Un étudiant français au coeur des émeutes grecques

Les 6 et 7 décembre 2009, des émeutes éclatent entre jeunes et policiers dans plusieurs grandes villes de Grèce. Ces évènements interviennent après les manifestations commémorant la mort d’ Alexis Grigoropoulos, 15 ans, tué il y a un an par un agent des forces de l’ordre (Epaminondas Korkoneas) dans le quartier d’Exarcheia à Athènes.

Génèse d’une agitation populaire

La mort de l’adolescent avait, en 2008, déclenché des violences urbaines inédites et radicalisé une partie de la mouvance contestataire.
Un an après, l’indignation est encore vivace puisque des heurts ont opposé des groupes d’étudiants et la police après la fin de la manifestation en mémoire d’Alexis. Ainsi, près de la place Syntagma, dans le centre d’Athènes, des jeunes vêtus de noir et cagoulés ont lancé des pierres sur les forces de l’ordre qui ont riposté à coups de gaz lacrymogènes et de matraques.
Sur des banderoles, s’inscrivait clairement « la jeunesse n’oublie pas ». Devant l’université, une inscription affirmait également « l’Etat et le capital assassinent tous les jours ».
De jeunes grecs appartenant à « la génération des 600 € », font face au peu de travail disponible (23% de chômage chez les 18-25 ans) et à la violence policière répandue dans le pays dans un contexte de paupérisation du pays grandissant.

Alors que le 20 Janvier prochain, Epaminondas Korkoneas sera jugé pour homicide volontaire, un élève de l’Université Montpellier I, suivant le programme Erasmus dans la capitale grecque, nous livre son témoignage sur ces heurts.

L’interview de Damien Fournier: étudiant Erasmus à Athènes et témoin des émeutes.

Haut courant: En tant que Français, comment t’es tu retrouvé au milieu des manifestations du 6 Déc. 2009?

Damien Fournier: J’avais déjà accompagné la première grande manifestation de l’année, le 17 novembre et j’avais été étonné de l’intensité de la colère et du ressenti des manifestants envers la police et le pouvoir. Je savais que le 6 décembre, jour de l’anniversaire de la mort d’Alenxadros Grigoropoulos, s’annonçait noir et effectivement c’est ce qui c’est passé.
Mon but principal était de réaliser un reportage photos et éventuellement en rendre compte après.

HC:
Connais tu des étudiants qui y ont participé?


DF: Oui, beaucoup d’Erasmus se sont rendus dans les manifestations et dans les zones d’affrontements mais sans participer activement. Pour ce qui concerne les étudiants grecs de ma connaissance, peu s’y sont rendu, la plupart portaient même un regard méfiant sur les événements à venir, dénonçant d’un coté les maux touchants le pays et la bavure sur le jeune Alexis tout en mettant en garde de l’autre sur la dangerosité des émeutes à venir. J’ai souvent entendu : «« le six décembre, restez chez vous, ça va être la guerre »»

HC: Quel regard portes-tu sur ces évènements?

DF: Les Grecs ont une véritable culture de contestation, ce n’est pas pour rien qu’un quartier entier d’Athènes, Exarcheia, est considéré comme anarchiste. Ces derniers sont nombreux et très visibles que ce soit lors des manifestations ou dans la société. Il faut savoir que la Grèce n’est redevenue une république qu’en 1973, après la chute du régime des colonels, d’où une défiance très prononcée du peuple envers les autorités policières ou l’armée. Une défiance qui s’exprime et devient rage lors des manifestations, les insultes accompagnant souvent les jets de pierres et les crachats.

HC: Les manifestations étaient elles réellement violentes?

DF: Plutôt oui, mais la violence différait selon les zones d’affrontement. Dans la rue ou sur les places publiques, les policiers prenaient souvent l’ascendant sur les émeutiers avec coups de matraques et arrestations musclées à la clef. Dans les facultés, le son de cloche était différent puisque la police n’a pas le droit d’entrer dans une université. Les émeutiers disposent donc de plusieurs bastions pour attaquer sans grand risque les forces de l’ordre. On a, d’un coté, quelques dizaines de jeunes devant l’entrée de la fac, qui caillassent les policiers, leurs lancent des cocktails Molotov, brûlent parfois des voitures et incendient des poubelles et de l’autre, des bataillons de CRS qui subissent et parfois chargent pour faire reculer les émeutiers. J’ai assisté à une scène impressionnante dans laquelle un policier recevait un cocktail Molotov sur le bras. Après avoir éteint leur collègue, le bataillon s’est lancé dans une charge anarchique vers la faculté, mais il a dû très vite reculer sous la pluie des Molotovs, des pierres et des fusées pétards.

HC: Ces manifestations ont elles des éléments analogues avec ceux de l’embrasement des banlieues françaises de 2005?

DF: Dans l’intensité des combats de rue, certainement mais pas sur les deux jours de troubles qu’a connu la Grèce les 6 et 7 décembre 2009. Maintenant on ne doit pas oublier qu’il y a eu plusieurs mois d’affrontement l’année dernière et la mobilisation d’une partie importante de la population. On doit aussi prendre en compte, pour comparer ces événements, que l’adolescent abattu était le fils d’un avocat et vivait à Kolonaki, quartier riche d’Athènes, un détail qui a eu son importance dans l’élargissement de la mobilisation. Le contexte n’est donc pas similaire à celui de 2005 en France.

HC: Quel a été l’attitude de la police durant ces manifestations?

DF: La police était avant tout omniprésente à Athènes, le centre ville faisait penser à une ville en état de siège, avec barrage à chaque coin de rue, hélicoptères survolant les quartiers en permanence et de grandes avenues régulièrement bloquées pendant des heures. On sentait la police grecque à cran, mais pas vraiment dépassée par les manifestations. Certains policiers cherchaient même l’affrontement et provoquaient les manifestants en les apostrophant dans les cortèges. Une scène m’a particulièrement marquée, après l’arrestation d’une dizaine de personnes dans un appartement d’Exarcheia: la trentaine de policiers présent est reparti en klaxonnant et en levant les mains au ciel, esquissant des V de la victoire pendant que les badauds les sifflaient. A leur décharge tout de même, le nombre de blessés dans leurs rangs a été beaucoup plus important que chez les manifestants.

HC: As tu été interpellé?

DF: Non mais plusieurs amis l’ont été. Je peux citer l’exemple de deux étudiants Erasmus : une française et un allemand, ils se sont fait arrêter dans deux endroits différents d’Exarcheia et se sont retrouvés au milieu d’une centaine d’interpellés dans le commissariat central d’Athènes. Ils m’ont raconté une ambiance surréaliste où tous étaient entassés dans un couloir, certains mangeaient, d’autres criaient des slogans révolutionnaires et deux jeunes fumaient même un pétard à coté d’eux…

HC: A quel point la situation des jeunes Grecs est-elle préoccupante?

DF: Je suis arrivé pendant les élections législatives en octobre, le soir du scrutin j’ai interrogé mon colocataire grec sur ce qu’il en pensait. Il m’a répondu d’un air presque dépité que de toute façon rien ne changerait. Le modèle social grec souffre énormément, les jeunes ont peu d’avenir et malgré le coût de la vie presque équivalent à celui de la France, le salaire minimum est à 600 euros. J’ai entendu certains étudiants grecs dire que structurellement le pays avait dix ans de retard sur les autres pays de l’Union européenne. Pour eux, la corruption ainsi que certaines dérives budgétaires, comme sur la masse importante d’argent consacrée à l’équipement militaire, sont symptomatiques des grands problèmes que connaît leur pays aujourd’hui. Donc oui, la situation est préoccupante mais si le gouvernement actuel parvient à faire appliquer la politique d’austérité qu’il souhaite mettre en place, les temps seront durs pour le peuple mais cela sauvera surement leur économie.

Crise des banlieues et révolte grecque: symboles d’un même malaise ?

En octobre 2005, les banlieues françaises s’enflammaient. Depuis le 7 décembre 2008, la Grèce fait face à de violents heurts entre jeunes et policiers. Entre similitudes et spécificités…

Des bavures policières comme déclencheur, des perspectives sombres comme origine et des modes d’action similaires : de fait, des ressemblances existent. Mais la révolte grecque n’est pas la crise française : les crise financières et politiques s’en sont mêlées.

Même détonateur

 En France, le 27 octobre 2005, deux adolescents, Zyed Benna (17 ans), et Bouna Traoré (15 ans) pris en chasse par des policiers, trouvent la mort dans une centrale EDF à Clichy-sous-Bois. Si les circonstances de l’évènement n’ont toujours pas été officiellement tirées au clair, la négligence des policiers est peu contestable. Dans la soirée, les tensions entre Clichois et policiers éclatent. C’est le début de plus de trois semaines de violences urbaines à travers la France.

 À Athènes, c’est la mort du jeune Andreas Grigoropoulos qui a déclenché les violences. L’adolescent a été tué le 6 décembre 2008 dans le quartier d’Exarchia. Il faisait partie d’un groupe de trente jeunes qui lançaient des pierres et divers projectiles contre le véhicule de deux policiers. L’un des policiers est sorti et a tiré trois balles en direction de la victime, touchée mortellement à la poitrine. Le soir même, des affrontements contre la police se sont multipliés et propagés vers d’autres villes grecques.

Mêmes origines du mal ?

Les crises grecques et françaises expriment un profond malaise.

 En 2005, le ministre de l’Intérieur Nicolas Sarkozy s’illustre dans des interventions « choc », déclarant « Je vais nettoyer la cité des 4000 au Kärcher », ou qualifiant les jeunes des banlieues de « racaille ». La situation économique et sociale n’est pas brillante, l’échec des politiques d’immigration et d’intégration cuisant. Si la situation est grave depuis de nombreuses années, le ras-le-bol social est monté en puissance.

 Du côté grec, on le sait, la terrifiante et médiatique « crise financière mondiale » guette. 25% de chômeurs chez les moins de 24 ans, précarisation, économie parallèle en expansion, la situation économique est loin d’être réjouissante. Le mécontentement est aussi politique. La classe politique parait inefficace et trempe dans des scandales. L’actuel premier ministre Kostas Karamanlis est le symbole de ces politiques dont les jeunes grecs ne veulent plus.

Si les situations sont comparables, elles sont toutefois loin d’être identiques.
La crise française était le résultat d’une fragmentation sociale très pesante. C’est majoritairement la voix des quartiers « défavorisés » qui s’est exprimée en 2005. En Grèce, c’est dans le quartier d’Exarchia, dans le centre d’Athènes, qu’ont commencées les violences. Ce quartier, connu pour son côté bohème, a souvent été le théâtre de heurts entre forces de l’ordre et groupes anarchistes. La crise grecque parait être le résultat d’une forte lassitude politique et économique, plus que d’une isolation sociale.

Mêmes modes d’action ?

Dans les deux cas, les violences prennent essentiellement la forme d’incendies criminels et de jets de pierres contre les forces de l’ordre. Parfois, des émeutes ont éclaté. Principales cibles des incendies : véhicules [[Au 21 novembre, selon un total établi par la DGPN, 9 071 véhicules avaient été brûlés depuis le début des émeutes]] et édifices publics.
Les nouvelles technologies sont mises au service des violences : en France, les portables avaient permis aux participants de rassembler les plus jeunes, en Grèce, Internet et les blogs appellent à l’émeute.
Si, en France, le Président de la République n’avait pas hésité à décréter l’état d’urgence assorti d’un couvre-feu, en Grèce, l’action gouvernementale et policière grecque semble bien plus timorée. Les émeutes avaient duré un peu plus de trois semaines en France, qu’en sera-t-il en Grèce ?