CINEMED : « Le Bouton de nacre » illumine le festival de toute sa beauté

Le nouveau documentaire du Chilien Patricio Guzmàn était présenté en avant-première lors du Festival Cinemed et il n’est pas passé inaperçu. Le « Bouton de nacre » est dans les salles obscures depuis mercredi.

C’est une histoire sur l’eau, le Cosmos et nous. Aussi dense qu’est le sujet du film, Patricio Guzmàn nous emporte dans un voyage mystique et sensoriel pendant près d’une heure trente. L’occasion de mettre en relation deux pans de l’histoire oubliés du Chili : celui des indigènes de Patagonie et celui des prisonniers politiques. Deux populations reliées entre elles par ces mystérieux boutons de nacre.

Après Nostalgie de la lumière, le cinéaste offre un documentaire majestueux et atypique. Parsemé de paysages époustouflants, de photos magnifiques, de cartes grandioses et d’intervenants bouleversants, Le Bouton de nacre montre une densité narrative et visuelle rare, mais également sonore. Patricio Guzmàn y capte des bribes de sons fascinantes démontrant qu’en plus d’avoir une vie, l’eau a une parole.

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On y parle aussi de l’espace, du Chili, de la responsabilité politique des États-Unis concernant le coup d’État de Pinochet et du destin des indigènes de Patagonie. La minutie du travail de recherche et artistique est exceptionnelle. Plus de mille photos d’indigènes ont été retrouvées et des cartes immenses ont été façonnées par une artiste Chilienne. Il a également fallu retrouver parmi la vingtaine d’Indiens survivants du massacre ceux en mesure de pouvoir témoigner.

La force du cinéaste Chilien est d’arriver à intégrer toutes ces thématiques, pourtant diverses, et d’en faire un tout cohérent – l’eau – fluide et linéaire. Il nous parle de ce pays qu’il aime tant, à la géographie si particulière. Le Chili est en effet bordé par 14 000 kilomètres de mer et par la cordillère des Andes.

Le Bouton de nacre est très personnel mais aussi universel. La mélancolie et la poésie des images ne cessent d’accompagner le spectateur pendant ce beau voyage. Il restitue l’une des histoires volée à ce pays d’Amérique du Sud, en rendant le plus beau des hommages. Si le succès est au rendez vous, le cinéaste Chilien a pour projet de se recentrer sur la cordillère des Andes, sa vie et son histoire… À suivre.

La Bande Annonce :

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Cinémed, LE rendez-vous ciné du mois d’octobre

« Le festival se porte bien ! ». C’est avec ces paroles que l’atypique président du Cinemed, Henri Talvat, a inauguré la conférence de presse de présentation de la 37ème édition qui se déroulera du 24 au 31 octobre.

« C’est une année de transition » avait affirmé Philippe Saurel, président de l’agglomération et Maire de Montpellier. Exit Jean-François Bourgeot de la présidence du festival. Mais pas de quoi dénaturer l’essence même du festival : la Méditerranée. Considérée par son président comme un pivot essentiel de l’histoire du cinéma et un trait d’union entre tous les peuples, elle sera de nouveau au cœur de l’évènement. Une sélection officielle réduite pour permettre une meilleure visibilité pour les longs-métrages en compétition diffusés au Corum et présidés par Roschdy Zem, qui a réalisé Bodybuilder récemment. Une sélection néanmoins riche et diversifiée avec la présence de 22 pays dont le Kosovo qui présentera son premier film en compétition officielle.

MUTATION EN VUE POUR L’AVENIR

Pour le maire de Montpellier et ancien adjoint à la culture, il n’a jamais été question de « remettre en cause le festival ». « Pilier essentiel à renforcer », le cinéma devra être encouragé dans la nouvelle région qui dispose « de paysages cinématographiques rares ». Le 21 octobre se tiendra un jury chargé de remplacer Jean-François Bourgeot, ancien directeur du festival. Sept candidats sont déclarés. Le nouvel élu aura pour mission de donner une vocation internationale au Cinemed. Une transition à venir donc, pour un festival qui s’assume « convivial » et « de proximité ».

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DE TONY GATLIF L’ENGAGÉ À CARLOS SAURA, MAESTRO ESPAGNOL

Le festival accueillera pour l’occasion Tony Gatlif. Cinéaste engagé et atypique, il est connu pour son dévouement envers la communauté gitane. L’une des personnalités phares du cinéma espagnol, Carlos Saura sera également présent et viendra présenter son dernier film-documentaire Argentina, voyage musical et sensoriel à travers l’Argentine. Le réalisateur portugais Miguel Gomes, lui, viendra compléter le casting avec sa trilogie Milles et une nuit (encore en salle). Il tiendra un master class le lundi 26 octobre à 17h. L’occasion de découvrir et redécouvrir leurs filmographies respectives.
Adèle Exarchopoulos (La vie d’Adèle), Tahar Rahim (Un prophète), Valeria Golino (Rain Man), Patricio Guzman, Kheiron (Bref) ou encore Rachida Brakni (La ligne droite) viendront compléter la liste des invités attendus.

L’OBJECTIF : SEDUIRE LA JEUNESSE

Outre le festival de films lycéens présent chaque année, la nouveauté se situe avec l’opération « Talents en Court » initié par les amis du Comedy Club, présidée par Jamel Debbouze. Visant à aider le développement de projets de courts-métrages, le Cinemed présentera les œuvres de ces jeunes auteurs. Autre nouveauté, la présence d’un Jury étudiant qui aura la charge de décerner le prix du meilleur premier film. De quoi encourager l’investissement des lycéens et des étudiants.

« Respire » de Mélanie Laurent

Respire, le second film de l’actrice-réalisatrice française Mélanie Laurent, a été projeté en avant-première, samedi 25 octobre 2014, lors de la soirée d’ouverture du 36e Festival de Cinéma Méditerranéen de Montpellier. Déjà présenté en séance spéciale lors de la 53e Semaine de la Critique, le film raconte l’histoire de l’amitié toxique, faite d’amour et de haine, de deux lycéennes. Il est l’adaptation du roman éponyme d’Anne-Sophie Brasme (Le Livre de Poche, 2001) et sa présentation à Cinemed vaut essentiellement en ce qu’il a été tourné aux alentours de Montpellier, à proximité de l’étang de Thau. Critiques.

Double « je »

Sur fond de premiers émois amoureux et de transgression des interdits, Charlie, élève discrète et réservée de Terminale, que rien ne semble pouvoir détourner d’une réussite certaine, fait la rencontre de Sarah, la nouvelle arrivante de sa classe. Sarah est une jeune fille libre, à la silhouette irrésistible, qui est privée de la présence physique de sa mère. Les deux filles deviennent aussitôt fusionnelles et partagent entièrement leur quotidien, leurs pensées et leurs vies. Si rien ne semble pouvoir abîmer cette amitié soudaine, un mot anodin, pourtant, la mettra à mal. Sarah, déçue de ne pas être considérée comme une « amie », laisse éclater un tempérament inaccoutumé, soudainement antipathique et verbalement violente. Le vrai visage de Sarah transparaît : manipulatrice, menteuse, perverse, narcissique et machiavélique. Mais Charlie, obsédée par la personnalité de cette créature envoûtante et imprévisible, semble prête à accepter les rudes coups que son amie rivale lui assène. Assaillie, submergée, elle s’isole et se coupe de ses amies. Mais la perfidie de Sarah, dont le plaisir suprême semble d’accroître toujours plus les souffrances de sa proie, paraît ne devoir rencontrer aucune limite…

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« Les faibles restent faibles »

Si les deux jeunes actrices, Joséphine Japy et Lou de Laâge, sont étonnamment convaincantes, le scénario, lui, laisse plus à désirer en jouant quelquefois la carte du « cliché ». La relation des deux jeunes lycéennes est en effet entièrement conditionnée par la relation que chacune d’elles entretient avec sa mère. Pour Mélanie Laurent : les problèmes des parents semblent devoir aussi être, ceux, oubliés et tus, des enfants. Dans une sorte de mécanique déterministe, l’enfant, réduit à n’être que la somme psychologique des traumas hérités de ses parents, reproduit ce qu’il a lui-même subi. Tout comme l’enfant battu ne peut prétendre qu’à battre ses enfants, Charlie, à l’instar de sa mère incapable de réagir aux blessures infligées par un père égoïste et insensible – parfaite Isabelle Carré en mère fragile beaucoup plus préoccupée par ses chagrins d’amour que par l’éducation de sa fille -, ne peut qu’être affectée négativement par la cruauté de Sarah. Mais, paradoxalement, elle reste inapte à faire fuir cette situation réductrice qui pourtant l’anéantit. Comme l’explique Mélanie Laurent : « les faibles restent faibles. Ils ne peuvent lutter contre les forts ». Dialectique simple et simpliste qui semble dédouaner à bon compte les agissements de Sarah. Pour le pire. Car la force apparente de cette dernière n’est que la réaction déguisée d’une faiblesse relationnelle refoulée. Celle-ci subit en effet la relation qui la lie à sa mère et la fait souffrir.

Sons intérieurs

Si le scénario ne convainc guère, la mise en scène est en revanche beaucoup plus concluante, essentiellement en ce qui concerne la texture sonore du film. Même si Mélanie Laurent repose en des termes similaires le problème, désormais classique, de la représentation cinématographique de la psychologie des personnages, force est de constater que la réponse sonore qu’elle lui apporte convainc. Là où le roman peut sonder en mots les psychés des protagonistes, le cinéma, lui, ne peut que donner à voir ce qui coule et s’exprime à la surface des visages, des corps. Gus van Sant s’était essayé à la résolution de ce problème en créant des univers sonores propres à chacun de ses personnages dans Elephant (2003). Ici, ce sont des ambiances sonores créées à partir de variations sur les respirations, calmes ou haletantes, saccadées ou rythmées, des personnages qui laissent deviner ce que renferment les arcanes psychiques des différents personnages. Si le titre du film invite, sous la forme d’une injonction faite à l’asthmatique Charlie, à prendre (et reprendre) son souffle, le film, lui, déploie le cheminement de la longue agonie asphyxiante d’un être malgré lui prisonnier de ses faiblesses. Le paroxysme de la suffocation interne est atteint lors d’une scène où, pour prouver qu’elle est plus forte que les attaques qui lui sont perpétuellement adressées, Charlie, en pleine séance d’endurance, allonge sa foulée… jusqu’à l’effondrement. Il ne reste des perceptions conscientes de la jeune lycéenne que son souffle époumoné, symbole d’une impuissance à jamais enfouie en son for intérieur.

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Passion

La thématique du film reste indubitablement l’attachement passionnel qui lie deux êtres. Comme souvent, la thématique du film est évoquée lors d’une séquence en apparence anodine. Ici, un cours de philosophie où il est question des passions humaines, fondamentalement liberticides et physiologiquement attachées aux tripes, opposées à la droite raison platonicienne. Le film se fonde donc sur un couple de notions dont la conceptualisation est aussi vieille que dépassée. Pire, leurs explicitations laissent penser que le spectateur est inapte à saisir seul la teneur du propos défendu. Son ignorance justifie ainsi cet appui théorique. Cette évocation notionnelle a de plus une valeur cathartique. Comme s’en défend M.L. : « beaucoup de lycéens se sont identifiés au personnage de Charlie. Ils ont pris conscience de ce qui les frappait et ont décidé d’agir ». Est-ce à dire que le film a une valeur de thérapeutique existentielle ? Les arts de la représentation serait-il à nouveau devenu cathartique ? Épurateur des villes passions humaines ? Célébrissime débat lancé par Aristote il y a plus de deux millénaires et qui resurgit, aux Etats-Unis, à chaque nouveau massacre orchestré par un jeune adepte de violences filmiques et/ou vidéo-ludiques… sans toutefois trouver de réponse définitive et convaincante. À problème désuet, réponse éculée.

A bout de souffle

Si l’atmosphère et la matière principale du film nous rappellent le majestueux film d’Abdellatif Kechiche La vie d’Adèle ou encore les ambiances romantiques des films de Christophe Honoré, le film de Mélanie Laurent manque cruellement d’originalité. A Respire, nous lui aurions préféré le titre, certes godardien, A bout de souffle tant la réalisatrice peine à révolutionner le thème, pourtant si fécond, de l’adolescence lycéenne.

Jean-François Bourgeot: « On n’a pas découvert le monde arabe cette année »

La 33ème édition du Cinemed (Festival du Cinéma Méditerranéen de Montpellier) a ouvert le vendredi 21 octobre dernier. Avant sa fermeture samedi, Jean-François Bourgeot, directeur du festival depuis maintenant dix ans, a accepté de nous parler d’un rendez-vous qui semble avoir trouvé son public.

Le Cinemed fête cette année ses 33 ans, quelle est aujourd’hui sa place dans le paysage cinématographique français?

Sa place est à la fois banale et particulière. Banale parce que c’est un festival qui correspond à une dimension moyenne. Particulière, car c’est un rendez-vous où il y a un vrai public qui paye pour voir des films d’identité méditerranéenne qu’il ne pourra souvent pas voir ailleurs. Que ce soit en France ou en Europe, nous sommes les seuls à accorder autant de place à ce cinéma.

Dans l’ensemble si l’on exclue les grands festivals comme Cannes ou Deauville, nous somme en termes de surface et de public l’un des dix festivals en bonne santé en France.

Comment expliquer que le festival ait pris autant d’importance?

On a fait un vrai saut qualitatif et quantitatif sous l’impulsion de Georges Frêche et depuis la construction du Corum à la fin des années 1980. On est passé du statut de « Rencontres du Cinéma de Méditerranée » à celui de « Festival ».

Aujourd’hui, on permet aux gens de voir beaucoup de films récents. Une partie d’entre eux n’ont pas de distributeurs en France et ne passeront qu’à Montpellier. D’autres sont chez nous en avant première. C’est pour eux l’occasion de confronter leur film à un public pour la première fois.

Le Cinemed demeure, toutefois plutôt élitiste dans la mesure où les films projetés se destinent à un public plutôt averti…

(Il coupe) Oui mais on fait tout de même entre 70 000 et 80 000 entrées sur 9 ou 10 jours. Lors de l’ouverture, la salle Berlioz, qui fait 2000 places, est pleine. 2000 places c’est cinq fois la plus grande salle du Gaumont. Il y a donc des moments où on attire la foule. Mais ce qui est encore plus intéressant c’est qu’on a fait près de 600 entrées pour un film d’Ermiano Olmi (ndlr, Centochiodi) qui peut etre considéré comme du cinéma d’auteur.

Très souvent les gens abordent ce festival en se disant que les films vont être « intello », ennuyeux et prise de tête. Or, ce n’est pas parce qu’on choisit des réalisations qui ont un style et un point de vue qu’ils sont inaccessibles.

Sur quels critères vous basez-vous pour sélectionner vos films ?

Evidemment il faut qu’ils soient d’origine méditerranéenne. A partir de là, les premiers critères résident dans la force des sujets mais aussi dans la manière dont ils sont traités. Ensuite, on accorde de l’importance à la diversité territoriale. Cette année 22 pays sont représentés sur les 25 possibles.

Par ailleurs, ce festival continue à être pensé par des gens qui viennent des ciné-clubs. On encourage donc les films suscitant l’interrogation et l’échange avec le public. L’intérêt n’est pas de faire de l’analyse filmique mais de comprendre comment les pays de la méditerranée se représentent dans leurs cinéma.

Le festival représente aussi une occasion pour ouvrir le débat et évoquer des sujets d’actualité. Cette année, dans quelle mesure avez-vous « surfé » sur le printemps arabe ?

Le mot « surfer » je ne vais pas le réfuter parce qu’il y a effectivement un effet de mode sur ce sujet qui touche beaucoup de festivals. Nous on ne l’a pas découvert cette année parce que ces pays sont présentés au festival depuis sa création. Pour rappel, Youssef Chahine est citoyen d’honneur de la ville. De plus, notre festival a commencé plusieurs mois après le début des révolutions donc on n’était pas dans l’urgence de « surfer » ou d’être dans le coup.

Nous nous sommes simplement mis au diapason d’une année qui a changé le monde. Pour cela nous avons choisi de gonfler la partie égyptienne de la programmation. Des questions politiques seront évoquées puisque les films eux-mêmes s’interrogent sur les liens entre démocratie et monde arabe, mais on s’intéressera surtout à l’effet des révolutions sur le cinéma des pays concernés.

Même si on parle en priorité de cinéma, il y a donc, malgré tout un réel engagement derrière ce festival…

Bien sûr, mais nous ce qu’on aime bien c’est partir du cinéma et pas de l’anecdote. Il faut en priorité que les formes soient intéressantes et que les films soient réussis. Il y a des films qui essaient de dire des choses très sympas mais qui sont ratés. Ceux-là ne nous intéressent pas.

Vous recevez beaucoup de subventions de l’agglomération de Montpellier et de l’Union Européenne, est ce que ces acteurs ont un droit de regard sur votre programmation et vos choix ?

Non, il n’y a aucun droit de regard en termes de programmation même si il y a évidemment quelques contraintes. Pour la subvention de l’Europe, par exemple, au moins 70% de notre programmation doit correspondre à des productions ou des coproductions européennes. C’est une manière de soutenir le cinéma du vieux continent.

En revanche la ville non. La seule chose que Georges Frêche voulait c’était qu’il y ait des vedettes, que ça brille un peu pour qu’on parle de nous. Seulement, ce n’est pas parce qu’on fait venir des célébrités de Paris que cela fonctionne. La presse parisienne voit ces personnalités toute l’année. Par contre quand on fait venir des grands noms du cinéma italien ou égyptiens ça devient plus intéressant.

Pour finir, comment est ce que vous voyez l’avenir du Cinemed avec notamment le basculement du cinéma dans l’ère du numérique ?

C’est une évolution qui est compliqué pour nous depuis l’an dernier déjà, qui est particulièrement difficile cette année et qui le sera encore l’an prochain. On sera sorti de la turbulence quand le Corum sera mieux équipé et quand le support numérique s’homogénéisera. En ce moment on est dans une période de transition. On reçoit toutes sortes de supports. C’est le bordel !

Heureusement, les créations contemporaines finiront par se normaliser y compris celles venues des pays plus pauvres. En revanche, les choses seront plus dures pour nos recherches rétrospectives. Même si depuis quelques années on passe beaucoup de copies au numérique, on ne retrouvera jamais tout.

Carte blanche à Emmanuel Mouret pour la clôture

Dimanche, le réalisateur marseillais prend les commandes du Festival International du cinéma méditerranéen.

Si le Cinemed rend hommage à Emmanuel Mouret, il est étonnant d’entendre le cinéaste répondre : «Je me considère toujours comme un débutant. Cet hommage, je le prend plutôt comme un encouragement».
Car, depuis Laissons Lucie faire en 1999, Mouret a fait son bout de chemin. Dans un style qui lui est propre, il n’a eu de cesse d’évoquer émois et marivaudages à travers de multiples saynètes.

Dans l’univers de Mouret, il a des femmes gracieuses, des hommes galants et des scènes fabuleusement burlesques. C’est ainsi que les objets du quotidien ont véritable une incidence sur la trame : dans Fais moi plaisir (2009), quand le rideau n’encombre pas le personnage, c’est le grille-pain qui fait des siennes.

Les maladresses s’enchaînent, sur fond de non-dits. D’aucuns le compareront (trop vite) à Beaumarchais ou Marivaux. Parce que faire ce raccourci, c’est oublier que, dans ces histoires-là, il y a cette part de possibles envisagés et d’actes manqués. L’instant d’une soirée, parfois le long d’une journée, les personnages songent à franchir cette ligne immanente qui séparent l’entendement et l’élan. Emmanuel Mouret explique ainsi qu’il préfère «laisser planer le doute et rester ambivalent», parce que «le lieu du cinéma, c’est ce qui est hors champs. Ce qui permet au spectateur de se construire un imaginaire.»

Parce qu’ils sont légers, les films d’Emmanuel Mouret n’en sont que plus doux-amer. La carte blanche qui lui est confiée pour la clôture de ce festival laisse ainsi entrevoir des influences cinématographiques qui lui sont chères telles Les onze Fioretti de François d’Assise de Rosselini ou encore Mon père avait raison de Sacha Guitry.

Parce que le cinéma de Mouret illustre des périodes transitoires où l’avant et l’après ont une incidence toute particulière, il y aura aujourd’hui, pour cette journée de clôture, comme un sentiment d’avant jour au Corum.

L’Ambulance ou le néo-réalisme serbe

Les réalisateurs des Balkans sont décidément à l’honneur pour cette 31ème édition du Cinémed. Retenu à Cuba (où il enseigne actuellement), Goran Radovanovic a accepté de nous en dire plus sur ce premier film.

Dix années ont passé depuis les onze semaines de frappes aériennes de l’OTAN sur la Serbie. A Belgrade, les traces des bombardements n’ont jamais totalement disparu.
C’est au coeur de cette capitale que L’Ambulance, premier long métrage de Goran Radovanovic a été tourné. A travers le quotidien d’un service ambulancier, ce film historique contemporain évoque le drame relatif aux profonds bouleversements subis par la société serbe depuis la chute du régime. Interview du réalisateur.

Haut Courant : Vous êtes déjà connu pour vos documentaires comme Chicken Elections. The Ambulance est votre premier long métrage. Depuis quand l’aviez vous en tête?

Goran radovanovic : Honnêtement, je ne sais pas. En fait, je sentais qu’il fallait que je rassemble et que je transforme les images de mes documentaires en un film de fiction rassemblant les mémoires collectives. J’ai donc commencé à écrire un script reflétant le « Zeit Geist » (ndlr : en Allemand : l’esprit du temps. Comprendre climat intellectuel) du drame politique et social serbe.

Pourquoi avoir suivi ce phénomène depuis un service ambulancier?

Sans doute parce que c’est de là qu’on peut voir le mieux la sensibilité et la fragilité de notre société.

Les personnages de votre film sont tristes, très affectés par les évènements de 1999, surtout les plus jeunes. Comment avez-vous réussi à orienter dans cette direction des enfants qui n’ont aucun souvenir de cette période?

Et bien peut-être parce que je suis un peu triste moi-même. Peut-être que c’est mon passé slave… C’est toujours difficile de diriger des enfants. Celui qui le fait doit très bien savoir comment les orienter. Pour cela, il faut avoir de la pratique, l’expérience de la vie. Je pense que je l’ai depuis que j’ai deux garçons.

Avez-vous réalisé un film politique?

Je voulais l’intituler « Un film historique et contemporain », comme il est dit dans le sous titre. Car l’histoire contemporaine est toujours politique! En ce sens, oui. Mais objectivement, j’étais plus focalisé sur l’esprit du temps que sur la politique.

Le film traite d’une période charnière pour la Serbie. Comment l’avez-vous vécue à l’époque?

Ce que j’ai pu ressentir en tant qu’être humain n’a pas d’importance. Mais en tant qu’artiste, j’étais vraiment heureux de pouvoir suivre l’un des plus importants évènements historiques, comme le fut la chute du régime par exemple. Bien sûr, je n’oublierai jamais la première bombe en Europe depuis la Seconde Guerre Mondiale : pendant 78 jours, l’OTAN a bombardé mon pays et ma ville.

Comment la nouvelle génération serbe considère t-elle ce passé?

Ce que je vois, à mon échelle, ce sont de jeunes gens frustrés, comme leurs parents : ils ne voient pas de futur pour eux. Lorsqu’on ne peut même pas imaginer de futur, comment considérer le passé ?

L’Ambulance (Hitna pomoc)

Serbie – 2009 – 1 h 24 mn –

Réalisation : Goran Radovanovic –

Scénario : Goran Radovanovic –

 Interprétation : Vesna Trivalic, Natasa Ninkovic, Nenad Jezdic, Tanasije Uzunovic, Sonja Kolacaric, Jelena Stupljanin –

« Fortapàsc », Journalisme et Camorra ne font pas bon ménage

Toujours dans le cadre du 31e Festival du cinéma méditerranéen de Montpellier, mardi 27 octobre a été présenté « Fortapàsc » de Marco Risi. L’histoire vraie de Giancarlo Siani, l’unique journaliste italien, à avoir été abattu par la Camorra, la mafia napolitaine, pour s’être intéressé d’un peu trop près à leurs affaires.

Cinémed : Qui sont les Chats persans?

Le Festival International du Cinéma Méditerranéen a présenté hier un film qui ne sortira jamais en Iran.

Mercredi soir, 19h00, affluence à l’opéra Berlioz. Les spectateurs sont venus assister à la projection du nouveau long métrage de Bahman Ghobadi, Les Chats persans. Dans le public, on distingue notamment les silhouettes noires et vertes du collectif Iran Azad. Car si le film sort bientôt en France, il ne sera jamais projeté en Iran.

Tourné à l’arraché, en dix sept jours seulement, le film met en scène Negar et Askhan, deux jeunes musiciens iraniens qui, malgré le bureau de la censure, montent un groupe de rock-indie à Téhéran.
Dans cette ville «où le son ne dépasse pas le sol», les jeunes musiciens répètent sous le bitume, dans des caves la plupart du temps, tels les « cats » d’un certain Chuck Berry.
Dans ce pays où il faut des autorisations gouvernementales pour enregistrer un disque, la jeunesse bouillonne et vit clandestinement. Puisque visionner des films ou écouter de la musique non conformes à la charia est puni de 70 coups de fouet. Puisqu’avoir vingt ans à Téhéran s’apparente à une épreuve de force, Negar et Askhan décident de quitter le pays avec de faux visas. Dans leur entreprise, ils vont rencontrer d’autres musiciens, cachés comme eux, brimés par un régime qui enserre la jeunesse en ses pinces.

Réaliser un film traitant du dynamisme et du foisonnement musical souterrain de la capitale iranienne a valu à Bahman Ghobadi d’être arrêté et emprisonné. Finalement libéré, il a déclaré dans Le Monde:
«En quittant l’Iran, je dis adieu aux dingues. Ils m’ont littéralement rendu malade. Le mépris dans lequel ils tiennent les artistes, la violence psychologique avec laquelle nous sommes traités est intolérable. Je ne pouvais pas mourir là-bas». D’ailleurs, tous les acteurs du film jouent leur propre rôle et, conséquence logique, ne retourneront pas dans leur pays. Ils iront faire de la musique là où elle n’est pas blasphème. Muselés, les jeunes étouffent en Iran, là «où tout te provoque». Et, parce qu’oser c’est automatiquement risquer sa vie, certains préfèrent se donner la mort.

Il y a dix ans, avec Un temps pour l’ivresse des chevaux, Ghobadi remportait la Caméra d’Or au Festival de Cannes. Cette année, Les Chats persans a été récompensé par le prix spécial du Jury Un Certain Regard. Tourné avec une caméra « SI2K » (l’État iranien détient le matériel 35mm), le film pourrait être assimilé à un documentaire tant les prises ont été rapides, «pour ne pas être repéré par la police».

On ne sait rien ou presque de ces chats persans tant ils sont bâillonnés. Ce long métrage servi par une bande-son pointue, oscillant entre indie-rock et soul persane, descend dans l’underground de Téhéran et offre une vision de ce qu’elle est réellement. A l’heure où Internet est cadenassé et l’information passée au crible fin, Bahman Ghobadi zoome sur la jeunesse iranienne, avenir d’un pays en état d’urgence.

Les chats persans (Kasi az gorbehaye irani khabar nadareh)

Sortie en salles : 23 Décembre 2009

Rencontre avec Sorak Dejan

Dejan Sorak, le réalisateur du superbe « In the land of wonders » (« U zemlji cudesa », en Croate), nous a livré les clés et les anecdotes de son film.

In the land of wonders pour un pays qui a connu la guerre, est-ce vraiment approprié?

Évidemment, cette région du monde est tout, sauf le pays des merveilles. C’est tout le contraire, mais ce n’est pas qu’une terre dévastée.

Le film traite de sujets graves, des conséquences de la guerre mais sans jamais tomber dans le pathos. Comment faites vous?

J’ai voulu éviter tout sentimentalisme. L’émotion n’est pas une composante du jeu de mes acteurs, elle en est une conséquence. Dans la façon de diriger les scènes, je voulais garder un aspect brut, cruel.

Cruel, comme l’est la petite Alica?

Cette petite fille n’est plus une enfant, elle est l’une des pires conséquences de la guerre. Elle est cruelle et en quelque sorte plus âgée que sa propre mère. Elle est capable de regarder la mort en face.

Marija Stjepanovic, qui joue le rôle d’Alica est éblouissante. N’était-il pas trop difficile de faire tourner une enfant dans ce registre là?

En effet, ce que je redoutais le plus, c’est que l’enfant abandonne le tournage au bout d’une semaine. Mais Marija est très intelligente, même si elle m’a détesté tout le long du tournage. Chaque fois que j’essayais de lui expliquer quelque chose, elle regardait en l’air. Comme elle était jalouse des autres acteurs, elle faisait exprès de les déstabiliser pendant leurs scènes. D’ailleurs, dès la seconde répétition, l’acteur principal était effrayé et a refusé de rester seul avec Marija qu’il comparait à « un petit dragon ». Mais elle était parfaite, douée d’un instinct naturel. Lorsqu’elle répétait la scène de la mendicité, elle a d’ailleurs réussi à récolter quelques kunas. Et puis, quand on a tourné dehors pendant vingt six nuits, Marija n’a pas dormi, pas même une sieste.

Justement, vous avez tourné une grande partie du film de nuit. Pourquoi?

L’histoire débute à la campagne et continue dans la ville. Deux univers qui se font violence se rencontrent. Tout comme l’illustre le contraste entre le jour et la nuit omniprésente. Lorsque l’héroïne du film s’échappe et franchit la clôture du jardin, elle pénètre dans un nouveau monde telle Alice au pays des merveilles après la traversée du miroir.

Vous avez réalisé un film de fiction inspiré de la réalité. Quel regard portez vous sur les Balkans d’aujourd’hui?

Les cancers dus à la présence d’uranium appauvri dans les sols sont véritables, un des acteurs vient de Bosnie et a d’ailleurs vu des membres de sa famille contaminés après les bombardements de l’OTAN.
Mais je n’ai pas voulu faire un film politique, je trouve dommage de dépenser l’argent des subventions pour tourner un documentaire sur le sujet. On peut en trouver soi-même en cherchant sur Internet. En tant que metteur en scène, j’aime voir toutes les facettes d’une seule et même chose.

C’est donc un film plein d’espoirs?

On a rangé les armes, mais la guerre a continué dans les Balkans : il reste des mines, de l’uranium dans nos sols par exemple. Vous savez, nos usines, nos moyens de production ont été détournés, tout le monde revendiquait son droit, il a été très difficile de sortir de ce conflit. La pauvreté et la violence en sont les conséquences visibles. D’ailleurs, un des titres possibles de ce film était « Wash Hands ».

Il y a des miracles dans In the land of wonders, vous y croyez dans la réalité?

Si Alica veut en finir avec les contes de fée, elle commence à ressentir des choses comme un vrai être humain pendant son voyage. C’est le vrai miracle du film.