Guy Birenbaum : « Que font les journalistes dans cette galère? »

Le chroniqueur Guy Birenbaum, qui sort actuellement un livre intitulé « Cabinet noir » aux éditions Les Arènes, s’attelle à démonter une à une les illusions qui survivent encore chez deux journalistes de demain. Sans langue de bois, il critique la pertinence des États Généraux autant que celle des contre-États Généraux de la presse. Il va jusqu’à remettre en cause la légitimité même du journaliste.

Les États généraux de la presse, « une mascarade »

Quelle est votre position par rapport à l’organisation des Etats généraux de la presse par le pouvoir exécutif ?

Je suis totalement contre. C’est une mascarade. Le problème, c’est de savoir pourquoi les journaux ne marchent pas. Mon sentiment, c’est qu’il y a une forme de connivence. Ce n’est pas sous les lambris et sous les ordres de l’Élysée qu’on doit régler les problèmes d’une corporation, dont l’un des fondamentaux est l’indépendance par rapport au pouvoir. Ceux qui vont chercher de l’argent pour ne pas sombrer parce qu’ils n’ont plus de lecteurs, qu’ils ne se demandent pas pourquoi ils sont muselés.
Je pense qu’ils sont tellement habitués à un système subventionné qui leur a permis de survivre jusque-là qu’ils ne voient même pas le problème. Qu’ils se demandent pourquoi leurs journaux ne marchent pas ! Selon moi, un des éléments de réponse, c’est le sentiment général, vrai ou faux, partagé par les jeunes générations et les gens qu’on voit sur Internet, qu’il y a une forme de connivence. Et comment mieux incarner cette connivence qu’en se mettant dans la main du président ?

On voit que l’État envisage un véritable Plan Marshall de la presse dans les prochains mois, mais on peut observer que les rapports dont s’inspire l’Élysée préconisent ensuite un effacement de l’État dans ce domaine par une suppression des aides directes accordées à la presse…

Oui, donc tout ça est paradoxal et assez peu compréhensible. Je ne comprends pas ce que des gens très intelligents comme Bruno Patino, pour qui j’ai beaucoup de respect, font dans cette galère. Et entre parenthèses, mes amis d’Internet ont aussi claqué la porte quand ils ont compris qu’ils n’avaient pas accès au pognon. Sans vouloir faire de procès d’intention, la vraie raison c’est ça : si on leur avait dit « On va budgéter quelque chose pour les sites Internet indépendants », ils seraient restés.
On est un peu suspicieux quand on connaît les rapports entre le président de la République et les patrons de presse. Je ne les ai pas inventés. La particularité française est là : combien y a-t-il de groupes indépendants en France ? Il y a Alain Weil, qui a fait RMC Info, BFM TV, La Tribune et puis sinon il y a Bertelsmann et Prisma, groupe étranger qui ne fait que de la presse. Les autres font du BTP, des avions, des armes, et je travaille parfois sur une antenne, Europe 1, dont le patron vend des armes. Donc si vous voulez, cette proximité est problématique, c’est l’exception française, un peu comme en Italie, alors qu’autour de nous, en Allemagne, en Angleterre, il y a des grands groupes plurimédias indépendants. Mais le Président de la République a raison de dire que les seuls qui sont prêts à financer en France, c’est Pinault, Lagardère ou Bouygues.

Il n’y aurait pas de « Murdoch » à la française ?

Si, il y a Alain Weil, mais c’est de l’« info low cost ». Regardez comment ça se passe : ils viennent de lancer un journal de sport, qui concurrence ce qui peut, c’est de la précarité, des petits contrats pour les journalistes, du copier/coller sur Internet. Ce n’est pas terrible. Puis se rajoutent à tout ça les gratuits qui ont amené des gens qui ne lisaient pas. Mais est ce que ça leur a fait acheter des journaux ? Vu les résultats de Métro et de 20 minutes qui sont déficitaires. Attention, je ne suis pas un ayatollah comme tous nos amis de la presse écrite qui ont hurlé en disant que ça leur volait des lecteurs, alors que la concurrence, même avec un gratuit, ça doit justement en amener. Il y a une émulation, c’est concurrentiel. Mais si les autres voulaient que leurs journaux soient achetés, ils devraient les faire moins chers et meilleurs. Parce que de ce point de vue-là, moi je n’achète plus les journaux depuis cet été. Je suis « addict » de l’info, mais pourquoi m’embarrasser avec ces papelards ? Le Parisien, qui n’est pas un mauvais journal, il faut 5 minutes pour le lire, Libération, 10 minutes…Le Monde, Le Figaro, on peut lire le contenu en ligne. Pourquoi avoir un budget presse absolument délirant ?

Oui, mais ce sont les gens qui achètent le papier qui financent les sites internet des grands journaux…

Je suis d’accord, mais les journalistes ont un problème car ils considèrent qu’ils doivent être payés une deuxième fois quand ils sont publiés sur le net. Moi je suis désolé, je travaille pour un patron, je ne veux pas être payé en plus si je suis publié sur Internet. Il faut arrêter les conneries. Ils vont le chercher où l’argent ? Ils n’ont pas fait la preuve de leur capacité à le ramener. Donc je comprends pourquoi ils ont besoin de subventions, mais qu’ils se demandent d’abord pourquoi les gens ne lisent pas leurs journaux et pourquoi ils sont mauvais. Parce qu’ils sont mauvais !

Le rapport Montaigne, que l’on peut consulter sur le site des États généraux, n’hésite pas à citer ouvertement la concentration, par le biais des grands groupes plurimédias comme celui de Silvio Berlusconi, comme gage de pluralisme…

La caractéristique du sarkozysme, c’est la décomplexion. Je vous rappelle quand même qu’en France, l’arrivée d’un système dans le « style » Berlusconi, c’est Mitterrand. N’oubliez jamais que la Cinq, c’est Mitterrand. Sur la publicité, qui voulait sa suppression ? C’était une proposition de la gauche dans les années 80. De toute façon, l’argent débloqué ne suffira pas. Il suffit de connaître un peu des producteurs d’information pour savoir que depuis des mois et des mois, depuis janvier en vérité et cette annonce un peu délirante de Nicolas Sarkozy qui a surpris tout le monde, il ne se passe plus rien. Ça n’a pas été préparé et du coup, les productions à la tv ont été gelées dans plein d’endroits. Il n’y a plus de décision à France Télévision depuis 6 mois. Ça, c’est un vrai problème. Donc mon sentiment, c’est qu’il ne faut pas hurler car la suppression de la pub à la télé est une proposition historique de la gauche, mais telle qu’elle est faite de la manière actuelle, c’est insuffisant. Surtout qu’ils ne veulent pas entendre parler d’augmentation de la redevance, alors qu’il faudrait le faire en vérité. Déshabiller Paul sans le rhabiller, il va être à poil. Ils ont de la choucroute dans le cerveau nos amis journalistes. Le rapport avec Internet, ils ne comprennent rien.

Les contre États
généraux de la presse, « bullshit »

Que pensez-vous d’initiatives comme les contre États Généraux organisés par Mediapart et RSF ?

« Bullshit », comme les États Généraux. Je vais vous dire la vérité, ces gens ne m’intéressent pas tellement. Je pense qu’ils n’ont pas compris le monde qui passe sous leurs yeux. Que faire avec des gens qui ne comprennent pas ? C’est un monde de collectionneurs de papillons, où chacun est punaisé. Toi tu es journaliste, toi tu es blogueur, etc. Qu’ils aillent voir des sites américains, le Huffington Post, Slate. Des sites qui font cent fois leur trafic au quotidien.
Ces gens n’ont pas compris le monde qui passe sous leurs yeux. Les contre États Généraux, je n’y crois pas du tout. C’est encore une fois une réflexion qui n’est basée sur rien qui ait un rapport avec la réalité, ni économiquement, ni sociologiquement, ni politiquement. La réalité, c’est Le Post, Facebook, Netvibes, c’est pas : « Je vais vous faire un journal tellement chiant que vous allez même pas le regarder sur Internet ». Mediapart, ça tombe des mains. Des papiers de douze kilomètres, c’est la négation du net ! C’est le Monde diplomatique, pour se faire mal aux yeux. C’est une utopie sympathique, mais ils sont dans l’idéal de la presse. La réalité du net n’est pas celle qu’ils voudraient.

François Bonnet de Mediapart explique qu’en claquant la porte, il voulait faire réagir les personnes de la commission pour que les États Généraux soient placés sous l’égide du Parlement.

Oui mais on nous parle de concurrence déloyale, parce qu’il y aurait de l’argent pour les sites adossés à des médias, comme le Monde ou le Nouvel Obs, et pas pour les sites indépendants, mais l’indépendance, ça a ce prix-là justement. Je suis contre ce système. Je ne pense pas que l’argent public puisse subventionner des médias censés être indépendants. Ça pose toujours un problème. Car le problème de Mediapart est simple : Il n’y a pas de modèle économique. Ils doivent monter à un certain nombre d’abonnés, et ils ne le sont pas, donc l’histoire est réglée. C’est une hérésie intellectuelle : Internet, c’est la liberté, la gratuité. Tous les plus grands sites américains sont ouverts. On ne peut pas, sur la culture du scoop, faire marcher un site. Il y a peut-être quelques milliers de personnes, pas plus, pour qui avoir l’information cinq minutes avant tout le monde est important. Cinq minutes après, l’information est partout. Ils n’ont rien compris : c’est la galaxie Gutenberg qui fait semblant d’avoir compris l’arobase. Cela ne me fait pas plaisir de dire ça, mais Internet, c’est gratuit. Le seul qui s’en sort avec ce modèle-là, c’est Daniel Schneidermann. Il s’est fait viré de son émission, donc sur l’émotion il a lancé une pétition, puis un site. On espère qu’en année deux il va retrouver tous ses habitués. Le problème, c’est qu’il ne veut pas de publicité et à mon sens il a tort : il faut arrêter de penser qu’on est dans la main des annonceurs, parce qu’à ce moment là tous les journaux sont dans les mains du pouvoir et c’est le serpent qui se mord la queue.

Ce qui est étonnant, c’est qu’il n’y ait pas de vue commune, de réaction de solidarité de la profession face à l’annonce de toutes ces réformes…

Ils se détestent. Ils vont continuer à se tirer dans les pattes, n’ayez aucune illusion. C’est une guerre entre des individus, il n’y aura jamais la moindre solidarité. On dit qu’ils sont corporatistes, mais ce n’est pas vrai, ils sont corporatifs pour leur titre. Ils n’arrivent pas à se fédérer pour des choses comme la clause de conscience, mais en revanche, parlez leur du secret des sources, et tout le monde est debout. Je ne regrette pas de ne pas avoir la carte de presse. Quand quelqu’un me dit que ce que je fais n’est pas du journalisme, je réponds merci.

Internet et journalisme, incompatibilité ?

La solution à tous ces maux se trouverait-elle sur Internet ?

Mais c’est qui Internet ? Ce sont les internautes. Il n’y a pas de deus ex machina super intello au-dessus. Chacun écrit ce qu’il a envie de lire, Plenel a fait ce qu’il avait envie de lire, sauf que son problème, c’est qu’il a fait Le Monde… De 1963 ! Je pense que, dans pas mal de domaines, l’expression « c’était mieux avant » n’est pas fausse, mais avec Internet ce n’est pas possible. Grâce aux nouveaux moyens c’est terminé : avec un petit appareil photo, je peux faire un reportage tout seul, et je peux le mettre en ligne en dix minutes. Ce qu’il faut que ces gens comprennent, c’est qu’ils ne sont pas adaptés à la planète telle qu’elle est.

A votre avis, peut-on abandonner le journal papier pour les sites Internet ?

Je ne sais pas. Semble t-il qu’un jour oui. Autant je ne crois pas du tout que les livres disparaîtront, autant les journaux, tels qu’ils sont là, ils seront morts. Parce qu’en France, il y a cette particularité qui fait qu’on ne pourra jamais s’en sortir, sauf avec la pompe à finance ou des mécènes… Bernard Arnault, François Pinault, Alain Weil… Mais ce n’est pas viable, ni louable. Et le jour où Lagardère en aura marre de paumer du pognon avec ses journaux… Alors évidemment, il a besoin d’Europe 1, du JDD, donc on peut toujours espérer. Mais on en vient à espérer qu’il ait besoin, pour son influence, de garder du papelard, pour que la presse survive ! S’il y a bien un truc dont je suis sûr, c’est que le journaliste n’a pas son destin entre ses mains.

Cependant, il y a une tendance actuelle qui veut que les annonceurs préfèrent se tourner vers les sites de service comme Google ou Yahoo plutôt que vers les sites d’information…

Le Post fait 30 000 € de recettes publicitaires mensuelles. Donc c’est à perte (ndlr : c’est I-Régie.com, filiale du Monde Publicité et du Monde Interactif, qui commercialise l’offre Internet du Post). Ça parie sur un développement qui permettra à échéance de devenir rentable, mais ce sont des investissements lourds de 3 ou 4 ans, que ne peuvent pas faire les indépendants. Ou alors ils se regroupent, ils se fédèrent, ils acceptent la publicité comme Bakchich, mais ils n’ont pas une thune. Pourquoi moi je suis sur le Post et pas sur les autres ?

Donc pour vous, le système des blogs est plus viable que celui d’Internet ?

Les sites adossés à des grands médias sont des sites plus viables que les indépendants. Comme dans l’édition, etc. C’est logique. Sachant qu’on aborde une crise terrible, je préfère être là où je suis que petit blogueur sur un site qui fait 10 ou 100 fois moins de trafic.

Et quel est le trafic sur le Post ?

Ma page perso fait tous les mois entre 350 000 et 400 000 visiteurs uniques, et un peu plus de 500 000 pages vues, donc le Post commence à être très costaud, mais ce n’est pas encore rentable.

Qu’est ce qui vous a poussé à vous lancer dans un blog ?

François Filloux, patron de 20 minutes, m’a dit que j’avais tout pour faire un blog : mon style d’écriture, mon côté en dedans/en dehors. Du coup je l’ai fait et ça a explosé. Puis le Post m’a proposé une rétribution.

Vous nous disiez tout à l’heure ce que vous pensiez de Mediapart, que pensez-vous des sites gratuits comme Rue89 ?

C’est la même chose. Ce n’est pas parce que c’est gratuit qu’ils n’ont pas la même chose dans la tête. J’aurais pu travailler avec eux, mais ils ne savent pas quoi faire de moi. Moi j’ai l’esprit du net. Donc, je n’entre pas dans leur case. Je suis trop déconneur pour eux, ils ne sauraient pas quand est ce que ce que j’écris est sérieux ou pas. Mais je fais confiance à l’intelligence du lecteur. Et ceux qui ne comprennent pas ça je les emmerde. Vous savez quoi, je m’en fous. Et eux, ils ont une espèce de charte de déontologie de mes deux qui leur pend au nez.

Alors selon vous, journalisme et Internet ne sont pas compatibles…

Si, c’est tout à fait compatible. Mais je me demande avec quoi journalisme est encore compatible. Moi c’est ça ma question : c’est quoi le journalisme ? C’est un mec qui enquête, qui vérifie, etc. Le problème c’est qu’il y a plein de gens qui en sont capables et qui n’ont pas leur carte de presse. De toute façon le métier de journalisme, c’est formidable : qu’est ce qu’il faut faire pour avoir sa carte de presse ? Le seul critère : 50% des revenus. C’est bizarre non ? Vous connaissez beaucoup de professions définies par la fiscalité ? Et bah voilà, rien qu’au départ ça ne veut rien dire. Donc moi je ne fais aucune opposition à la con entre blogueurs et journalistes. Qu’est ce qu’on en a à foutre ? Si vous avez du talent, écrivez, vous serez lu. Du talent, de la chance et du savoir faire. Les étiquettes, ça suffit. Les gens qui brandissent leur carte de presse, c’est ridicule. Et puis il faut être curieux. La curiosité des journalistes s’arrête de l’autre côté du boulevard Saint Germain. Quant à franchir le périphérique, n’en parlons pas.

Jean-Marie Charon :« Il semble indispensable d’innover, de se recentrer sur l’analyse »

Spécialiste des médias, Jean-Marie Charon est sociologue et chercheur au CNRS. Il fait aussi partie de la sous-commission d’amélioration des contenus siégeant aux États Généraux de la Presse. Il donne son avis sur la question…

Selon vous, qu’est-ce qui a conduit le gouvernement à organiser les États Généraux de la presse ?

Plusieurs facteurs en sont à l’origine. L’élément déclencheur a été la revente des Échos à LVMH durant l’été 2007, et les conflits qui s’en sont suivis avec la société des rédacteurs. Celle-ci a été soutenue par ses pairs et par le Syndicat National des Journalistes (SNJ), qui a été le premier à mettre en évidence la nécessité d’une réunion en présence de tous les acteurs de la presse, où seraient évoquées les questions de propriétés et de concentrations dans ce secteur. Le SNJ et ses partenaires en avaient déjà appelé aux États Généraux de la Presse pour aborder des questions plus générales, tel que le contenu par exemple. Autre élément important : les éditeurs. Ceux-ci ont accusé une forte baisse de leurs recettes publicitaires en 2007-2008. Ils ont donc demandé à l’État d’intervenir pour mettre en place une grande négociation et leur accorder un plan de soutien exceptionnel. La réponse du Président Sarkozy à tous ces événements a été d’organiser les États Généraux de la Presse.

Cela n’entraîne-t-il pas un risque de mélange des genres ?

Cela peut en effet discréditer la presse et les États Généraux. Et cela pose aussi le problème des connivences. Mais quelles sont les autres alternatives ? Une telle organisation est très coûteuse et difficile à mettre en place à cause de l’éclatement syndical d’une profession profondément individualiste. Finalement cela est assez habituel pour les entreprises de se retourner vers l’État lorsqu’elles rencontrent de grosses difficultés. D’ailleurs ce n’est pas la première fois que cela se produit dans ce secteur. Au début des années 1990, face à la dégradation de la conjoncture économique, Jean-Noël Jeanneney, alors secrétaire d’Etat à la Communication, avait initié un grand colloque au Conseil économique et social. Par ailleurs, il avait demandé un rapport visant à répertorier les grands problèmes de la Presse, afin de proposer des aides.

Ne pensez-vous pas que les États Généraux de la Presse sont trop axés sur les problèmes économiques de ce secteur et peu sur le reste ?

Ils ne traitent pas seulement des problèmes économiques, ils abordent également des questions sociales. Par exemple, concernant la distribution, il ne s’agit pas seulement d’évoquer la baisse des chiffres d’affaires, mais aussi de la manière de faire reculer la précarité des employés et de leur assurer une retraite décente.

La Presse est-elle victime d’une crise de l’offre ou de la demande ?

C’est toujours une crise de l’offre, donc du contenu. Celui-ci n’est pas assez diversifié et adapté au lectorat. La réflexion doit porter là-dessus mais ce n’est pas suffisant. Le modèle économique de la presse écrite se trouve aussi en grande difficulté. Les prix des journaux sont trop élevés car les coûts de fabrication le sont aussi. Tous ces problèmes sont totalement interdépendants. Il semble indispensable d’innover, de se recentrer sur l’analyse, le grand reportage, l’enquête, mais pour cela il faut du capital, et aussi peut-être revoir le statut légal de l’entreprise de presse.

Les Français lisent, écoutent et regardent les actualités. Comment expliquez-vous qu’ils soient si peu à s’intéresser aux Etats Généraux de la Presse ?

Le public se sent très concerné par les problèmes du secteur audiovisuel, mais peu par ceux de la presse écrite. Ses difficultés sont perçues comme moins importantes, car les éditeurs se disent en crise depuis plus de vingt ans, c’est un discours permanent. Cela a donc moins d’impact. Selon certains, les États Généraux ont oublié le « Tiers État », car les lecteurs n’y sont pas conviés. Cette critique est excessive, car en réalité il est très difficile d’associer le milieu syndical, les associations et les grandes fédérations d’éducation populaire. Car si leur direction se sent intellectuellement intéressée, leur base se mobilise peu.

Pensez-vous que les États Généraux ne sont qu’un prétexte visant à légitimer des réformes déjà prévues ?

Les professionnels de la presse ont pu craindre que les décisions clés soient déjà prises. D’une manière générale, ils se sentent mis en porte à faux et ont l’impression que le débat n’est pas équilibré. L’initiative d’organiser les États Généraux a été prise par le pouvoir politique et il existe peu de moyens de pression sur celui-ci, si ce n’est l’argumentation. Mais cela pèse bien peu. Par exemple, je suis complètement hostile aux textes remettant en cause les lois anti-concentration, qui n’ont rien à voir avec les problèmes de la presse aujourd’hui. De même, je pense qu’il aurait fallu plus de temps pour analyser et enquêter sérieusement sur les questions de distribution et de lectorat.

Que pensez-vous des « contre-États Généraux » organisés par Edwy Plenel ?

Je pense que c’est une initiative intéressante. Le but des États Généraux était de créer un grand débat public. Même ceux qui étaient très dubitatifs y sont allés et ont réagi dans ce cadre. Les autres peuvent aussi s’exprimer à l’extérieur. Cela incite les professionnels de la presse à mieux communiquer entre eux. Mais ce qui est encore plus intéressant, c’est que les associations et syndicats qui débattaient dans leurs coins, se sont également réunis. D’ailleurs, Acrimed, Attac et le SNJ vont organiser leur propre débat et faire des contre propositions.

Claude Droussent : « La presse écrite est un petit monde très cloisonné qui a besoin de prendre l’air « 

La crise que connaît la presse aujourd’hui ne touche pas seulement les journalistes. Les éditeurs et patrons de presse sont également soucieux pour l’avenir du média menacé par l’arrivée du numérique. Pour résister à ce défi, faut-il changer complètement les modèles économiques actuels des entreprises de presse ?

Anciennement grand reporter puis directeur des rédactions print et numériques de l’Équipe, Claude Droussent est aujourd’hui consultant pour l’IFRA [[http://www.ifra.com/]], une unité de recherche et de formation pour les éditeurs sur la mise en place des médias d’aujourd’hui mais surtout de demain. Haut Courant l’a rencontré à l’occasion du Congrès de la Presse à Lyon le 21 novembre 2008.

De votre point de vue, comment sortir de la crise que la presse connaît aujourd’hui ?

Il faut que le monde de la presse écrite fasse sa révolution. Bien au-delà de ce qu’il se passe dans les États Généraux de la presse écrite aujourd’hui, qui montrent seulement que c’est un petit monde très cloisonné qui a besoin de prendre l’air et il lui faut surtout regarder ce que la jeune génération développe. Il faut que le monde de la presse écrite observe comment les moins de 35 ans vont vers l’information, comment ils l’utilisent, comment ils jouent avec, comment ils ont envie d’y participer… Tout cela lui permettra d’imaginer de nouveaux modèles pour aller se déployer sur les nouveaux supports et aller beaucoup plus à la rencontre des publics, aller plus vers ce qu’ils veulent et ce dont ils ont besoin, choses qui ne sont pas trop considérées dans les journaux actuellement.

Le monde de la presse écrite doit donc se remettre en question…

Aujourd’hui, on va livrer de l’information en pensant que c’est de la bonne information à livrer aux gens. Mais en fait ça ne l’est pas puisque les gens nous consultent de moins en moins. Il faut avoir une réflexion tout en gardant les fondamentaux qui sont la qualité éditoriale, le fait de savoir hiérarchiser l’information, la vérifier, parce que la déferlante des médias numériques a aussi un inconvénient, c’est de livrer beaucoup d’informations un peu bancales. Donc il faut aller vers le monde en restant sur ces fondamentaux, l’éthique et la qualité de son métier.

Les États Généraux de la Presse Écrite vont-ils produire de vraies solutions ?

Ils sont utiles, mais c’est une demi-déception dans le sens où nous avons l’impression, vu de l’extérieur, que ce sont les problèmes d’un monde vraiment très fermé. Il n’y a qu’un des quatre pôles des États Généraux qui est vraiment très intéressant, celui qui est dirigé par Bruno Patino versé vers les nouvelles technologies. Sinon j’ai vraiment l’impression qu’on a donné cet os à ronger à ceux qui sont passionnés pour les occuper un petit peu pour faire croire que… Quand on se promène ici (ndlr : dans les allées du XIe Congrès de la Presse Française à Lyon), on a l’impression de visiter un musée.

La presse sportive ne connaît pas la crise

Grande oubliée des États Généraux, la presse sportive semble moins sous le feu de la crise actuelle. Encore économiquement rentable, l’Équipe conserve son monopole ainsi que des ventes correctes. Un, deux puis trois nouveaux quotidiens sportifs tentent de prendre leurs marques sur un marché apparemment ouvert.
Radiographie d’un guerre entre plusieurs David et un Goliath.

Pour le sport en France, il y a une institution : l’Équipe. Elle jouit d’une position monopolistique depuis des années, et même des décennies. Elle a même atteint un tirage à faire pâlir les meilleurs quotidiens nationaux en 1998 pour la victoire finale de l’équipe de France de football en coupe du monde. Le succès ne se dément pas, porté par quelques évènements majeurs comme la victoire en coupe d’Europe en 2000, le bide retentissant de 2002 ou encore le coup de tête de Zidane en 2006. Depuis quelques temps pourtant, suivant le mouvement d’une presse qui se meurt, le quotidien connait une baisse de régime, plutôt importante si on la met en relation avec un été qui aurait du être porteur (coupe d’Europe de football, jeux olympiques). On note quelques tentatives pour contrecarrer l’image du journal roi comme le lancement du quotidien Élans en 1948 ou encore Le Sport en 1988, mais aucune d’elles n’aboutirent. Ces temps-ci pourtant, la concurrence se relance à l’attaque d’un géant qui connait, comme l’ensemble de la presse, un passage à vide ( -7% en septembre 2008). Le mois de novembre 2008 a vu paraître deux nouveaux quotidiens sportifs, à mi-chemin entre les gratuits et les payants (50cts) : Le 10 Sport et Aujourd’hui Sport, et le mois de janvier verra naître un troisième titre : Le Sport.

La nouvelle concurrence

3 novembre 2008. Un nouveau quotidien sportif vient marcher sur les plates-bandes du géant national. Son nom : Le 10 Sport. Crée par Michel Moulin, ancien conseiller sportif du Paris St Germain, et Alain Weill, patron de NextRadioTV, le journal est vendu 50 centimes en kiosque. Un prix inférieur à celui de l’Équipe (90 centimes), un même nombre de
pages, mais du côté de 10 Sport on se défend de faire concurrence à la référence.
« La France, qui ne compte qu’un seul et même journal sportif a le droit elle aussi, tout comme nos voisins Espagnols et Italiens, d’offrir aux lecteurs et aux passionnés de sport un nouveau journal« . Michel Moulin qui a notamment lancé Paru Vendu est conseiller du groupe Hersant Média, axe son quotidien à 70% sur le football, le reste du journal étant consacré au rugby, à l’omnisport et aux courses hippiques. Mais le football, c’est le fond de commerce de l’Équipe, sa matière première. Le Destroyer, malgré l’attitude du 10 Sport qui tente de calmer le jeu et se défend de toute récupération de lecteurs, ne voit pas d’un bon œil que l’on vienne chasser dans ses eaux. Ainsi, l’Équipe dès les prémices de la mise sur pied du 10 a contre attaqué en lançant du tac au tac : Aujourd’hui Sport. Quotidien, 50 centimes, là encore même format, axé football, l’Équipe a poussé le vice à délibérément copier son adversaire afin de le supprimer d’entrée et de récupérer une part des lecteurs qui auraient pu s’y intéresser.

Des objectifs pas atteints

« Le point mort se situe à 80.000 exemplaires vendus » a récemment annoncé Michel Moulin au Journal du Dimanche. Il va falloir pour lui revoir ses intentions à la baisse. Les premiers jours de parution se sont situés à environ 100 000 lecteurs par jour pour les deux quotidiens, jouant certainement sur la curiosité des lecteurs. Mais comme le signalait très justement Marie Odile Amaury, la patronne de Aujourd’hui Sport, les ventes lors des premiers jours ne sont pas significatives. L’effervescence passée, les ventes ont dégringolé. Selon des chiffres recoupés, les ventes moyennes du 10 Sport auraient avoisinées les 40 000 exemplaires, Aujourd’hui Sport lui, serait à 30 000 exemplaires par jour. Des ventes bien éloignées du chiffre d’équilibre. Face à ce constat d’échec, le 10 Sport s’est vu contraint à retravailler sa copie. Nouvelle maquette, nouvel habillage, le groupe s’est également associé au groupe Partouche afin d’ouvrir ses colonnes au Poker, de plus en plus populaire en France. De son côté Aujourd’hui Sport n’a rien changé sur la forme ou le fond mais est allé chercher son lectorat à la source en installant des points de ventes aux entrées des stades.
Guerre des nerfs, bataille de communication, tout est bon pour éliminer son adversaire et faire progresser les ventes. Dans cette histoire, c’est Le 10 qui a beaucoup à gagner mais aussi beaucoup à perdre. Marie Odile Amaury a d’ores et déjà annoncé que si Le 10 se retirait, elle cesserait la parution de son concurrent. C’est donc au journal de Michel Moulin de faire ses preuves et de tenter de conquérir son lectorat.

Après la guerre

Pendant que la guerre se déroule et que les chiffres n’incitent pas à l’enthousiasme, un troisième larron doit se faire du souci en ce moment. Le 26 janvier est programmée la sortie d’un troisième quotidien sportif : Le Foot. Il sera lancé par Robert Lafont, tiré à 150000 exemplaires et vendu à hauteur de 60 centimes. Devant le triste tableau que proposent les deux quotidiens lancés en novembre, le directeur d’Entreprendre reste serein. «Il reste la place pour un journal de foot de qualité» assure-t-il. Encore faut-il parvenir à faire de la qualité pour ce prix. Chose insolite, les ventes de l’Équipe ne se sont jamais aussi bien portées depuis l’apparition des deux journaux. L’Équipe se frotte déjà les mains en attendant le 26 janvier.

Jean-François Julliard : RSF indésirable

A l’occasion de l’organisation coordonnée du Off des États Généraux de la presse par Médiapart et Reporters sans Frontières, nous avons rencontré Jean-François Julliard le jeudi 27 novembre 2008. Le jeune secrétaire général de RSF a pris la suite de Robert Ménard il y a deux mois, après avoir œuvré à ses côtés pendant dix ans.
Dans une interview accordée à Haut Courant, il nous livre son sentiment sur les États Généraux de la presse après s’en être vu refusé l’accès, son regard sur la situation de la presse écrite en France. Une position engagée, mais néanmoins tempérée et optimiste.

Il nous explique en quoi RSF s’est trouvé indésirable au sein des États Généraux organisés par le gouvernement :

La soirée du 24 novembre au Théâtre de la Colline, ou « Off des États Généraux de la presse » donnera lieu à un texte commun engageant à la défense de la liberté de la presse, nommé « Appel de la Colline » :

RSF nuance cependant la position alarmiste de Mediapart quant au phénomène de concentration des médias en France :

Le principal danger est représenté par la suppression de la clause de conscience qui faciliterait le renforcement de ces grands groupes plurimédias dont il ne nie pourtant pas la nécessité :

Grâce à son regard éloigné, il considère que la presse française est forte de son indépendance. La crise qu’elle subit ne serait en aucun cas une crise de l’offre, comme l’affirment une bonne partie de la profession ( …..) ainsi que les rapports dont s’inspirent les commissions mandatées par l’Élysée :

Pour Jean-François Julliard, la crise est avant tout économique, la presse subissant de plein fouet la révolution Internet : une fuite des lecteurs qui s’explique d’abord par une crise de confiance née au lendemain du 11 septembre :

A l’heure où « une information dissimulée par un titre de presse serait immédiatement dénoncée et diffusée sur Internet », l’organisation représentée par Jean-François Julliard, particulièrement engagée dans le domaine de la liberté de la presse, se veut malgré tout « confiante dans l’avenir de la presse française ».

Christophe Deloire : Le CFJ s’implique

Christophe Deloire est en poste à la tête du CFJ depuis février 2008. Il participe aux tables rondes des Etats généraux de la Presse.

De quelle manière vous êtes vous impliqué dans les États Généraux de la presse ?

Quand les États Généraux de la presse ont été mis en place, c’est naturellement que nous avons participé aux débats.
Certains étudiants de première année participent aux États Généraux, dans le pôle « Industrie de la presse » et sont chargés de réfléchir sur ce projet avorté.

Les États généraux ont été organisés par Nicolas Sarkozy, ce qui provoque la colère de certains journalistes. Qu’en pensez-vous ?

Les États généraux portent surtout sur la situation financière des médias français. La question est de savoir comment on peut faire baisser les coûts de production de la presse française, qui sont les plus forts d’Europe. Je trouve intéressant de se poser cette question, qui est au centre des débats.
En revanche, il serait très étrange que le président s’immisce dans les débats concernant le contenu des journaux (Il y a pourtant une commission, « contenu » au sein des États Généraux. ndlr) Ça, c’est aux journalistes d’en débattre entre eux. Mais je pense vraiment qu’il est bon de se rassembler et de parler ensemble.
Il faut dire que les gens qui participent aux débats sont des gens qui se parlaient déjà auparavant…

Les États généraux peuvent-ils apporter une réponse à la crise que traverse la presse française ?

La crise est double : crise financière, crise de l’offre. J’ai trop entendu à la conférence de Lyon mercredi dernier (mercredi 19 novembre) que la crise était une crise de demande : « c’est la faute de ces méchants Français qui ne lisent pas les journaux !»
Je pense qu’il y a un manque d’originalité de la part des journalistes, on n’ose pas se démarquer, créer d’autres choses.

Comment sont formés les étudiants du CFJ face à ces enjeux?

Je sais qu’on accuse souvent les écoles de journalisme d’être des lieux de formatage mais je ne suis pas d’accord. On apprend à nos étudiants à penser par eux-mêmes, à être indépendants, à avoir l’esprit critique.

Le CFJ est en partenariat avec une école de commerce et de management…

Oui mais ça n’est pas un partenariat économique. Au CFJ, nous pensons que les futurs journalistes doivent connaître le milieu économique dans lequel ils vont s’inscrire. Un journal est aussi une entreprise qui doit faire de l’argent, il faut savoir vendre son produit.
Nos étudiants vont donc prendre des cours de management et de commerce ( sur la base du volontariat) à l’ESCP (Ecole Supérieure de Commerce de Paris) et les étudiants de l’ESCP viennent prendre des cours de journalisme chez nous.

On sait que les grands industriels de la presse participent aux États généraux, est-ce qu’ils peuvent apporter une solution à la crise financière que traverse la presse ?

On ne sait pas encore sur quoi vont déboucher les États généraux, mais je pense qu’on peut trouver des solutions pour améliorer la situation financière de la presse française. Il faudrait que les groupes de presse se rassemblent pour être plus forts économiquement.
Il faut aussi que le public soit pris en compte dans ces débats.

Vous parlez du public, des citoyens, comment expliquez-vous que les Français s’intéressent si peu aux États généraux ?

C’est normal qu’ils ne s’y intéressent pas, c’est une actualité interprofessionnelle, qui ne concerne que les journalistes. S’il y avait des événements à la Poste, ça serait pareil.

Pourtant les citoyens sont les premiers à lire les journaux, donc les premiers concernés, c’est le cas aussi pour la Poste, les gens s’intéressent à ce qui compose leur vie quotidienne…

Oui mais je pense que c’est normal que les gens ne se passionnent pas pour les États généraux, je pense vraiment que cela concerne le milieu professionnel et pas le public.
Je ne m’étonne pas du manque d’intérêt du public.

François Bonnet : Un « énorme simulacre de l’Élysée »

Après avoir quitté précipitamment la commission Numérique des États Généraux de la presse écrite, François Bonnet, directeur éditorial de Mediapart se lance pour Haut Courant dans une vive critique de cette « concertation » organisée par l’Élysée dans laquelle tous ses confrères se seront rués. Il insiste sur le conformisme des rédactions, symptôme de l’actuelle crise d’indépendance que subit la presse française. Nous l’avons rencontré dans les locaux de Mediapart à Paris le lundi 24 novembre 2008.

François Bonnet explique la manière dont il a été convié par Bruno Patino à participer aux États généraux:

Très vite, il a émis des réserves quant à l’organisation de ce Grenelle, mettant en cause notamment la présence de membres du cabinet de Nicolas Sarkozy au sein de chacune des commissions. C’est pourquoi il a donc soumis à celle présidée par Bruno Patino les propositions suivantes : transfert des États généraux sous la tutelle du Parlement, mise en place d’une procédure de vote et remise en cause de la représentativité des invités :

François Bonnet s’est vu opposer une fin de non-recevoir, il a donc « claqué la porte » après seulement 17 minutes de discussion :

Cette fin de non-recevoir ne déclenchera pas de débat au sein de la commission : il n’était pas question de procéder à des votes. François Bonnet s’étonne que « des journalistes comme Laurent Joffrin ou Frédéric Filloux puissent accepter ce fonctionnement » ; il est encore plus sceptique quant au choix de Rue89 d’y « aller sans illusion » :

Mediapart a donc décidé d’organiser une soirée de réaction, le Off des États Généraux de la presse, pour mettre en garde un lectorat exclu des discussions sur la question de l’indépendance du journalisme :

Les seuls à avoir rejoint Mediapart dans l’organisation du Off sont Reporters Sans Frontières ; Bonnet considère que la ruée vers les États Généraux de l’ensemble de leurs confrères est un des symptômes de la crise :

Le directeur éditorial de Mediapart dénonce ensuite le fait que, comparé à d’autres pays, la presse française est une des plus massivement aidées par l’État.

François Bonnet déclare qu’en fait d’aides publiques, la seule revendication de Mediapart concerne l’égalité de traitement entre les sites attachés à des titres papier et les « pure player », ou sites d’information indépendants quant au taux de TVA.
Il nous explique ensuite ce qui constitue pour lui le cœur de la crise :

Avec l’exemple du journal Les Échos racheté par Bernard Arnault, il termine son propos par une critique du conformisme de la presse française :

François Sergent : « Une bonne idée réalisée à la va-vite »

Malgré la participation de Libération aux Etats généraux en la personne de Laurent Joffrin, le rédacteur en chef adjoint nous a accordé une interview dans laquelle il n’hésite pas à critiquer les carences en tout genre des travaux en cours. Tour à tour, il expose son avis sur Internet, le système des aides à la presse, la concentration des médias ou encore la clause de conscience du journaliste, sans pour autant s’affoler des répercussions potentielles de ce « grenelle ».

Pouvez-vous nous rappeler la position de Libération par rapport aux États généraux de la presse ?

L’équipe de Libé y est plutôt favorable : l’idée du Président, quelque soit le Président, était légitime. Qu’il y ait des intentions plus ou moins perverses derrière, ça c’est sûr… Mais par ailleurs, c’est bien de réunir tous les acteurs. Ce qu’on a un peu regretté, c’est la manière dont ça s’est organisé : on nous l’a présenté comme un Grenelle où tous participeraient. En fait ça n’a pas vraiment été le cas : je ne sais d’ailleurs toujours pas pourquoi RSF n’a pas été invité. Les choix sont un peu bizarres, ça n’a pas l’air d’être la mise à plat complète qu’on espérait. Je n’ai pas l’impression que l’ensemble des problèmes (de la fabrication à la distribution) seront examinés et actés. On a l’impression que de cette bonne idée, il ne va pas sortir grand chose, que la montagne va accoucher d’une souris. Il n’y a pas eu assez de participation des lecteurs. Comme souvent avec Sarkozy, la bonne idée est réalisée à la va-vite, avec des gens qui lui sont plutôt proches. Ça m’a l’air moins démocratique que le Grenelle de l’Environnement, qui avait été préparé pendant plus longtemps, mais aussi était beaucoup plus porteur d’espérance. Mais je pense que c’est important que tout le monde réalise l’état de la presse. Enfin, pour le moment, on n’a pas vu grand chose sortir…

En quoi et comment le quotidien Libération participe-t-il aux États généraux de la presse ?

Laurent Joffrin y est allé : Emmanuelle Mignon (ndlr : conseillère de Nicolas Sarkozy chargée durant un temps des Etats généraux de la presse) est venue le voir cet été, ils en ont discuté. Et puis, à un moment, on n’était plus dedans. Finalement, Laurent est allé à Lyon, où se trouvaient plus les patrons de presse que les journalistes.

On a vu paraître dans Libération des articles demandant que le « Tiers- État », c’est-à-dire les lecteurs, soit intégré aux États généraux de la presse : comment auriez vous vu ça ?

Je ne les trouve pas représentatifs de l’ensemble de nos problèmes : ils auraient pu voir les écoles, les jeunes journalistes, les pigistes, les radios locales… Il y a certes une ou deux sociétés de lecteurs, mais je ne pense pas qu’elles soient représentatives des lecteurs, puisque c’est organisé par le journal lui-même, des anciens. On aurait pu organiser des forums sur nos sites Internet. C’est vrai que ça n’a pas été fait. C’est très parcellaire comme États généraux. Et pourtant les lecteurs, c’est ce qu’il y a de plus important. Ce qui est compliqué dans les enquêtes de lectorat, ce n’est pas de trouver le lecteur régulier, c’est plutôt d’entrer en contact avec le non- lecteur ou l’ « abandonniste ». Or c’est cela qu’il aura fallu envisager : là encore, ce travail n’a pas été fait.

Comprenez-vous la position de Mediapart, en la personne de François Bonnet, qui « claque la porte » des États généraux ?

Non, je n’ai pas très bien compris les raisons de leur fâcherie. Bon, après tout, pourquoi pas ? Mais le fait qu’il soit parti au milieu, c’est ça que je ne comprends pas. Si on y va, on peut dire à la fin qu’on est pas d’accord, mais on reste. Nous on n’est pas très d’accord, on ne pense pas que ce soit la meilleure façon de faire ça, mais cela dit on y est resté, on y a participé. Je crois que l’intérêt des contre États généraux pour Plenel et Mediapart, c’est qu’ils ont des problèmes spécifiques qui ont été très mal abordés : les sites de news n’ont pas d’aides, par exemple, ils ont même du mal à ce que leurs journalistes aient des cartes de presse… C’est vrai que la loi et le système n’ont pas été conçus pour ça. Mais il me semblait que c’était prévu par Bruno Patino et sa commission sur Internet. Je pense que les conclusions de Plenel ce soir seront actées et que le gouvernement les écoutera quand même. Peut-être qu’il a voulu faire ça de manière spectaculaire… Mais pour moi, mieux vaut être dedans. A ma connaissance, Rue89 y est resté.

Quant à la crise, êtes-vous d’accord avec le postulat selon lequel la crise de la presse française est une crise de l’offre, et non de la demande ?

Bien sûr que c’est une crise de l’offre ! Si les jeunes lecteurs ne nous lisent pas, c’est de notre faute, c’est qu’on fait quelque chose qui n’est pas adapté. Cela dit, c’est quand même aggravé par les coûts de fabrication, par les difficultés de distribution, par la publicité, et évidemment par la concurrence d’Internet. Il me semble que pour toute une génération désormais, l’information, mais aussi la musique, le cinéma, les jeux, les logiciels, c’est gratuit. Or c’est faux, c’est pas gratuit, le coût de fabrication est élevé : les 150 journalistes, les 50 personnels administratifs, le matériel, l’image, le logo Libération… Tout ça, dans une autre économie, serait payant. On en arrive à un système absurde où c’est les quelques lecteurs payants qui nous reste qui financent le site de Libération. Et c’est le cas de tous les grands journaux.
Je n’ai pas de solution, mais même le New York Times ne l’a pas…

La solution semblerait se trouver sur Internet : qu’en pensez-vous ?

Non, Internet n’est pas une solution. Bien que ce soit inévitable : c’est un moyen de diffusion qui a provoqué une révolution énorme. Le problème c’est que personne n’a encore trouvé le modèle économique. Que ce soit Rue89 ou Mediapart : aucun n’est à l’équilibre… Moi je crois qu’Internet, dans la tête des gens, c’est gratuit.

Cependant les annonceurs semblent fuir les sites d’information : pensez-vous que la publicité puisse continuer à financer l’information ? Sinon, quoi d’autre?

Je ne sais pas… Mais la voie royale, c’est le financement par les lecteurs ! La seule liberté d’un journal est économique. Pour l’instant, Libé, dont la survie n’est pas assurée, est totalement dépendant de la publicité et de ses actionnaires. Ce qui ne veut pas dire que l’annonceur va pouvoir nous dire « Faites un papier sur mon copain » : ça marche pas comme ça, en tout cas à Libé. C’est dur d’imposer un papier à un journaliste. D’autant qu’avec Internet, maintenant, ça se sait tout de suite. Mais c’est vrai qu’on serait beaucoup plus à l’aise s’il y avait un plébiscite plus important des lecteurs. Pour ma part, je trouve qu’on fait un bon journal, mais c’est un peu comme un très bon chef qui fait de la très bonne cuisine mais que les gens ne viennent pas dans son restaurant.

On sait que les aides étatiques sont indispensables au maintien de la presse. Un Plan Marshall semble être en passe de se mettre en place (déclaration de Christine Albanel vendredi 21 novembre), avant le retrait total des aides en 2012 et l’ouverture à la concurrence, annoncé par les rapports Giazzi et Montaigne: qu’en pensez-vous ?

Je ne vois pas comment c’est possible. On va mourir ! C’est un peu contradictoire : les États généraux nous ont laissé penser que l’État ne laisserait pas tomber la presse quotidienne. On a déjà touché des aides à la modernisation, à hauteur d’un million d’euros si je me souviens bien. Mais ce n’est pas qu’un problème de modernisation : on peut se mettre à Internet d’ici trois ans, mais si les ressources ne sont que publicitaires, on ne fera vivre qu’une vingtaine de journalistes…

La volonté avouée est la création de grands groupes plurimédias, les rapports Montaigne et Giazzi les présentent même comme « une garantie de pluralisme » : qu’en pensez-vous ?

La presse française est déjà relativement concentrée, certes moins que dans le reste de l’Europe ou aux USA. Alors il est vrai qu’on pourrait réduire les coûts en se rassemblant, en mettant en commun le système informatique, le matériel, les bâtiments. Nous, à Libé, on a évoqué la possibilité de le faire avec Le Point et Le Nouvel Obs, mais ce n’est plus aujourd’hui à l’ordre du jour. Pour l’instant, on résiste à la logique économique, en évoquant le fait que la presse n’est pas un produit comme les autres. Si l’information est un service public et que le contribuable français doit financer France Télévision et Radio France, pourquoi pas, un jour, Libération ou Le Monde ?

La construction ou le renforcement de ces grands groupes multimédias seront facilités par la suppression des clauses de conscience et de cession et des droits d’auteur : qu’en pensez-vous ?

Je ne vois pas en quoi il serait intéressant pour un groupe de prendre un quotidien : il lui ferait perdre de l’argent.
C’est vrai que la clause de conscience empêche un peu les mutations, et coûte cher. Le problème, c’est que le système est vicié : si Libé est racheté dans 4-5 ans, j’ai 59 ans, avec mon ancienneté je vais partir avec 300 000 ou 400 000 euros. Effectivement, le système incite à faire ça, d’autant plus que je sais que je ne retrouverai pas de travail, vu mon âge, dans ce secteur-là. Beaucoup de gens ont fait ce raisonnement quand Rotschild est arrivé, en se disant j’ai 45 ans, si je pars avec 200 000 euros, ça va. Je ne pense pas qu’ils auraient tout de suite retrouvé un bon boulot, ou mieux payé, ils n’auraient pas eu besoin des 200 000 euros pour partir, ils auraient fait comme n’importe quel licencié dans une entreprise française.
Je ne pense pas que la clause de conscience soit un obstacle à la concentration. Je vois mal qui, dans une entreprise de presse rentable, aurait envie de prendre Libération, et d’assumer ses pertes. Je le répète, on va contre la logique économique.

Mediapart et RSF font de la Colline « l’antichambre de l’espérance »

Lundi 24 novembre 2008 à 20h30, Médiapart et Reporters sans Frontières présentaient au Théâtre de la Colline, à Paris, le « Off des États Généraux de la Presse ». Tout au long de la soirée, sociologues et journalistes ayant répondu à l’appel ont unanimement condamné l’ingérence du Président de la République dans une néanmoins nécessaire réforme de la profession.

L’invitation aura été lancée par communiqué de presse à l’ensemble de la profession tandis que le lectorat était prévenu par une vidéo diffusée sur les sites Internet des deux organisateurs, relayée au sein de la communauté Facebook. Arrivé aux portes du théâtre, 500 personnes de tous âges sont accueillies par une poignée de militants d’Acrimed et du futur Nouveau Parti Anticapitaliste leur annonçant, déjà, une autre manifestation le 27 novembre au Musée Social à 18h.

A l’intérieur, on s’installe dans les fauteuils du bar en attendant que la salle ouvre ses portes. On aperçoit déjà l’équipe de Médiapart et Jean-François Julliard, secrétaire général de RSF, recevant Emilien Jubineau, Alain Genestar et Jacques Bouveresse. Quelques étudiants du CFJ (Centre de Formation des Journalistes, à Paris) sont présents : «On vient par curiosité, pour avoir un autre point de vue sur les États Généraux de la Presse».
Tandis que la salle se remplit, un court documentaire intitulé Presse et Pouvoir est projeté en écran géant. Il revient sur la relation des journalistes avec le Président de la République, d’Albert Lebrun à Nicolas Sarkozy. La projection se termine sur l’actuel chef de l’État interpellant le directeur de publication de Libération : «Vous parlez de pouvoir personnel, Monsieur Joffrin, mais dites-moi combien de unes Libération m’a consacré ?»

Lever de rideau

La salle est désormais quasi-comble, le lecteur est entouré en majorité de professionnels, observateurs ou participants. Les absents « sont en train de passer à côté de l’essentiel. Dans quelques mois, ils se réveilleront avec la gueule de bois, mais il sera trop tard… » prophétise Philippe Schröder, président du Club de la presse section Nord-Pas de Calais. L’occasion de mettre en avant l’originalité de la position de Médiapart dans le paysage de la presse française. Invité à participer à la commission « Presse et numérique » par Bruno Patino, le journal en ligne aura été le seul média à se retirer après 17 minutes seulement de discussion. Reporters sans Frontières s’associera à l’initiative après s’être vu refuser l’accès aux Etats généraux.

«La réalité n’a aucune importance, seule la perception compte» : la phrase dénoncée par Edwy Plenel, co-fondateur de Médiapart, est de Laurent Solly, alors directeur adjoint de la campagne présidentielle du candidat UMP. La formule choque, l’auditoire est capté. Il s’agit ce soir de clamer haut et fort l’impérieuse nécessité d’assurer l’indépendance du journaliste. Plus que jamais, c’est l’activisme de l’Élysée qui est mis en cause : «Sarkozy qui crée des États Généraux de la Presse, c’est comme créer un ministère de la laïcité et le confier à Benoît XVI» (Caroline Fourest de Charlie Hebdo).

Premier acte – Témoignages

Il y aura deux parties dans cette soirée. Dans un premier temps, des journalistes viendront témoigner des pressions qu’ils subissent dans l’exercice de leurs fonctions. Le second temps sera consacré à la discussion avec des membres d’associations, des sociologues, des intellectuels.

Sur grand écran ou sur scène, les journalistes atteints dans leur indépendance défilent à un rythme effréné. Alain Genestar rappelle les pressions politiques qui ont conduit à son éviction de la direction de la rédaction de Paris Match. «Il existe deux phénomènes dans la presse française aujourd’hui : la fascination qu’exerce Sarkozy sur les directeurs des journaux, et la peur des journalistes de perdre leur travail». Puis interpelle la salle : «Peut-on admettre en France que le Président exerce une telle pression qu’on en arrive à virer un journaliste ?» Laurent Mauduit témoigne quant à lui de la difficulté d’être journaliste économique par les temps qui courent : censuré au Monde pour une enquête sur les Caisses d’Épargne, il est une fois de plus mis en accusation pour l’avoir poursuivi pour Médiapart. «Comment être journaliste aux Échos, maintenant propriété de Bernard Arnault ?». L’une d’entre eux, Leïla de Cormorand, prend la parole et confirme les «conflits d’intérêt potentiels», d’autant que le fils du propriétaire de LVMH est membre du Comité d’indépendance éditoriale du quotidien…
Parmi les nombreux intervenants, on retiendra Emilien Jubineau et Joseph Tual, victimes du zèle de la justice, qui évoqueront les multiples gardes à vue qu’ils ont vécu, et vivent encore, dans l’exercice de leur profession. En apparition vidéo, on notera la contribution d’Audrey Pulvar, rappelant que la pression exercée sur le journaliste peut aussi se faire par le manque de moyens matériels qu’on lui accorde. La salle applaudit après chaque intervention, rit parfois, s’offusque, souvent.

Vient alors pour l’assemblée le moment de l’entracte. Les comédiens Anouk Grinberg et François Marthouret entrent en scène, pour lire d’une voix solennelle des textes de Marc Bloch, Albert Londres, Hannah Arendt ou encore Albert Camus : «Un pays vaut souvent ce que vaut sa presse» (extrait de l’Éditorial de Combat, en 1954).

Deuxième acte – Pistes de réflexion

Les intervenants de la deuxième partie lanceront ensuite des pistes de réflexion devant un auditoire plus clairsemé mais toujours aussi attentif : comment, en pleine crise de la presse, retrouver la confiance du lectorat et la pérennité financière ? L’intervention pleine d’humour et de piquant de l’illustre blogueur Philippe Bilger, avocat général près la Cour d’Appel de Paris, détend l’atmosphère. Il affirme : « Les blogs ne vont pas contre les médias. Au contraire ! C’est un moyen de leur donner une importance et une visibilité dans l’espace public ».
C’est au tour de Bernard Stiegler, sociologue et philosophe, de prendre la parole : « la presse française est fondamentalement menacée de disparition ». Il explique qu’elle est une composante essentielle du système démocratique mais qu’elle est actuellement absorbée par le secteur des industries culturelles qui visent avant tout à produire du contrôle gouvernemental : c’est la notion de « psycho-pouvoir » (ou « société du contrôle » chez Gilles Deleuze). Il préconise donc la « reconstitution d’une intelligence collective pour reconstruire un espace public ravagé ».
Pour Cyril Lemieux, sociologue des médias et auteur de Mauvaise Presse (2000), « l’important, c’est de convertir l’indignation morale en action politique ». Malgré la pauvreté de la réflexion des politiques sur la presse, à gauche comme à droite, il incite à la défense ardue du statut de 1947.
Le dernier mot reviendra à Jacques Bouveresse, Professeur au Collège de France : citant Karl Kraus, il condamnera le « pouvoir de l’argent » et confiera son « rêve d’une presse qui cesserait de transmettre le message du pouvoir ». A ce sujet, il cite l’exemple de l’arrestation des saboteurs présumés des caténaires de la SNCF, « terroristes se réclamant de l’ultra- gauche » : un sujet dans lequel se sera engouffrée la presse, « s’excitant au lieu de comprendre ».

Dernières tirades- L’appel de la Colline

Entre conscience profonde de la crise actuelle et espoir de meilleurs lendemains, la réunion illustre finalement la maxime d’Edwy Plenel : « L’inquiétude est l’antichambre de l’espérance ». Tandis que le collectif RAJ (Réunion des Associations de Journalistes) déplore la « perte du sens même du métier », François Malye, président du Forum des sociétés de journalistes, encourage les journalistes et leurs lecteurs si rarement réunis à profiter de l’occasion pour se fédérer dans la défense d’un bien commun : « Vive la crise ! ».
La soirée se terminera tard dans la nuit, sous les applaudissements d’un public qui regrettera seulement de n’avoir pas pu interpeller directement les acteurs du débat, comme il était prévu à l’origine : « C’est dommage, ça m’a beaucoup intéressé, mais j’aurais aimé réagir… » (Catherine, 55 ans, conteuse et abonnée du Théâtre de la Colline). Et jusque dans les couloirs du métro Gambetta, on entend: « C’était vraiment bien : on en ressort tout secoué ! Il y a de quoi se poser de sérieuses questions… Maintenant, le tout, c’est d’agir ! ».

Daniel Deloit:  » Ne pas pouvoir accéder à la formation continue est un danger « 

Lancés le 2 octobre 2008, les États généraux de la presse écrite questionnent encore actuellement le devenir de la presse et des métiers qui l’animent. Interrogé sur l’avenir du métier de journaliste ainsi que sur les formations qui s’y réfèrent, Daniel Deloit, directeur de l’Ecole Supérieure de Journalisme de Lille, nous livre ses angoisses, espoirs et certitudes.

Vous participez au pôle de réflexion sur l’avenir du journalisme depuis l’ouverture des États généraux de la presse, que pensez vous de cette initiative ?

La profession se mobilise souvent par secteurs d’intérêt et une mobilisation de cette ampleur m’était inconnue jusqu’alors. Il est toutefois navrant de constater qu’un homme du gouvernement en est à l’initiative. Cela pervertit considérablement la nature du débat puisque par principe ou par posture, certaines personnes ont décidé de ne pas participer. A côté de ceux là, d’autres qui participent n’ont finalement pas grand chose à dire. Néanmoins, il est bon pour une profession de se parler d’autant plus que les sujets abordés sont tous vitaux. Laisser la place à un corpus de préconisations ou de règles figées après l’arrêt de États généraux serait toutefois regrettable. Il faudrait au contraire que l’on ait une forme d’échange permanent entre toutes les composantes du monde de la presse.

Quels sont les enjeux principaux en ce qui concerne les formations aux métiers du journalisme?

Notre école est professionnelle et professionnalisante. Elle prépare donc à une profession et vise à faire connaître le métier sous toutes ses coutures. Il est essentiel pour un journaliste d’être formé et important qu’il y ait une liberté et une diversité d’accès à ce métier.
Avec mes collègues, nous souhaitons qu’il y ait pour cela une formation continue, bien adaptée. Même si une personne n’a pas réalisé d’école, elle doit avoir la possibilité d’approfondir un certain nombre de points. Chaque année, seulement 20 % des journalistes qui ont obtenu leur carte sortent des écoles. Ne pas pouvoir accéder à la formation continue est un danger puisque cela entraîne une forme de précarisation. Il est de la responsabilité des écoles, des entreprises et des syndicats de se saisir de manière plus effective du problème. Il faut briser les cercles vicieux et faire des propositions dans ce sens, ce que nous avons fait aux États généraux de la presse.

Vous évoquez une diversité d’accès au métier, que répondez vous à ceux qui parlent de « formatage » des écoles de Journalisme?

Le recrutement des journalistes, en dehors des mesures de discrimination positive, est un peu élitiste il faut le reconnaître. Toutefois les meilleures écoles de journalisme étant des écoles post-universitaires, c’est à l’ensemble de la chaîne de l’enseignement de s’y intéresser. Ceci n’enlevant rien à notre responsabilité. Nous réfléchissons actuellement pour l’ESJ à des modes de recrutement plus ouverts. Toutefois, si l’on entend par « formatage » le contenu des enseignements proposés, je ne suis pas d’accord. Le journalisme est un métier qui nécessite un apprentissage particulier. L’essentiel des cours que nous dispensons ne sont pas de la remise à niveau académique. L’enseignement est assuré par des intervenants professionnels apportant chacun un éclairage sur leurs médias. Nous attachons beaucoup d’importance à la personnalité des étudiants ainsi qu’à la diversité des enseignements, le formatage ne peut donc pas exister.

L’essor du numérique vous a-t-il poussé à adapter votre formation?

Nous considérons que le multimédia fait partie de la culture générale du journaliste, nous l’avons donc intégré au sein de nos enseignements. C’est aussi une forme de spécialisation, même si nous ne l’avons pas érigé en tant que simple spécialité. Une école doit veiller à ne pas faire le grand écart entre les mouvements de fond d’une profession et les phénomènes de mode. Il nous apparaît évident que les schémas éditoriaux et économiques ne sont pas encore établis. Il convient de penser le métier à 10 ans pour orienter nos enseignements, mais n’oublions pas que nos jeunes deviennent journalistes l’année prochaine!

Pourtant le numérique remet clairement en question l’avenir de la presse écrite…

La presse est capable d’affronter le numérique sur le plan économique mais ne le maîtrise pas sur le plan éthique, déontologique et philosophique. La presse écrite a aujourd’hui du mal à faire l’écart entre le local et le village universel, il le faudra pourtant. Il convient d’accorder une place au journalisme citoyen. Nous sommes sur ce point assez ouverts, mais il faut dominer les dérives qu’il entraine. Pour cela, il me semble urgent que les journalistes puissent être identifiés comme tels et servir de balises sur la toile. Cette grande lucidité sur le mécanisme laisse transparaître de grosses difficultés à l’appréhender.
Enfin, la culture technocentriste partagée dans les groupes de médias réclame de l’urgence en permanence. Les journalistes manquent de temps et de recul. Ils sont pris dans cette envie de faire toujours plus vite, et ne font pas forcément mieux. Les notions essentielles sont la maîtrise et la responsabilité. L’un ne va pas sans l’autre et les formations aident à les concevoir.