Connu sous l’acronyme anglophone TTIP, le Partenariat Transatlantique de Commerce et d’Investissement (PTCI) est un accord commercial en cours de négociation entre les Etats-Unis et l’Union Européenne depuis 2013. Reporté volontairement après les élections européennes de 2014, il doit fournir un cadre de normalisation et d’harmonisation des lois et réglementations des Etats signataires. Son objectif : doper les échanges économiques, c’est-à-dire faciliter exportations et importations en tout genre. Une liberté de circulation des biens, des services et des capitaux dont les conséquences sociales, environnementales, alimentaires semblent déraisonnées…
TTIP : quèsaco ?
Bruxelles, le 13 février 2013. La Commission Européenne annonce l’ouverture des négociations entre l’Union Européenne et les Etats-Unis en vue de la conclusion d’un Partenariat Transatlantique de Commerce et d’Investissement (PTCI) prévoyant l’instauration d’une zone de libre-échange économique désignée sous l’appellation Grand Marché Transatlantique (GMT). L’institution européenne annonce un pacte ambitieux aux retombées économiques considérables : une sorte de miracle économique dont Etats-Unis et Europe tireront profit. Selon le communiqué officiel fourni par Bruxelles, l’accord « rapporterait d’ici à 2027 des gains annuels totaux se traduisant par une hausse du PIB de 0,5 % pour l’UE et de 0,4 % pour les États-Unis, ce qui équivaudrait à des revenus annuels supplémentaires de 86 milliards d’euros pour l’économie européenne et de 65 milliards d’euros pour l’économie américaine ». Trois grands axes sont évoqués pour clarifier les enjeux du traité :
Faciliter l’accès au marché : En allégeant les droits de douane actuels, en moyenne de 5,2 % pour l’UE et de 3,5 % pour les États-Unis selon l’Organisation Mondiale du Commerce. L’investissement, la création de nouveaux services l’ouverture aux marchés publics européens qui représenteraient 25 % du PIB et 31 millions d’emplois, sont également mentionnés.
Alléger la réglementation et homogénéiser les normes : Les producteurs voulant vendre de part et d’autre de l’Atlantique doivent « souvent payer et se conformer à des procédures à deux reprises avant d’obtenir l’approbation pour leurs produits. » Les parties américaines et européennes sont ainsi invitées à se mettre d’accord sur de mêmes règles et procédures « en négociant un accord ambitieux sur les obstacles sanitaires et phytosanitaires (normes de santé et d’hygiène, par exemple pour les produits alimentaires) ainsi que sur les obstacles techniques au commerce ». L’objectif est clairement de freiner les coûts et de gagner du temps pour les entreprises, avec, pour garantie, d’assurer la santé et la sécurité des consommateurs et de l’environnement.
« Répondre aux défis partagés et aux opportunités communes du commerce mondial au XXIe siècle » : objectif visant à respecter les droits de propriété intellectuelle de chaque continent, maintenir un commerce sensible au développement durable et s’accorder sur une pérennisation d’un système profitable à tous.
En harmonisant les réglementations entre l’UE et les Etats-Unis, ces accords, qui devraient être finalisés au plus tôt début 2016, sont censés créer un marché commun de 820 millions de consommateurs.
Etats contre multinationales : le tribunal de la discorde
Si le discours de la Commission Européenne promet de belles perspectives économiques et financières aux deux continents, il ne fait pas état de la création d’une structure galvanisant les doutes sur les bienfaits de ce traité. Au cœur des préoccupations, l’ISDS (Investor-State Dispute Settlement, en anglais), soit le mécanisme devant régler des différends entre investisseurs et États. Privé, ce « tribunal » donnerait la possibilité à des multinationales d’attaquer en justice des États. Ce qui est contraire au principe de souveraineté étatique. Dans les faits, si un gouvernement décide d’interdire un produit ou une pratique considérés nocifs pour l’environnement ou la santé publique – une boisson énergisante ou un produit cosmétique par exemple -, les entreprises directement visées par l’interdiction pourraient, avec une facilité déconcertante, porter plainte auprès de l’ISDS au simple motif de : « impossibilité de dégager un profit ». Derrière la nature privée de cette structure s’esquisse l’ombre d’un système partisan des intérêts industriels (lobbying). La pilule serait dure à avaler pour les États et collectivités locales de l’UE, contraintes dans un tel schéma à verser des compensations financières à l’entreprise concernée.
Enfin, la privatisation d’une telle structure pose un problème majeur. Elle porterait atteinte à une des institutions majeures de l’UE : la Cour de Justice de l’Union Européenne, l’instance interprétant la législation européenne. En somme, elle garantit une application uniforme du droit dans tous les pays de l’UE. L’organe judiciaire européen statue également sur les différends opposant les gouvernements des États membres et les institutions de l’UE. Et c’est bien là nœud du problème : si le pacte transatlantique est adopté, il serait impossible pour un pays attaqué par une multinationale de saisir la Cour. La ratification du traité par Bruxelles scellera le sort des 28 Etats membres, leur empêchant de faire machine arrière face à l’ISDS. En attendant, les négociations sur ce point sensible du pacte se font dans l’opacité la plus totale. Confidentialité oblige, les parlementaires européens sont contraints de ne divulguer aucun élément – les lecteurs ne peuvent ni photocopier les documents ni de prendre de notes, leur téléphones sont confisqués à l’entrée – sous peine de perdre leur immunité parlementaire. De plus, le nombre de députés ayant accès à ces documents est très restreint : une quarantaine sur 751 au total. Un déficit démocratique ne faisant qu’accroître les inquiétudes.
ONG et formations politiques se mobilisent contre le TTIP
Depuis plusieurs mois, plusieurs partis politiques et ONG s’insurgent contre ce traité et ont uni leurs forces pour, selon les mots des Jeunes Ecologistes, « médiatiser et rendre publiques des négociations non transparentes qui se déroulent aujourd’hui dans la plus grande opacité au mépris des droits des citoyens et des élus » au motif que le TTPI est entièrement au service du business et de l’économie (ultra-)libérale. Un sentiment partagé par de nombreux collectifs citoyens et organisations partisanes qui continuent à utiliser le terme TAFTA (sa première dénomination abandonnée parce que jugée trop proche de celle d’un traité rejeté par le Parlement Européen en 2012 : ACTA). Dans la rue, comme sur internet, certains citoyens et élus font bloc contre ce qu’ils considèrent comme une grave atteinte aux libertés individuelles et à la souveraineté étatique.
Pendant sa campagne aux dernières élections européennes, Jean-Luc Mélenchon a mis le PTCI au cœur de son programme en s’insurgeant que François Hollande « n’en [ait] jamais parlé en France ni aux Français ». Il avait déjà sonné l’alarme quelques mois plus tôt en affirmant que le PTCI ferait bientôt manger aux européens du poulet au chlore. Derrière cette allégation provocatrice et non-fondée se dessine les contours d’une crainte beaucoup plus grande partagée : que la législation européenne devienne un copier-coller des normes nord-américaines. Il n’y aurait donc pas harmonisation des réglementations mais subordination européenne aux normes étatsuniennes concernant la protection des données personnelles sur internet, les pesticides, l’environnement, les OGM, le gaz de schiste, les normes sociales, la santé, la régulation financière, etc… Pour les opposants, ce sont donc bien les libertés européennes et nationales qui vont lentement s’étioler avec la ratification de ce traité. Ce dont se font l’écho bon nombre de sites écologistes comme, par exemple, sauvonslaforet.org. Ce dernier a d’ailleurs mis en ligne une pétition qui, à ce jour, a été signée par plus de 80.000 personnes. Pourtant, dans le mandat de négociation confié par les Etats à la Commission Européenne, texte préalable à l’établissement des négociations, est annoncé la mise en place d’un certain nombre de garde-fous pour pallier une éventuelle déréglementation généralisée. Parmi eux, le respect des législations nationales en matière de normes environnementales et sociales. Ce qui signifie que, en ce qui concerne le poulet chloré, l’Europe conservera « le niveau de protection [qu’elle] juge approprié ».
La suspicion de bon nombre d’ONG provient de caractère confidentiel, voire totalement secret, des négociations, ce qui est contraire à l’idéal démocratique et au principe fondamental de liberté d’information. Pour s’en expliquer, la Commission Européenne a expliqué dans son Guide sur la transparence dans les négociations commerciales de l’UE que : « Un certain niveau de confidentialité est nécessaire pour protéger les intérêts européens et conserver des chances d’obtenir un résultat satisfaisant ». Quoi qu’il en soit, le PTCI, encore à ce jour en négociation, ne sera pas adopté sans avoir été ratifié par le Parlement Européen et les parlements nationaux (comme le prévoit le traité de Lisbonne). Autrement dit, par le peuple européen.