Philippe Gildas, 50 ans de journalisme et d’humour

«Comment réussir à la télévision quand on est petit, breton, avec de grandes oreilles ?» Avec humour et maintes anecdotes, Philippe Gildas nous livre une belle autobiographie. Il est ce jour, 14 avril, l’invité de la librairie Sauramps Odyssée où il se livrera à une séance de dédicace dès 15h, suivie d’une rencontre à 17h. Ce grand bavard répond aux questions des journalistes de demain.

Roger Gicquel, un grand nom du journalisme nous a quitté

Il fut pendant des années la voix du 20 heures de TF1. Journaliste humaniste, présentateur vedette du journal télévisé dans les années 1970, Roger Gicquel est décédé samedi 06 mars 2010 des suites d’un infarctus.

Un parcours hors des sentiers battus

L’icône du 20 heures de TF1 a eu un parcours atypique. D’abord steward au sein de la compagnie UTA avant d’embrasser une carrière de comédien, ce n’est qu’au début des années 1960 que Roger Gicquel est devenu journaliste. Localier au Parisien Libéré dès 1961, il a pratiqué le terrain et ainsi apprit à connaître les gens durant sept ans. « La vie des gens l’intéressait » ajoute Patrick Poivre D’Arvor au micro de RTL. Il a intégré en 1971 le service d’information de l’Unicef, où il a travaillé deux ans en tant que consultant. Encouragé par Roland Dhordain, Roger Gicquel s’est ensuite essayé à la radio en présentant la revue de presse de France-Inter (1968-1973), dont il est devenu grand reporter à partir de 1969. Dès 1973, Gicquel a occupé le poste de directeur de l’information de l’ORTF jusqu’à son éclatement en 1974.

Mais, sa renommée, Roger Gicquel la doit au journal télévisé de TF1 où il fut nommé présentateur en 1975. Il est devenu la première « star » de l’information et a créé un JT novateur, très personnalisé, à la demande de TF1, à l’époque en pleine concurrence avec Antenne 2. À la Revue-Médias en 2007, il résumait : « montrez le même homme chaque soir à la même heure pendant des années et il devient automatiquement une célébrité ! » Après six années, gêné par sa notoriété et las de devoir présenter chaque soir un nouveau malheur, le présentateur a décidé d’arrêter le JT.

Roger Gicquel a pourtant continué d’occuper plusieurs postes sur TF1, jusqu’à sa privatisation en 1986. De 1983 à 1986, il a notamment produit et animé l’émission Vagabondages, au cours de laquelle il recevait des personnalités du monde socioculturel. Ensuite, Roger Gicquel a animé durant cinq ans, sur France 3 Ouest, En flânant, un magazine intimiste qui donnait à voir une Bretagne souvent méconnue, tout en sensibilisant le spectateur à la question environnementale : pollution et problèmes d’urbanisme notamment. L’émission s’est arrêtée en 1997 et Gicquel a poursuivi la ballade bretonne en écrivant : Tous les chemins mènent en Bretagne (1998) et Croisières et escales en Bretagne (2007). Amoureux de sa région natale, Roger Gicquel s’est aussi engagé pour la défendre, en devenant membre de l’association Eau et Rivières de Bretagne, qui milite contre les algues vertes.

Un journalisme personnalisé

Si Roger Gicquel est également reconnu, c’est pour son ton et son style, très personnalisé, alors qu’il présente le journal télévisé de TF1. En effet, la chaîne lui a demandé de personnaliser le JT. Alors que naît la concurrence entre TF1 et Antenne 2, il faut identifier le journal. Ainsi, chaque soir, Roger Gicquel introduit son journal par un éditorial dans lequel il donnait son avis sur tout ou presque. Selon Patrick Poivre d’Arvor, « il mettait volontiers de l’émotion dans l’information. A la suite de ses sujets, il donnait son sentiment sur ce qu’il venait de voir. Ce style inspirait la confiance. Quand les gens le voyaient arriver, ils se disaient : au moins celui-là il sait de quoi il parle ». Gicquel estimait de son devoir d’afficher cette sensibilité et il l’expliquait ainsi : « un journaliste qui relate un événement effroyable, s’il n’a pas cette once d’émotion naturelle, n’est pas humain ». Et bien que cette personnalisation semble aujourd’hui dépassée, elle marque le passage à l’antenne de Roger Gicquel, regardé chaque soir par des millions de Français. Et selon lui : «aujourd’hui, l’information à la télévision est désincarnée, directe et sans état d’âme. Je ne suis pas d’accord. Prendre le temps d’expliquer les choses et donner aux autres le temps de les entendre et de les comprendre, c’est une qualité. Pas seulement professionnelle. C’est aussi une qualité de vie.»

Roger Gicquel reste notamment célèbre pour cette phrase : « la France a peur », prononcée pour ouvrir le journal le 18 février 1976, après l’enlèvement et le meurtre à Troyes du petit Philippe Bertrand, dont Patrick Henry a ensuite été reconnu coupable. Restée dans les mémoires, cette phrase de Gicquel décrivait la profonde émotion qu’avait suscitée ce fait divers. Cette formule, telle qu’on la connaît, a d’ailleurs été tronquée et détournée de son sens. En effet, quelques minutes plus tard, Roger Gicquel précisait que cette peur était un sentiment auquel il ne faut pas s’abandonner.

Hommage à l’homme et au journaliste

Depuis l’annonce de son décès, nombreux sont les hommages qui lui sont rendus. Le site LeParisien.fr recense tous les petits messages qui sont adressés aussi bien à l’homme qu’au journaliste. Nombreux sont les internautes à regretter « la voix » et le « style » de Roger Gicquel, « un homme qui aura marqué plusieurs générations de téléspectateurs ». Si Anakyn le décrit comme : « proche, humain, confident, honnête, modeste, l’ami de tous qui s’invitait chez nous à travers le petit écran. Un vrai journaliste, capable d’improviser, de réagir à chaud, de poser des vraies questions, quelqu’un d’authentique et de simple qui nous manquera beaucoup. On lui garde une petite place en nous parmi nos beaux souvenirs, là où il continuera d’exister», Lapinbleu regrette « son humanisme, sa sensibilité, son parlé vrai que nous avons perdu au fil des prompteurs sans âme, condamnés à l’opinion la plus répandue…». Comme le relève LeParisien.fr, l’hommage dépasse même les frontières. Ainsi pour Flobarth, « c’est une page d’histoire importante qui est tournée à la télévision. Ce grand monsieur a marqué toute une génération de Français et d’Anglais, puisque qu’une grande majorité d’Anglais s’étaient connectés sur le journal télévisé de 20h français pour écouter Roger Gicquel. A chaque journal télévisé, j’ai une pensée pour lui. »

Ses acolytes journalistes le saluent également. Pour Michel Drucker, «la France a peur, c’est lui. Il avait un ton, il ne séparait pas l’info du commentaire, prenait l’info à son compte». Ajoutant : « Roger Gicquel était un très bon journaliste. Il a été le journaliste star entre Léon Zitrone et Patrick Poivre d’Arvor».

Roger Gicquel a marqué toute une génération de journalistes. Les journalistes de demain que nous sommes ont tout à apprendre du parcours et de l’homme qu’il était.

Julie DERACHE

Pascal Riché : les aides à la presse en ligne critiquées mais assumées par Rue89

Pascal Riché, co fondateur et rédacteur en chef de Rue89, était le 22 janvier dernier à Montpellier. Venu enseigner aux élèves journalistes les spécificités de l’écriture web, il a accepté d’aborder son aventure devant la caméra de Haut courant.

Pionnier de l’information en ligne, le site Rue 89 s’est lancé en 2007 avec pour objectif singulier de révolutionner l’information.

Il s’est principalement démarqué par son interaction avec la communauté des internautes ainsi que ses contenus multimédias, renouvelant grâce au web, le rôle et la perception du journalisme.

Dans un souci de transparence, le site privilégie un débat participatif et propose une «information à trois voix» mettant à contribution journalistes, experts et internautes. L’avantage ? Obtenir une information complétée, vérifiée, contredite… Bref, enrichie. «Un modèle repris par les sites d’information des grands journaux qui ont petit à petit intégré les blogs et le participatif» d’après l’ancien correspondant international de Libération.

L’expérimentation comme totem d’indépendance, Rue89 a su éclaircir de nombreuses zones d’ombres dans l’actualité en prenant en compte les multiples évolutions qu’offre Internet aux médias et au public. Et entend bien continuer ainsi, «sans penser au papier» et à «sa difficulté de gestion».

Les sites d’information en ligne connaissent un essor fulgurant sur la toile tandis que la presse papier ne cesse de s’affaiblir. Pourtant, ce pure-player qui ne manque pas d’ambition, reste encore à la recherche d’un modèle économique stable et viable.

Haut courant a profité de cette rencontre pour discuter de l’évolution d’une telle entreprise dans le journalisme.

60 millions d’euros de subventions pour les entreprises de presse sur Internet.

Le premier fond d’aide au développement de la presse en ligne, créé suite aux États généraux de la presse écrite, prévoit sur les trois années à venir 60 millions d’euros de subventions pour les entreprises de presse sur Internet.

Au coté de Mediapart et Slate, Rue89 a obtenu un fond d’aide de 249 000 euros. Ces pure player s’étaient regroupés autour du Spiil ( Syndicat de la Presse Indépendante d’Information en Ligne) et avaient milité pour que soit rétablie «l’équité et la transparence de ces aides à la presse».
Le montant de celles attribuées aux sites de journaux papiers n’a encore jamais été révélé à ce jour.

De nombreuses critiques mais un choix assumé

Évoquant des «conditions de concurrence faussées», Pascal Riché a exprimé la position de Rue89 face à ces subventions et explique pourquoi ils les ont accepté, malgré de nombreuses critiques.

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La presse papier ne va pas disparaitre tout de suite

Même si P.Riché reconnaît que l’essor du support numérique dans l’information «bouleverse une presse déjà fragile», il ne lui prédit pas pour autant une fin proche.

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Cinq journalistes testent les réseaux sociaux

Pendant cinq jours, des journalistes vont être enfermés dans un gîte du Périgord. Ce n’est pas le décor de la dernière émission de télé réalité en date, mais une expérience journalistique. Avec pour seule source d’information Facebook et Twitter, ils vont devoir commenter l’actualité à la radio et sur leur blog. Le but de cette expérience entamée lundi 1er février est de tester la valeur des informations délivrées sur les réseaux sociaux.

Eric Raoult défend les autorités tunisiennes face aux attaques des journalistes

Le 31 octobre dans une interview sur la chaine Berbère TV le député de Seine Saint-Denis, Eric Raoult, soutient le président Ben Ali malgré les atteintes de la Tunisie à la libre expression en justifiant ainsi le refoulement de la journaliste du Monde Florence Beaugé

Une journaliste du Monde refoulée en Tunisie

Le 21 octobre, la journaliste du Monde Florence Beaugé, spécialiste de la Tunisie venue couvrir les élections présidentielles et législatives est refoulée à l’aéroport de Tunis. Considérant que la journaliste «a fait preuve de malveillance patente à l’égard de la Tunisie et de partis pris systématiquement hostiles», les autorités tunisiennes ont décidé que Florence Beaugé ne devait plus travailler sur leur territoire. La journaliste française était venue une semaine auparavant en Tunisie et avait publié une série d’articles après des entretiens avec des opposants et activistes qui s’en sont pris sans ménagement au pouvoir. Elle avait donc ouvert un débat tabou celui des Droits de l’Homme et de l’opposition en Tunisie.

Depuis, le président Zine El-Abidine Ben Ali a été réélu pour la cinquième fois à la tête du pays avec un peu moins de 90% des voix et Florence Beaugé «se voit accuser « d’appeler au meurtre », « au coup d’Etat et à l’attentat en Tunisie« », nous révèle le monde.fr. Cette affaire aurait pu passer inaperçu si un député UMP, Eric Raoult, n’avait pas fait polémique en approuvant la décision des autorités tunisiennes sur ce qu’on peut appeler une censure journalistique.

Un député UMP qui défend les autorités tunisiennes

Lors d’une interview sur la chaine Berbère TV le 2 novembre, débusqué par le site d’information rue 89, Eric Raoult, député UMP de Seine-Saint-Denis et président du groupe parlementaire d’amitié France-Tunisie n’a pas caché son soutien au président Zine El-Abidine Ben Ali en déclarant que «la Tunisie est un pays stable […] c’est un pays ami de la France. Je serais tenté de dire à ceux qui disent en persiflant, en ironisant sur ces 90% que les gens aiment Ben Ali» . Mais loin de s’arrêter à ces propos le député a critiqué la position des journalistes français qui doutent de la démocratie tunisienne en prenant le cas de Florence Beaugé. «Un certain nombre d’observateurs français font de la provocation à l’égard du président Ben Ali, ils savent donc que quand ils arrivent à Tunis, on les remet dans l’avion.» Pour Eric Raoult il est donc logique et normal que les journalistes qui entachent la réputation du Président tunisien puissent être refoulés lors de leur descente d’avion. En effet en affirmant que «la Tunisie n’a pas les mêmes critères démocratiques que nous» et qu’en plus «c’est un pays qui commerce avec nous», Eric Raoult considère que les journalistes devraient regarder d’autres régimes autoritaires comme la Libye plutôt que de se limiter à une critique de la Tunisie. Mais en pointant du doigt le travail des journalistes, c’est un débat sur le rôle du journalisme dans la société et de la liberté des médias qu’ouvre Eric Raoult.

Une question sur la liberté de la presse

Si un journaliste du Monde n’a pas pu rentrer en Tunisie car il a écrit un article dérangeant le pouvoir en place, il ne faut pas inverser les rôles même si la Tunisie est un «ami de la France». En effet le problème n’est pas du coté du journaliste mais bien du pouvoir tunisien qui, en agissant ainsi, met en péril la liberté d’expression et donc bafoue les Droits de l’Homme. Rappelons nous encore une fois le dernier point du programme de Nicolas Sarkozy en 2007: «je ne passerai jamais sous silence les atteintes aux droits de l’homme au nom de nos intérêts économiques.» Ce n’est donc pas parce que la Tunisie est un partenaire commercial de la France et que sa démocratie est en transition qu’il ne faut pas rapporter ses atteintes aux Droits de l’Homme.
Si le journalisme est légitimé par la démocratie il a aussi des devoirs envers elle, le devoir d’élever le débat public, le devoir de donner un sens à l’information. «Un pays vaut souvent ce que vaut sa presse. Et s’il est vrai que les journaux sont la voix d’une nation, nous étions décidés, à notre place et pour notre faible part, à élever ce pays en élevant son langage» écrivait Albert Camus dans son journal Combat le 31 août 1944. Le journaliste n’est donc pas là pour être consensuel, mais pour «porter la plume dans la plaie» comme aimait l’écrire Albert Londres, il en va de sa légitimité et de son devoir envers l’opinion publique et la démocratie. Donc Monsieur Raoult, un journalisme de «provocation» n’existe que si il dérange et s’il dérange c’est qu’il a rempli son rôle de contre pouvoir.

« Fortapàsc », Journalisme et Camorra ne font pas bon ménage

Toujours dans le cadre du 31e Festival du cinéma méditerranéen de Montpellier, mardi 27 octobre a été présenté « Fortapàsc » de Marco Risi. L’histoire vraie de Giancarlo Siani, l’unique journaliste italien, à avoir été abattu par la Camorra, la mafia napolitaine, pour s’être intéressé d’un peu trop près à leurs affaires.

Interview de Vincent Truffy: les confidences d’un journaliste de Mediapart

Jeudi 22 octobre, Vincent Truffy, journaliste à Mediapart, le site d’informations en ligne d’Edwy Plenel, a rendu visite aux étudiants du Master 2 Métiers du journalisme pour leur dispenser ses précieux conseils autour du thème: « écrire sur le web ».

Vincent Truffy a du métier, et pourtant c’est avec une grande simplicité qu’il s’est prêté au jeu de l’intervieweur interviewé. «Un exercice dont je n’ai pas l’habitude mais auquel je me prête de bonne grâce», a t-il expliqué. Il a surtout consacré une journée entière à dispenser de précieux conseils techniques en matière de média sur le net aux étudiants du master de la fac du Droit et Science politique.

L’avenir de la presse en ligne n’est plus à démontrer et beaucoup d’entre nous seront amenés à utiliser, maîtriser et adopter ce média. De Twitter, en passant par Facebook, sans oublier les nouvelles fonctions proposées par Google, comme Googlereader qui permet de faire sa propre revue de presse en fonction de ses centres d’intérêt, tout y est passé. Non sans perdre le fil de temps à autre, ce qui a provoqué quelques cafouillages et des éclats de rires. La nouvelle technologie ne s’apprivoise pas si facilement… Même si Vincent Truffy a su être un excellent professeur, d’une grande patience.

Le web est un outil sans cesse en renouveau que même lui doit apprendre à maîtriser au quotidien depuis son arrivée à Mediapart. Pourtant Vincent Truffy est un précurseur, puisqu’il a contribué au webjournalisme français depuis ses prémices à la fin des années 1990 en participant à la création du Monde Interractif en 1996. Tout jeune, à 22 ans, il débute sa carrière au quotidien Le Monde comme secrétaire de rédaction dans un premier temps, puis pour les suppléments et publications. Avant de devenir rédacteur en chef adjoint chargé d’édition. Après quatorze ans de bons et loyaux services au sein de ce prestigieux journal, il a décidé à 36 ans de se lancer dans une nouvelle aventure au côté d’Edwy Plenel, ancien directeur de la rédaction du Monde: Mediapart. Dans l’interview qu’il a accordée à Hautcourant.com, il explique les raisons de ce choix, sa façon de travailler avec toute l’équipe mais aussi les différences entre son expérience au Monde et celle à Médiapart. Un témoignage à ne pas manquer.

Interview de Vincent Truffy

Slate.fr, l’information à l’américaine

L’ancien directeur de la publication du « Monde », Jean-Marie Colombani, a annoncé mardi 10 février le lancement officiel de la version française du site d’information américain Slate.com. Un nouveau « pure player » sur la toile, qui tente d’enrayer la crise de la presse écrite par une information de qualité sur Internet.

Il y avait Bakchich, Rue 89 puis Mediapart. Des « pure player » comme on aime à les nommer. Des journaux numériques fidèles aux préceptes de l’éthique de la presse écrite, mais animés d’une fougue et d’une croyance dans le papier pixelisé. Aujourd’hui, ils sont rejoint par un quatrième mousquetaire, média qui a déja fait ses preuves aux Etats-Unis avec un succès indéniable : Slate.

Fondé en 1996 par Michael Kingsley avec le soutien financier de Microsoft, Slate sera racheté par le Washington Post en 2004. Depuis, Slate.com est devenu le premier site d’information américain « pure player » (qui ne décline pas de version papier ou audiovisuelle), avec 6 millions de visiteurs uniques mensuels. Son code de valeurs se distingue par une rigueur, une pertinence, parfois même un ton provocateur et ironique. Son design est sobre mais efficace, et nourrit l’ambition du projet : faire de Slate un journal numérique d’informations, de « facts, facts, facts« , mais avec un recul, avec un fort esprit d’analyse.

La participation du site mère, Slate.com, sera à hauteur de 15% du capital.

Slate possède donc désormais sa version française. Mais le nouveau « pure player » dirigé par Jean-Marie Colombani se veut pour autant indépendant, comme l’explique l’ex-patron du monde en affichant son ambition sur le site : « Slate.fr, entreprise indépendante contrôlée par ses fondateurs, a pour ambition de devenir l’un des principaux lieux en France d’analyses et de débats dans les domaines politiques, économiques, sociaux, technologiques et culturels« . L’actionnariat majoritaire sera ainsi détenu par Jean-Marie Colombani, mais aussi par deux anciens du Monde, Eric Leser et Eric Le Boucher, auxquels s’ajoutent Johan Hufnagel, ancien rédacteur en chef du site 20 minutes, ainsi que l’écrivain et économiste Jacques Attali. La participation du site mère, Slate.com, sera à hauteur de 15% du capital.

« Slate.fr est destiné à ceux qui veulent prendre du recul, et avoir une vision de l’actualité avec une valeur ajoutée »

Le lancement de ce petit frère français du géant américain est une très bonne nouvelle pour la presse hexagonale. Reconnu comme un média indépendant avec une information de qualité, admiré et source d’inspiration de médias français comme Mediapart, Slate.com redonne ses galons de noblesse au journalisme, à son éthique. Son information est de type magazine, distanciée et pesée, ne privilégiant pas l’actualité chaude, les dépêches, et le flux mené d’une main de fer par Google News. La version française devrait reprendre ces mêmes dogmes. Pour Eric Leser, fondateur, Slate.fr est destiné « à ceux qui veulent prendre du recul, et avoir une vision de l’actualité avec une valeur ajoutée ». D’ailleurs, le site français traduira régulièrement des articles de Slate.com afin de proposer du contenu, et enrichir de plumes américaines un site pour l’instant encore pauvre en articles.

Les fondateurs se sont donné un délai de trois ans pour être stables financièrement dans un projet où ils auront investi 2 à 3 millions d’euros. Des rumeurs circulent sur le soutien politique d’un certain Nicolas Sarkozy. Eric Leser s’en défend : « nous n’avons aucun engagement politique, tous les bords sont représentés« . Il serait en effet dommage que l’espoir d’une nouvelle presse de qualité et indépendante se fonde dans la mélasse politique de nombreux titres français.

« La presse est totalement dépendante ! »

Depuis les dernières élections présidentielles, les rapports incestueux entre médias, politiques et industriels ne cessent de défrayer la chronique. Au quotidien, ces problèmes sont gérés par des Sociétés de journalistes (SDJ), internes aux rédactions. Ce sont les seuls organes de surveillance
déontologique, mais ils souffrent
toujours d’un manque de
reconnaissance. Depuis 2003, date de
la création du Forum permanent des
SDJ, elles ont enfin la possibilité de se
fédérer. Vingt-sept SDJ y ont adhéré,
soit une moyenne de 3000 journalistes.
Après avoir été le président de ce forum
de 2003 à 2007, François Malye, Grand
reporter au Point, en est aujourd’hui le
secrétaire général. Observateur
privilégié de ces rapports complexes, il
confirme : « L’ambiance des rédactions
est excessivement délétère ».

P.B. : En quelques mots, comment est
né le Forum permanent des SDJ ?

François Malye : Jusqu’à la fin des
années 1990, le secteur n’était pas encore
trop sinistré. A partir des années 2000, la
concentration a augmenté. Des
entrepreneurs, dont les médias n’étaient
pas le cœur de cible, ont racheté des
journaux. Il devenait de plus en plus
difficile de faire face aux problèmes
internes liés à la déontologie et à la
censure… Et il devenait indispensable de
remettre de l’ordre dans tout ça. Nous
avons alors décidé de nous fédérer. Et en
cinq ans, nous avons doublé nos
adhérents… C’est bien la preuve qu’il y a
un problème !

Quel est son rôle ?

F.M. : Aujourd’hui, nous répondons à des
attaques multiples. Il existe des attaques
économiques, comme les pressions liées
à la publicité… Il existe aussi des attaques
politiques, comme lorsque Sarkozy souffle
le renvoi de Genestar, l’ancien patron de
Paris Match. Il y a une mainmise évidente.
Mais concrètement, la seule chose que
l’on peut opposer à ça, c’est une
« sanctuarisation » de l’indépendance des
rédactions. La loi doit reconnaître une existence juridique des Sociétés de
journalistes.
Nous revendiquons également un droit
de veto. Cela nous permettrait de refuser
un directeur de rédaction s’il ne respecte
pas la ligne du journal, ou si son projet
éditorial n’est pas bon. Aujourd’hui, il fait
ce qu’il veut.

En tant qu’observateur privilégié, quel
combat exemplaire de SDJ a pu vous
conforter dans votre mission ?

F.M. : Il y en a plusieurs. Le combat des
Échos est un combat exemplaire… Celui
du Monde l’est également. A la Tribune,
les journalistes ont négocié une vraie
charte avec Alain Weill, le nouveau
propriétaire, ce qui est exemplaire pour
bien des rédactions… Or ce n’était pas
simple ! Ce fut un vrai combat technique et
juridique. Weill a signé un accord
contraignant. Ce n’est pas forcément un
grand philanthrope… mais il a compris que
c’était nécessaire. Et d’autant plus dans
l’information économique.
Nous devons garantir au lecteur que
nous produisons une information de
qualité. Aujourd’hui, il n’y a pas de
garantie.

Avez-vous rencontré ce genre de
problèmes au Point ? Avez vous le
souvenir d’un conflit avec la famille
Pinault, qui possède votre journal ?

F.M. : Vous ne verrez jamais de conflit
avec la famille Pinault… Le conflit se joue
avec le directeur de la rédaction. En
réalité, c’est plus un problème
d’autocensure que de censure. Prenez
l’exemple des suicides chez Renault. Il
résume bien l’ambiance. Il y a eu très peu
d’enquêtes. Les journalistes n’ont pas
cherché à en savoir plus que ça… Il faut
surtout avoir en tête que Renault est l’un
des premiers annonceurs dans tous les
journaux…
Pour ma part, j’avais écrit un article sur
des insecticides. BASF [[BASF est un groupe allemand, comptant parmi les leaders de l’industrie chimique.]] a annulé un an de
publicité. Croyez moi, ce n’est pas rien…

Vous parlez souvent en termes
« guerriers ». Il est question de combats,
de rapports de force. Alors quel est
l’adversaire principal des SDJ ?

F.M. : A un moment c’était les syndicats.
Ils estimaient qu’on empiétait sur leur
travail. Aujourd’hui, nous avons quasiment
fait alliance avec eux. C’est vraiment que
la profession va mal.
Le problème, c’est que le pouvoir
politique croit que les journalistes doivent
être à la botte. Dans leur logique, le Conseil Supérieur de l’Audiovisuel (CSA) est un système imparfait, alors ils vont atténuer ses fonctions, et c’est le président qui
décidera… Idem pour la direction de
France Télévision [[La réforme de l’audiovisuel a ôté au CSA le pouvoir de nommer le président de France Télévision. Cette charge revient à présent au pouvoir exécutif, autrement dit à Nicolas Sarkozy.]]. C’est un recul
extraordinaire. Je crois qu’au fond, c’est un
problème de société. La population n’a pas
forcément conscience que certaines
valeurs doivent être préservées.
Lorsqu’on observe l’histoire des médias,
on s’aperçoit que la lutte pour la liberté de
la presse a pu provoquer des révolutions.
Mais aujourd’hui, nous vivons dans une
société consumériste et égocentrique.
Cependant, je ne désespère pas.

Le Forum permanent des SDJ a fait
des propositions de loi pour garantir
l’indépendance de la presse. Avez-vous
eu un retour du côté du
gouvernement ?

F.M. : Non. Les États Généraux
débutaient juste après… Mais je ne dis pas
que sans ça, ils nous auraient répondu.
Pour ces gens, nos demandes paraissent
outrancières. Ils ne comprennent rien à la
vie dans une rédaction.

Que pensez-vous des États Généraux
de la presse ?

F.M. : Le problème de ces États
Généraux, c’est qu’ils ne se préoccupent
pas non plus de la qualité du produit.
Depuis 93, le journal la Croix publie un baromètre de
la confiance des lecteurs. Et depuis 93, ça
s’aggrave. La défiance s’accroît. S’ils ne
nous ont pas vraiment voulus aux États
Généraux, c’est qu’ils ne voulaient pas de
ce débat. Ils auraient dû financer un
sondage sur le sujet. Les lecteurs aussi
ont leur mot à dire…
Aux États Généraux, ils nous ont fait
passer un Quiz : « Citez un pays où le
pluralisme est meilleur qu’en France ». La
question était mal posée… Ils auraient dû
nous demander : « Y a-t-il d’autres pays qui
ressemblent à la France ? » J’aurais
répondu non. En France, la presse est
totalement dépendante du pouvoir.

Et le fait que ce débat soit orchestré
par le gouvernement…

F.M. : Effectivement, c’est la profession
qui aurait dû le faire. Si la profession
n’avait pas été si divisée entre la base et
le sommet, elle l’aurait fait. L’initiative n’est
pas mauvaise en soi, mais elle aurait été
efficace si elle avait mobilisé tous les
acteurs. Sur les cent quarante personnes
conviées, le Forum Permanent des SDJ ne disposait que de
deux strapontins…
En fait, ceux qui organisent les États
Généraux sont les mêmes personnes qui
ont construit ce système. Et ils restent
entre eux. Ils ne proposent aucune
autocritique. Ils vont gratter un peu
d’oxygène et d’argent sur le dos des
journalistes, mais pas pour des
changements de qualité… Néanmoins, je
pense que nous finirons bien par avoir des
échanges constructifs avec les éditeurs…
Je reste optimiste.