en fait leur propre opinion. Le problème est le manque de diversité de la presse française et la concentration capitalistique. Aujourd’hui, on voit que les médias français dans leur immense majorité sont détenus par 4 ou 5 grands groupes industriels et financiers extrêmement puissants. Je pense que c’est vraiment problématique. Il y a un manque criant de diversité au sein de la presse française, notamment sur les aspects politiques.

SEANCE DU JOUR #4 – Dede, le carcan des traditions

Après le court métrage Dinola, Mariam Khatchvani revient au Cinemed avec une version long métrage. Une fresque poignante des sociétés traditionnelles géorgiennes.

Le Cinemed aime accompagner les jeunes cinéastes. C’est le cas de la réalisatrice de 31 ans, Mariam Khatchvani. Avec Dede, présenté en avant-première française, elle nous embarque au plus profond de la Géorgie, où les mariages forcés sont toujours monnaie courante.

Petit village de Svanétie, au nord-ouest de la Géorgie, dans les monts du Caucase. La religion et les rîtes spirituels règnent en maîtres, « tout est la volonté de Dieu ». 1992, les hommes reviennent de la guerre. Nous suivons l’histoire de la jeune Dina, promise à David par son grand-père, « C’est le meilleur parti du village ». Elle ne l’aime pas, « On ne peut pas se forcer à aimer ». Elle est amoureuse de Gegi, le frère d’armes de David. Mais dans une région où la tradition permet aux hommes d’enlever leur future épouse, « Une femme n’a pas son mot à dire ». Dina s’obstine et parvient à fuir le destin que lui impose la société patriarcale, elle devient mère (Dede). Mais ce destin n’aura de cesse de lui revenir en pleine figure, « on ne peut rien y changer c’est la tradition ». Dans des villages où même certaines femmes entretiennent l’ordre établit, c’est finalement le prêtre qui se montre le plus progressiste.

Primée au Cinemed en 2013 pour Dinola, point de départ du scénario de Dede, Mariam Khatchvani signe là un premier long métrage puissant et instructif. Présenté en compétition officielle pour l’Antigone d’Or, le film dépeint avec justesse et dans une certaine lenteur, le poids des traditions ancestrales qui pèsent sur les femmes et qui régissent la société géorgienne. Des femmes souvent sacrifiées au nom de la paix sociale, « il faut que tu restes sinon le sang coulera entre nos familles », et des hommes qui « ont soif de sang ».

Dede, c’est l’histoire de la grand-mère de la réalisatrice. C’est aussi l’histoire, toujours actuelle, de sa région natale, que Mariam Khatchvani décrit comme « un coin de paradis, malgré les conditions difficiles ». La cinéaste a d’ailleurs tourné avec les vrais villageois sur place, « Dina représente le peuple ». Des villages isolés du monde, où il neige la majeure partie de l’année. Des populations repliées sur leurs croyances et leurs rîtes, qui permettent d’entrer en contact avec les ancêtres et soigner les malades. Mariam Khatchvani est elle-même très attachée à ces rituels, « j’y crois vraiment », confie-t-elle. Elle a d’ailleurs débuté son tournage durant la semaine des esprits, afin que celui-ci se déroule sans accrocs.

PORTRAIT DU JOUR #4 – Merzak Allouache, observateur averti de la société algérienne

Le Cinemed consacre cette année une rétrospective au réalisateur Merzak Allouache, figure incontournable du cinéma algérien. Il a répondu à nos questions sur son parcours marqué par des allers-retours entre l’Algérie et la France.

Vingt-trois ou vingt-quatre, il n’est plus sûr du nombre de films qu’il a réalisé. Parmi les plus connus : Chouchou (2002) avec Gad Elmaleh et Alain Chabat, Bab El Web (2004) avec Samy Naceri et Julie Gayet, ainsi que Le Repenti pour lequel il a été primé à de nombreuses reprises. Quinze de ses réalisations sont à voir actuellement au Cinemed.

Merzak Allouache naît à Bab El Oued, une commune toute proche d’Alger, en 1944. Son père est fonctionnaire dans les tramways et sa mère couturière. Après le lycée, il commence par travailler à La Poste et lorsque l’Institut national du cinéma ouvre à Alger, il décide de tenter sa chance. C’est là qu’il découvre vraiment le cinéma « avant l’école, je regardais des films comme n’importe qui ». Après qu’il ait réalisé un premier court-métrage, l’institut ferme : il doit alors terminer ses études à l’IDHEC (aujourd’hui La Fémis*) à Paris. Il réussit, en 1976, à réaliser son premier long-métrage, Omar Gatlato, une comédie critique sur la vie un peu étriquée des jeunes algériens. Par la suite, Allouache se lance dans des documentaires et des émissions humoristiques pour la télévision algérienne.

Faire des films de manière indépendante voilà ce qui motive Merzak Allouache

Son premier film indépendant, Normal !, est celui dont il est le plus fier. Depuis, il réalise et produit tous ses films seul « j’ai des subventions qui me permettent de maîtriser la production, relate-t-il, je tourne à peu près ce que j’ai envie de tourner  ». Ses délais de tournage s’étalent sur une période très courte, parfois en moins de quinze jours: « j’ai appris à tourner très vite et dans des conditions particulières, parce que les choses sont difficiles à monter donc je vais au plus urgent  ». Il fait l’économie de beaucoup d’artifices : pas de maquillage, peu de lumière, une manière de faire plus rapide et décontractée à la fois. En termes de genre, Allouache s’est essayé à tout : comédie, documentaire ou drame. Mais il préfère écrire des comédies : « si j’attaque un scénario de comédie, je me sens mieux parce que je rigole » plaisante-t-il. Le réalisateur de 73 ans puise son inspiration dans l’observation de la société algérienne « je travaille sur une société qui a vécu des violences extrêmes, et qui n’est toujours pas apaisée » explique-t-il.

« Concernant l’Algérie, je suis pessimiste… mais en espérant devenir optimiste »

Sa position par rapport à la nouvelle génération est celle d’un cinéaste ouvert au partage de son expérience « j’ai volontiers des discussions avec les jeunes cinéastes, quand ils le veulent», explique-t-il. Depuis 2013, dans une logique de transmission, il s’entoure de beaucoup de jeunes réalisateurs pour ses films. Aujourd’hui, il vit principalement en France et sa vision de l’Algérie est assez négative. « Je suis pessimiste… mais en espérant devenir optimiste» sourit-il. Son dernier film, Enquête au paradis, est un documentaire sur l’histoire d’une jeune journaliste qui investigue sur le paradis proposé par la propagande salafiste. Réalisé en 2016, le film ne sortira en salle que début 2018. Le rendez-vous est pris.

*Fémis: École nationale supérieure des métiers de l’image et du son

VIDÉO – Haut Courant filme le Cinemed #4

Durant le festival du cinéma méditerranéen, l’équipe de Hautcourant vous propose une série de vidéos sur les rapports hommes/femmes dans le septième art. De courtes interviews en lien avec l’actualité de l’affaire Weinstein.
Entretien avec : Aurélie Filippetti, ex-ministre de la culture et présidente du Cinemed.

PORTRAIT DU JOUR #3 : Nabil Ayouch et Maryam Touzani, le couple passionné

Nabil Ayouch et Maryam Touzani c’est Razzia, un couple, une passion et tellement plus encore. Haut Courant a souhaité en savoir plus à travers un portrait croisé. Rencontre.

Ils ont ouvert la 39e édition du Cinemed avec Razzia et ont ému l’assemblée. Leur générosité et leur fougue font écho lorsqu’ils partagent leur histoire et leur passion. Ils font du cinéma pour être utile. Mais aussi pour voir l’espoir d’un changement de société.

Nabil et Maryam : la mixité culturelle comme richesse

Tout commence par une identité et la leur est plurielle. Nabil est né à Paris en 1969, fils d’une mère juive française d’origine tunisienne et d’un père marocain. Il a grandi à Sarcelles, marqué par l’ambivalence entre une mixité culturelle et un communautarisme. Il raconte que dans ce climat « on se construit dans l’adversité, dans la solitude ». Mais sa rencontre avec les arts et la culture se fera au Forum des Cholettes où il y perçoit « des voies d’expression » lui permettant de cultiver sa différence, notamment au cinéma, et de pousser sa quête identitaire.

Pour perpétuer la transmission, il montera un centre culturel « Les Étoiles » à Sidi Moumen, à Casablanca, avec son ami Mahi Binebine. À cet endroit-même où des jeunes vivaient dans l’invisibilité d’un bidonville, il leur donne un lieu d’expression et d’existence. Pour Nabil, il est primordial qu’ils arrivent à se projeter et à extérioriser leurs émotions : « Là où les politiques ont parfois échoué à créer du lien identitaire, les arts et la culture peuvent être des vecteurs ».

Maryam : « un besoin d’être utile, de faire entendre sa voix et d’inspirer »

Maryam possède aussi des racines multiples : « un père rifain (berbère, ndlr), une mère tangéroise et une grand-mère andalouse espagnole ». Elle est née à Tanger en 1980 et a fait des études pour devenir journaliste à Londres. Cela lui a donné un regard plus critique sur la société marocaine et « l’envie de participer à la construction de quelque chose ».

Elle rencontrera Nabil à Casablanca, lors d’une interview. Elle l’admirait déjà beaucoup. Si Maryam est plus discrète, elle est aussi engagée dans la dénonciation des entraves aux droits fondamentaux. Ce combat est véritablement le fil rouge de Razzia. Ce film est le fruit « d’épreuves, comme la censure marocaine de Much Loved, qu’on avait envie de mettre en scène ».

On ne peut qu’identifier Maryam au personnage de Salima, qu’elle incarne dans Razzia, car elle porte en elle ces révoltes. Elle déclame « un besoin d’être utile, de faire entendre sa voix et d’inspirer ». Nabil aussi a ressenti « une urgence de faire ce film, un besoin viscéral de s’exprimer ». En échos à l’affaire Weinstein, tous deux affirment l’importance « d’ouvrir des brèches » pour que tous ces individus isolés se retrouvent parmi « une majorité silencieuse » et partagent leurs témoignages.

Pour finir sur une confession, Maryam tournera son premier long métrage dès l’automne 2018. Adam traitera de la difficulté d’être une mère célibataire au Maroc et de l’intensité des jugements dans une société très traditionnelle. Un couple à suivre donc.

VIDÉO – Haut Courant filme le Cinemed #3

Durant le festival du cinéma méditerranéen, l’équipe de Hautcourant vous propose une série de vidéos sur les rapports hommes/femmes dans le septième art. De courtes interviews en lien avec l’actualité de l’affaire Weinstein.
Entretien avec : Saïd Hamich, producteur et réalisateur de Retour à Bollène.

SEANCE DU JOUR #3 – Chico et Rita sur un air latino

Le réalisateur espagnol Fernando Trueba est à l’honneur cette année pour la 39e édition du Cinemed. Aujourd’hui, Haut Courant s’intéresse à Chico et Rita (2011), nominé aux Oscars et récompensé par le Goya du meilleur film d’animation (2011).

À La Havane, en 1948, Chico, un jeune pianiste talentueux, fait la fête avec ses amis lorsqu’il rencontre Rita, une chanteuse de jazz. Le coup de foudre est réciproque pour les deux artistes cubains qui rêvent de percer aux Etats-Unis. Après une nuit enchantée, place au cauchemar. Juana, la petite copine de Chico débarque. Ils participent malgré tout à un concours musical ensemble. C’est le début d’une reconnaissance locale pour le duo. Un soir, Ron, un producteur américain, propose à Rita de la produire et de l’emmener à New York. Elle accepte à contrecœur, convaincue que Chico aime sa femme Juana.

Le spectateur ne peut que tomber sous le charme de cette intrigue poétique bercée par les sons des grands jazzmen cubains. Ils sont d’ailleurs présents dans le film comme Chano Pozo, Charlie Parker, Dizzy Gillespie ou encore Ben Webster. Bebo Baldes, a également réalisé la bande originale du film. La vie du grand pianiste cubain a fortement inspiré les deux réalisateurs, Fernando Trueba et le dessinateur Javier Mariscal, mondialement connu pour avoir créé Cobi, la mascotte des Jeux Olympiques de Barcelone de 1992.
Ces derniers ont réalisé un travail qui frappe par son originalité. Pour être très réaliste, ils ont utilisé des archives photographiques de La Havane. Les réalisateurs ont utilisé une méthode novatrice d’animation du dessin tout en intégrant les mouvements de vrais acteurs qui jouaient en studio.

Derrière l’amour passionnel et contrarié des protagonistes se cache la dure réalité sociale de l’époque. Le film constitue une véritable dénonciation du racisme notamment à travers le personnage de Rita. La jeune chanteuse ne peut pas résider dans les grands hôtels dans lesquels elle se produit et est entièrement dépendante de son producteur, un riche homme blanc. De plus, après la révolution cubaine en 1959, le jazz n’est plus populaire car il est associé à l’impérialisme. C’est pour cette raison que les personnages comme les grands musiciens cubains ont abandonné leur île pour devenir célèbres ailleurs.
Un beau dessin animé pour adultes qui saura nous émerveiller comme des enfants.

[Pour les plus curieux, voici un extrait

 >https://www.youtube.com/watch?v=g2bVBUZ93R8&feature=youtu.be]

PORTRAIT DU JOUR #2 – Jean-Philippe Gaud, un cinéma entre rêve et réalité

Jean-Philippe Gaud est l’auteur de Tazzeka, sélectionné dans la catégorie long métrage Panorama de cette 39ème édition du Cinemed. « Conte culinaire », tendre mais réaliste, le film nous emmène au Maroc puis à Paris, dans les pas du jeune Elias qui rêve de réussir sa vie. Sept ans, c’est le temps qu’il aura fallu à Jean-Philippe Gaud pour rendre l’aventure Tazzeka possible.

Jean-Philippe Gaud grandit dans le Var. Sa mère, institutrice, est passionnée d’opéra, son père, commerçant, est passionné de cinéma. Dès son plus jeune âge il fréquente assidûment salles obscures et théâtres. Il a huit ans quand il sort émerveillé du Gaumont Comédie après avoir vu Star Wars. C’est l’évènement « traumatique ». La suite de son parcours en découlera de manière naturelle. Bac cinéma à Aix en Provence, 4 ans d’études à la Fémis, la prestigieuse école de cinéma, un premier court métrage en 1998, Mabrouk Moussa. Deux autres courts métrages suivront, Deux fraises Tagada! en 2001 puis Une journée sur Terre en 2002. Jean-Philippe Gaud s’essaie ensuite au documentaire avec Au quotidien en 2004 où il décrit la vie d’une école maternelle dans son quartier, le 18e arrondissement de Paris.

A Draguignan, il mettra en scène deux opéras, Le Barbier de Séville de Rossini, puis Paillasse de Leoncavallo. Puis ça sera l’aventure Téhéran, en 2009, avec son ami rencontré à la Fémis, Nader Takmil Homayoun. Le pari fou de faire un film sur l’Iran, en Iran. Il coécrit le scénario et fait le montage. Le film fera le tour du monde et recevra le prix de la Semaine de la Critique au festival de Venise.

L’étape suivante pour Jean-Philippe Gaud, c’est Tazzeka. Après un échec de financement par le circuit classique via le Centre National du Cinéma (CNC), les chaines et les distributeurs, une bourse Cinemed en 2012 et le prix Beaumarchais SACD qui seront une source d’encouragement, c’est finalement grâce à des financements privés que le film peut voir le jour. Il crée sa boite de production en 2015 pour ce projet. Tazzeka est une « comédie dramatique » qui parle de la réalité avec un ton léger et de l’espoir, comme dans un conte. C’est le postulat de départ de Jean-Philippe Gaud. Il choisit d’aborder le sujet de l’immigration mais sans dénoncer, à travers le parcours de son héros qu’il compare à un Candide. Il aime se glisser dans des cultures différentes de la sienne, pour apprendre mais aussi pour exprimer des choses qu’il ressent.
En fil rouge, la cuisine, comme vecteur, comme liant social. Jean-Philippe Gaud reconnaît être fan d’émission de cuisine à la télé. En se documentant sur les grand chefs, il remarque que le rapport à la grand-mère est un élément fondateur récurrent. Dans son film Elias tient sa passion pour la cuisine de son aïeule. Salé, sucré de Ang Lee, un de ses réalisateurs préférés, l’inspire pour le « filmage gourmand » de la cuisine. Autre source d’inspiration, le cinéma d’Abdellatif Kechiche et sa manière de filmer la vie. La suite ? Peut être un projet de série. En attendant, l’aventure Tazzeka ne fait que commencer, la toute première projection en public aura lieu dimanche 22 octobre dans le cadre du Cinemed.