Tous concernés : décryptage et réactions

Les « États Généraux de la presse écrite » ont été ouverts lundi 2 octobre par le Président de la République Nicolas Sarkozy, afin de «favoriser l’adaptation de la presse à son nouvel environnement dans un contexte incertain, qui évolue à toute allure, pour que notre presse reste vivante, pluraliste, indépendante».

Cela fait quelques semaines que les quatre commissions se réunissent régulièrement en vue de formuler des réponses à chacune des interrogations suivantes : Quel avenir pour les métiers du journalisme ? Comment régénérer le processus industriel de la presse écrite ? Quels modèles pour la presse écrite après le choc d’Internet ? Comment répondre aux attentes des lecteurs et des citoyens ?
Un site Internet directement rattaché à celui de l’Élysée reflète l’opacité du débat tandis que la presse, pourtant directement concernée, ne lui accorde qu’une très modeste couverture. Résultat : ceux à qui elle se destine, et qui seront donc les premiers touchés par les réformes entreprises, c’est-à-dire les lecteurs, ignorent la tenue de ce « grenelle », ou si par miracle ils en ont vaguement entendu parler, ils n’en connaissent ni les tenants ni les aboutissants.

On observe un manque d’intérêt et de pugnacité d’une profession au sujet de laquelle tout le monde s’accorde pourtant à dire qu’elle est gage de démocratie.
L’enjeu ne serait-il pas si fondamental ?
Il ne faut pas ignorer que les rapports Montaigne et Giazzi, dont s’inspire largement l’Élysée, prônent la mise en place d’un véritable Plan Marshall visant à distiller une aide temporaire massive de l’État dans la presse. Mais à terme, il s’agit de laisser la Presse obéir aux seules lois du Marché. Pour assurer sa survie dans la jungle de la concurrence mondiale, on va donc chercher à créer ou renforcer de grands groupes plurimédias. Et pour faciliter la création ou la restructuration de ces « superstructures », on invoque la nécessité d’abolir la clause de conscience, disposition législative protégeant le journaliste lorsque celui-ci voit son journal racheté par un actionnaire qui voudrait en modifier la ligne éditoriale. Enfin, pour permettre une meilleure circulation de l’information au sein de ces groupes, on envisage d’abolir les droits d’auteur, et de compenser la perte de ce revenu supplémentaire par une augmentation de salaire dans le contrat de travail du journaliste salarié.

Foncièrement, la presse a besoin de fortifier ses fondations. L’incapacité de ses différents acteurs à se réunir pour prendre le problème à bras le corps a conduit le Président de la République à prendre les devants. Ayant vu les répercussions de ses déclarations chocs au sujet de la réforme de l’audiovisuel public, Nicolas Sarkozy a retenu les leçons d’une communication trop franche et directe et préfère œuvrer discrètement pour accroître une influence déjà forte dans le domaine de la presse écrite. Tellement discrètement que personne ne semble s’offusquer que des rapports citant en exemple Berlusconi puissent ouvertement affirmer que «la concentration est un gage de pluralisme». On entend notamment réformer l’ordonnance de 1944 qui instaure un dispositif anti-concentration qui interdit à une même personne, physique ou morale, de détenir plus de deux médias sur trois (presse écrite, TV, radio) à compter d’une certaine audience. Il faut avoir en tête que de nombreux titres de presse en France sont déjà détenus par des grands patrons comme Bernard Arnault ou encore Serge Dassault. Qu’en sera t-il une fois que les dernières barrières législatives seront levées ?

C’est au vu du flou ambiant et de l’absence de communication et d’information sur l’avancée des débats et leurs conséquences futures que l’équipe de Haut Courant s’est lancée dans l’élaboration de ce dossier, sans néanmoins prétendre à une exhaustivité impossible.

Vous y trouverez un éclairage sur différents domaines touchés par les États Généraux de la presse :

Un état des lieux dans la rubrique Décryptage

 Pourquoi est-ce que l’organisation de ces États Généraux peut porter à polémique ?

 Quel est le rôle d’internet dans le paysage audiovisuel actuel ?

 Que se passe-t-il dans la Blogosphère ?

 Quelle est la place du lecteur dans ces États Généraux ?

  Où se situent les éditeurs de presse dans ces discussions ?

Les réponses de différents acteurs dans la rubrique Réactions

 Journalistes comme François Sergent, Claude Droussent ou Claude Soula

 Blogueurs comme Guy Birenbaum

 Universitaires comme Françis Balle ou Jean-Marie Charon

  Journalistes en devenir

 Directeurs des écoles de journalisme comme Christophe Deloire du Centre de Formation des Journalistes de Paris et Daniel Deloit de l’école Supérieur de Journalisme de Lille

  Lecteurs

 Compte-rendu des contre États Généraux organisés par Mediapart et Reporters Sans Frontières, accompagné d’interviews de [ François Bonnet

 >http://www.hautcourant.com/Un-enorme-simulacre-de-l-Elysee,564?var_mode=calcul], directeur éditorial de Mediapart, et de Jean-François Julliard, secrétaire général de RSF.

Mais aussi une analyse de l’état de la presse à l’étranger (en Allemagne, aux États Unis), une analyse de l’état de la presse sportive

Les conclusions des discussions dans le Livre Vert publié le 8 janvier 2009.

Les conclusions de Nicolas Sarkozy, le 23 janvier 2009.

Guy Birenbaum : « Que font les journalistes dans cette galère? »

Le chroniqueur Guy Birenbaum, qui sort actuellement un livre intitulé « Cabinet noir » aux éditions Les Arènes, s’attelle à démonter une à une les illusions qui survivent encore chez deux journalistes de demain. Sans langue de bois, il critique la pertinence des États Généraux autant que celle des contre-États Généraux de la presse. Il va jusqu’à remettre en cause la légitimité même du journaliste.

Les États généraux de la presse, « une mascarade »

Quelle est votre position par rapport à l’organisation des Etats généraux de la presse par le pouvoir exécutif ?

Je suis totalement contre. C’est une mascarade. Le problème, c’est de savoir pourquoi les journaux ne marchent pas. Mon sentiment, c’est qu’il y a une forme de connivence. Ce n’est pas sous les lambris et sous les ordres de l’Élysée qu’on doit régler les problèmes d’une corporation, dont l’un des fondamentaux est l’indépendance par rapport au pouvoir. Ceux qui vont chercher de l’argent pour ne pas sombrer parce qu’ils n’ont plus de lecteurs, qu’ils ne se demandent pas pourquoi ils sont muselés.
Je pense qu’ils sont tellement habitués à un système subventionné qui leur a permis de survivre jusque-là qu’ils ne voient même pas le problème. Qu’ils se demandent pourquoi leurs journaux ne marchent pas ! Selon moi, un des éléments de réponse, c’est le sentiment général, vrai ou faux, partagé par les jeunes générations et les gens qu’on voit sur Internet, qu’il y a une forme de connivence. Et comment mieux incarner cette connivence qu’en se mettant dans la main du président ?

On voit que l’État envisage un véritable Plan Marshall de la presse dans les prochains mois, mais on peut observer que les rapports dont s’inspire l’Élysée préconisent ensuite un effacement de l’État dans ce domaine par une suppression des aides directes accordées à la presse…

Oui, donc tout ça est paradoxal et assez peu compréhensible. Je ne comprends pas ce que des gens très intelligents comme Bruno Patino, pour qui j’ai beaucoup de respect, font dans cette galère. Et entre parenthèses, mes amis d’Internet ont aussi claqué la porte quand ils ont compris qu’ils n’avaient pas accès au pognon. Sans vouloir faire de procès d’intention, la vraie raison c’est ça : si on leur avait dit « On va budgéter quelque chose pour les sites Internet indépendants », ils seraient restés.
On est un peu suspicieux quand on connaît les rapports entre le président de la République et les patrons de presse. Je ne les ai pas inventés. La particularité française est là : combien y a-t-il de groupes indépendants en France ? Il y a Alain Weil, qui a fait RMC Info, BFM TV, La Tribune et puis sinon il y a Bertelsmann et Prisma, groupe étranger qui ne fait que de la presse. Les autres font du BTP, des avions, des armes, et je travaille parfois sur une antenne, Europe 1, dont le patron vend des armes. Donc si vous voulez, cette proximité est problématique, c’est l’exception française, un peu comme en Italie, alors qu’autour de nous, en Allemagne, en Angleterre, il y a des grands groupes plurimédias indépendants. Mais le Président de la République a raison de dire que les seuls qui sont prêts à financer en France, c’est Pinault, Lagardère ou Bouygues.

Il n’y aurait pas de « Murdoch » à la française ?

Si, il y a Alain Weil, mais c’est de l’« info low cost ». Regardez comment ça se passe : ils viennent de lancer un journal de sport, qui concurrence ce qui peut, c’est de la précarité, des petits contrats pour les journalistes, du copier/coller sur Internet. Ce n’est pas terrible. Puis se rajoutent à tout ça les gratuits qui ont amené des gens qui ne lisaient pas. Mais est ce que ça leur a fait acheter des journaux ? Vu les résultats de Métro et de 20 minutes qui sont déficitaires. Attention, je ne suis pas un ayatollah comme tous nos amis de la presse écrite qui ont hurlé en disant que ça leur volait des lecteurs, alors que la concurrence, même avec un gratuit, ça doit justement en amener. Il y a une émulation, c’est concurrentiel. Mais si les autres voulaient que leurs journaux soient achetés, ils devraient les faire moins chers et meilleurs. Parce que de ce point de vue-là, moi je n’achète plus les journaux depuis cet été. Je suis « addict » de l’info, mais pourquoi m’embarrasser avec ces papelards ? Le Parisien, qui n’est pas un mauvais journal, il faut 5 minutes pour le lire, Libération, 10 minutes…Le Monde, Le Figaro, on peut lire le contenu en ligne. Pourquoi avoir un budget presse absolument délirant ?

Oui, mais ce sont les gens qui achètent le papier qui financent les sites internet des grands journaux…

Je suis d’accord, mais les journalistes ont un problème car ils considèrent qu’ils doivent être payés une deuxième fois quand ils sont publiés sur le net. Moi je suis désolé, je travaille pour un patron, je ne veux pas être payé en plus si je suis publié sur Internet. Il faut arrêter les conneries. Ils vont le chercher où l’argent ? Ils n’ont pas fait la preuve de leur capacité à le ramener. Donc je comprends pourquoi ils ont besoin de subventions, mais qu’ils se demandent d’abord pourquoi les gens ne lisent pas leurs journaux et pourquoi ils sont mauvais. Parce qu’ils sont mauvais !

Le rapport Montaigne, que l’on peut consulter sur le site des États généraux, n’hésite pas à citer ouvertement la concentration, par le biais des grands groupes plurimédias comme celui de Silvio Berlusconi, comme gage de pluralisme…

La caractéristique du sarkozysme, c’est la décomplexion. Je vous rappelle quand même qu’en France, l’arrivée d’un système dans le « style » Berlusconi, c’est Mitterrand. N’oubliez jamais que la Cinq, c’est Mitterrand. Sur la publicité, qui voulait sa suppression ? C’était une proposition de la gauche dans les années 80. De toute façon, l’argent débloqué ne suffira pas. Il suffit de connaître un peu des producteurs d’information pour savoir que depuis des mois et des mois, depuis janvier en vérité et cette annonce un peu délirante de Nicolas Sarkozy qui a surpris tout le monde, il ne se passe plus rien. Ça n’a pas été préparé et du coup, les productions à la tv ont été gelées dans plein d’endroits. Il n’y a plus de décision à France Télévision depuis 6 mois. Ça, c’est un vrai problème. Donc mon sentiment, c’est qu’il ne faut pas hurler car la suppression de la pub à la télé est une proposition historique de la gauche, mais telle qu’elle est faite de la manière actuelle, c’est insuffisant. Surtout qu’ils ne veulent pas entendre parler d’augmentation de la redevance, alors qu’il faudrait le faire en vérité. Déshabiller Paul sans le rhabiller, il va être à poil. Ils ont de la choucroute dans le cerveau nos amis journalistes. Le rapport avec Internet, ils ne comprennent rien.

Les contre États
généraux de la presse, « bullshit »

Que pensez-vous d’initiatives comme les contre États Généraux organisés par Mediapart et RSF ?

« Bullshit », comme les États Généraux. Je vais vous dire la vérité, ces gens ne m’intéressent pas tellement. Je pense qu’ils n’ont pas compris le monde qui passe sous leurs yeux. Que faire avec des gens qui ne comprennent pas ? C’est un monde de collectionneurs de papillons, où chacun est punaisé. Toi tu es journaliste, toi tu es blogueur, etc. Qu’ils aillent voir des sites américains, le Huffington Post, Slate. Des sites qui font cent fois leur trafic au quotidien.
Ces gens n’ont pas compris le monde qui passe sous leurs yeux. Les contre États Généraux, je n’y crois pas du tout. C’est encore une fois une réflexion qui n’est basée sur rien qui ait un rapport avec la réalité, ni économiquement, ni sociologiquement, ni politiquement. La réalité, c’est Le Post, Facebook, Netvibes, c’est pas : « Je vais vous faire un journal tellement chiant que vous allez même pas le regarder sur Internet ». Mediapart, ça tombe des mains. Des papiers de douze kilomètres, c’est la négation du net ! C’est le Monde diplomatique, pour se faire mal aux yeux. C’est une utopie sympathique, mais ils sont dans l’idéal de la presse. La réalité du net n’est pas celle qu’ils voudraient.

François Bonnet de Mediapart explique qu’en claquant la porte, il voulait faire réagir les personnes de la commission pour que les États Généraux soient placés sous l’égide du Parlement.

Oui mais on nous parle de concurrence déloyale, parce qu’il y aurait de l’argent pour les sites adossés à des médias, comme le Monde ou le Nouvel Obs, et pas pour les sites indépendants, mais l’indépendance, ça a ce prix-là justement. Je suis contre ce système. Je ne pense pas que l’argent public puisse subventionner des médias censés être indépendants. Ça pose toujours un problème. Car le problème de Mediapart est simple : Il n’y a pas de modèle économique. Ils doivent monter à un certain nombre d’abonnés, et ils ne le sont pas, donc l’histoire est réglée. C’est une hérésie intellectuelle : Internet, c’est la liberté, la gratuité. Tous les plus grands sites américains sont ouverts. On ne peut pas, sur la culture du scoop, faire marcher un site. Il y a peut-être quelques milliers de personnes, pas plus, pour qui avoir l’information cinq minutes avant tout le monde est important. Cinq minutes après, l’information est partout. Ils n’ont rien compris : c’est la galaxie Gutenberg qui fait semblant d’avoir compris l’arobase. Cela ne me fait pas plaisir de dire ça, mais Internet, c’est gratuit. Le seul qui s’en sort avec ce modèle-là, c’est Daniel Schneidermann. Il s’est fait viré de son émission, donc sur l’émotion il a lancé une pétition, puis un site. On espère qu’en année deux il va retrouver tous ses habitués. Le problème, c’est qu’il ne veut pas de publicité et à mon sens il a tort : il faut arrêter de penser qu’on est dans la main des annonceurs, parce qu’à ce moment là tous les journaux sont dans les mains du pouvoir et c’est le serpent qui se mord la queue.

Ce qui est étonnant, c’est qu’il n’y ait pas de vue commune, de réaction de solidarité de la profession face à l’annonce de toutes ces réformes…

Ils se détestent. Ils vont continuer à se tirer dans les pattes, n’ayez aucune illusion. C’est une guerre entre des individus, il n’y aura jamais la moindre solidarité. On dit qu’ils sont corporatistes, mais ce n’est pas vrai, ils sont corporatifs pour leur titre. Ils n’arrivent pas à se fédérer pour des choses comme la clause de conscience, mais en revanche, parlez leur du secret des sources, et tout le monde est debout. Je ne regrette pas de ne pas avoir la carte de presse. Quand quelqu’un me dit que ce que je fais n’est pas du journalisme, je réponds merci.

Internet et journalisme, incompatibilité ?

La solution à tous ces maux se trouverait-elle sur Internet ?

Mais c’est qui Internet ? Ce sont les internautes. Il n’y a pas de deus ex machina super intello au-dessus. Chacun écrit ce qu’il a envie de lire, Plenel a fait ce qu’il avait envie de lire, sauf que son problème, c’est qu’il a fait Le Monde… De 1963 ! Je pense que, dans pas mal de domaines, l’expression « c’était mieux avant » n’est pas fausse, mais avec Internet ce n’est pas possible. Grâce aux nouveaux moyens c’est terminé : avec un petit appareil photo, je peux faire un reportage tout seul, et je peux le mettre en ligne en dix minutes. Ce qu’il faut que ces gens comprennent, c’est qu’ils ne sont pas adaptés à la planète telle qu’elle est.

A votre avis, peut-on abandonner le journal papier pour les sites Internet ?

Je ne sais pas. Semble t-il qu’un jour oui. Autant je ne crois pas du tout que les livres disparaîtront, autant les journaux, tels qu’ils sont là, ils seront morts. Parce qu’en France, il y a cette particularité qui fait qu’on ne pourra jamais s’en sortir, sauf avec la pompe à finance ou des mécènes… Bernard Arnault, François Pinault, Alain Weil… Mais ce n’est pas viable, ni louable. Et le jour où Lagardère en aura marre de paumer du pognon avec ses journaux… Alors évidemment, il a besoin d’Europe 1, du JDD, donc on peut toujours espérer. Mais on en vient à espérer qu’il ait besoin, pour son influence, de garder du papelard, pour que la presse survive ! S’il y a bien un truc dont je suis sûr, c’est que le journaliste n’a pas son destin entre ses mains.

Cependant, il y a une tendance actuelle qui veut que les annonceurs préfèrent se tourner vers les sites de service comme Google ou Yahoo plutôt que vers les sites d’information…

Le Post fait 30 000 € de recettes publicitaires mensuelles. Donc c’est à perte (ndlr : c’est I-Régie.com, filiale du Monde Publicité et du Monde Interactif, qui commercialise l’offre Internet du Post). Ça parie sur un développement qui permettra à échéance de devenir rentable, mais ce sont des investissements lourds de 3 ou 4 ans, que ne peuvent pas faire les indépendants. Ou alors ils se regroupent, ils se fédèrent, ils acceptent la publicité comme Bakchich, mais ils n’ont pas une thune. Pourquoi moi je suis sur le Post et pas sur les autres ?

Donc pour vous, le système des blogs est plus viable que celui d’Internet ?

Les sites adossés à des grands médias sont des sites plus viables que les indépendants. Comme dans l’édition, etc. C’est logique. Sachant qu’on aborde une crise terrible, je préfère être là où je suis que petit blogueur sur un site qui fait 10 ou 100 fois moins de trafic.

Et quel est le trafic sur le Post ?

Ma page perso fait tous les mois entre 350 000 et 400 000 visiteurs uniques, et un peu plus de 500 000 pages vues, donc le Post commence à être très costaud, mais ce n’est pas encore rentable.

Qu’est ce qui vous a poussé à vous lancer dans un blog ?

François Filloux, patron de 20 minutes, m’a dit que j’avais tout pour faire un blog : mon style d’écriture, mon côté en dedans/en dehors. Du coup je l’ai fait et ça a explosé. Puis le Post m’a proposé une rétribution.

Vous nous disiez tout à l’heure ce que vous pensiez de Mediapart, que pensez-vous des sites gratuits comme Rue89 ?

C’est la même chose. Ce n’est pas parce que c’est gratuit qu’ils n’ont pas la même chose dans la tête. J’aurais pu travailler avec eux, mais ils ne savent pas quoi faire de moi. Moi j’ai l’esprit du net. Donc, je n’entre pas dans leur case. Je suis trop déconneur pour eux, ils ne sauraient pas quand est ce que ce que j’écris est sérieux ou pas. Mais je fais confiance à l’intelligence du lecteur. Et ceux qui ne comprennent pas ça je les emmerde. Vous savez quoi, je m’en fous. Et eux, ils ont une espèce de charte de déontologie de mes deux qui leur pend au nez.

Alors selon vous, journalisme et Internet ne sont pas compatibles…

Si, c’est tout à fait compatible. Mais je me demande avec quoi journalisme est encore compatible. Moi c’est ça ma question : c’est quoi le journalisme ? C’est un mec qui enquête, qui vérifie, etc. Le problème c’est qu’il y a plein de gens qui en sont capables et qui n’ont pas leur carte de presse. De toute façon le métier de journalisme, c’est formidable : qu’est ce qu’il faut faire pour avoir sa carte de presse ? Le seul critère : 50% des revenus. C’est bizarre non ? Vous connaissez beaucoup de professions définies par la fiscalité ? Et bah voilà, rien qu’au départ ça ne veut rien dire. Donc moi je ne fais aucune opposition à la con entre blogueurs et journalistes. Qu’est ce qu’on en a à foutre ? Si vous avez du talent, écrivez, vous serez lu. Du talent, de la chance et du savoir faire. Les étiquettes, ça suffit. Les gens qui brandissent leur carte de presse, c’est ridicule. Et puis il faut être curieux. La curiosité des journalistes s’arrête de l’autre côté du boulevard Saint Germain. Quant à franchir le périphérique, n’en parlons pas.

Jean-François Julliard : RSF indésirable

A l’occasion de l’organisation coordonnée du Off des États Généraux de la presse par Médiapart et Reporters sans Frontières, nous avons rencontré Jean-François Julliard le jeudi 27 novembre 2008. Le jeune secrétaire général de RSF a pris la suite de Robert Ménard il y a deux mois, après avoir œuvré à ses côtés pendant dix ans.
Dans une interview accordée à Haut Courant, il nous livre son sentiment sur les États Généraux de la presse après s’en être vu refusé l’accès, son regard sur la situation de la presse écrite en France. Une position engagée, mais néanmoins tempérée et optimiste.

Il nous explique en quoi RSF s’est trouvé indésirable au sein des États Généraux organisés par le gouvernement :

La soirée du 24 novembre au Théâtre de la Colline, ou « Off des États Généraux de la presse » donnera lieu à un texte commun engageant à la défense de la liberté de la presse, nommé « Appel de la Colline » :

RSF nuance cependant la position alarmiste de Mediapart quant au phénomène de concentration des médias en France :

Le principal danger est représenté par la suppression de la clause de conscience qui faciliterait le renforcement de ces grands groupes plurimédias dont il ne nie pourtant pas la nécessité :

Grâce à son regard éloigné, il considère que la presse française est forte de son indépendance. La crise qu’elle subit ne serait en aucun cas une crise de l’offre, comme l’affirment une bonne partie de la profession ( …..) ainsi que les rapports dont s’inspirent les commissions mandatées par l’Élysée :

Pour Jean-François Julliard, la crise est avant tout économique, la presse subissant de plein fouet la révolution Internet : une fuite des lecteurs qui s’explique d’abord par une crise de confiance née au lendemain du 11 septembre :

A l’heure où « une information dissimulée par un titre de presse serait immédiatement dénoncée et diffusée sur Internet », l’organisation représentée par Jean-François Julliard, particulièrement engagée dans le domaine de la liberté de la presse, se veut malgré tout « confiante dans l’avenir de la presse française ».

Mediapart et RSF font de la Colline « l’antichambre de l’espérance »

Lundi 24 novembre 2008 à 20h30, Médiapart et Reporters sans Frontières présentaient au Théâtre de la Colline, à Paris, le « Off des États Généraux de la Presse ». Tout au long de la soirée, sociologues et journalistes ayant répondu à l’appel ont unanimement condamné l’ingérence du Président de la République dans une néanmoins nécessaire réforme de la profession.

L’invitation aura été lancée par communiqué de presse à l’ensemble de la profession tandis que le lectorat était prévenu par une vidéo diffusée sur les sites Internet des deux organisateurs, relayée au sein de la communauté Facebook. Arrivé aux portes du théâtre, 500 personnes de tous âges sont accueillies par une poignée de militants d’Acrimed et du futur Nouveau Parti Anticapitaliste leur annonçant, déjà, une autre manifestation le 27 novembre au Musée Social à 18h.

A l’intérieur, on s’installe dans les fauteuils du bar en attendant que la salle ouvre ses portes. On aperçoit déjà l’équipe de Médiapart et Jean-François Julliard, secrétaire général de RSF, recevant Emilien Jubineau, Alain Genestar et Jacques Bouveresse. Quelques étudiants du CFJ (Centre de Formation des Journalistes, à Paris) sont présents : «On vient par curiosité, pour avoir un autre point de vue sur les États Généraux de la Presse».
Tandis que la salle se remplit, un court documentaire intitulé Presse et Pouvoir est projeté en écran géant. Il revient sur la relation des journalistes avec le Président de la République, d’Albert Lebrun à Nicolas Sarkozy. La projection se termine sur l’actuel chef de l’État interpellant le directeur de publication de Libération : «Vous parlez de pouvoir personnel, Monsieur Joffrin, mais dites-moi combien de unes Libération m’a consacré ?»

Lever de rideau

La salle est désormais quasi-comble, le lecteur est entouré en majorité de professionnels, observateurs ou participants. Les absents « sont en train de passer à côté de l’essentiel. Dans quelques mois, ils se réveilleront avec la gueule de bois, mais il sera trop tard… » prophétise Philippe Schröder, président du Club de la presse section Nord-Pas de Calais. L’occasion de mettre en avant l’originalité de la position de Médiapart dans le paysage de la presse française. Invité à participer à la commission « Presse et numérique » par Bruno Patino, le journal en ligne aura été le seul média à se retirer après 17 minutes seulement de discussion. Reporters sans Frontières s’associera à l’initiative après s’être vu refuser l’accès aux Etats généraux.

«La réalité n’a aucune importance, seule la perception compte» : la phrase dénoncée par Edwy Plenel, co-fondateur de Médiapart, est de Laurent Solly, alors directeur adjoint de la campagne présidentielle du candidat UMP. La formule choque, l’auditoire est capté. Il s’agit ce soir de clamer haut et fort l’impérieuse nécessité d’assurer l’indépendance du journaliste. Plus que jamais, c’est l’activisme de l’Élysée qui est mis en cause : «Sarkozy qui crée des États Généraux de la Presse, c’est comme créer un ministère de la laïcité et le confier à Benoît XVI» (Caroline Fourest de Charlie Hebdo).

Premier acte – Témoignages

Il y aura deux parties dans cette soirée. Dans un premier temps, des journalistes viendront témoigner des pressions qu’ils subissent dans l’exercice de leurs fonctions. Le second temps sera consacré à la discussion avec des membres d’associations, des sociologues, des intellectuels.

Sur grand écran ou sur scène, les journalistes atteints dans leur indépendance défilent à un rythme effréné. Alain Genestar rappelle les pressions politiques qui ont conduit à son éviction de la direction de la rédaction de Paris Match. «Il existe deux phénomènes dans la presse française aujourd’hui : la fascination qu’exerce Sarkozy sur les directeurs des journaux, et la peur des journalistes de perdre leur travail». Puis interpelle la salle : «Peut-on admettre en France que le Président exerce une telle pression qu’on en arrive à virer un journaliste ?» Laurent Mauduit témoigne quant à lui de la difficulté d’être journaliste économique par les temps qui courent : censuré au Monde pour une enquête sur les Caisses d’Épargne, il est une fois de plus mis en accusation pour l’avoir poursuivi pour Médiapart. «Comment être journaliste aux Échos, maintenant propriété de Bernard Arnault ?». L’une d’entre eux, Leïla de Cormorand, prend la parole et confirme les «conflits d’intérêt potentiels», d’autant que le fils du propriétaire de LVMH est membre du Comité d’indépendance éditoriale du quotidien…
Parmi les nombreux intervenants, on retiendra Emilien Jubineau et Joseph Tual, victimes du zèle de la justice, qui évoqueront les multiples gardes à vue qu’ils ont vécu, et vivent encore, dans l’exercice de leur profession. En apparition vidéo, on notera la contribution d’Audrey Pulvar, rappelant que la pression exercée sur le journaliste peut aussi se faire par le manque de moyens matériels qu’on lui accorde. La salle applaudit après chaque intervention, rit parfois, s’offusque, souvent.

Vient alors pour l’assemblée le moment de l’entracte. Les comédiens Anouk Grinberg et François Marthouret entrent en scène, pour lire d’une voix solennelle des textes de Marc Bloch, Albert Londres, Hannah Arendt ou encore Albert Camus : «Un pays vaut souvent ce que vaut sa presse» (extrait de l’Éditorial de Combat, en 1954).

Deuxième acte – Pistes de réflexion

Les intervenants de la deuxième partie lanceront ensuite des pistes de réflexion devant un auditoire plus clairsemé mais toujours aussi attentif : comment, en pleine crise de la presse, retrouver la confiance du lectorat et la pérennité financière ? L’intervention pleine d’humour et de piquant de l’illustre blogueur Philippe Bilger, avocat général près la Cour d’Appel de Paris, détend l’atmosphère. Il affirme : « Les blogs ne vont pas contre les médias. Au contraire ! C’est un moyen de leur donner une importance et une visibilité dans l’espace public ».
C’est au tour de Bernard Stiegler, sociologue et philosophe, de prendre la parole : « la presse française est fondamentalement menacée de disparition ». Il explique qu’elle est une composante essentielle du système démocratique mais qu’elle est actuellement absorbée par le secteur des industries culturelles qui visent avant tout à produire du contrôle gouvernemental : c’est la notion de « psycho-pouvoir » (ou « société du contrôle » chez Gilles Deleuze). Il préconise donc la « reconstitution d’une intelligence collective pour reconstruire un espace public ravagé ».
Pour Cyril Lemieux, sociologue des médias et auteur de Mauvaise Presse (2000), « l’important, c’est de convertir l’indignation morale en action politique ». Malgré la pauvreté de la réflexion des politiques sur la presse, à gauche comme à droite, il incite à la défense ardue du statut de 1947.
Le dernier mot reviendra à Jacques Bouveresse, Professeur au Collège de France : citant Karl Kraus, il condamnera le « pouvoir de l’argent » et confiera son « rêve d’une presse qui cesserait de transmettre le message du pouvoir ». A ce sujet, il cite l’exemple de l’arrestation des saboteurs présumés des caténaires de la SNCF, « terroristes se réclamant de l’ultra- gauche » : un sujet dans lequel se sera engouffrée la presse, « s’excitant au lieu de comprendre ».

Dernières tirades- L’appel de la Colline

Entre conscience profonde de la crise actuelle et espoir de meilleurs lendemains, la réunion illustre finalement la maxime d’Edwy Plenel : « L’inquiétude est l’antichambre de l’espérance ». Tandis que le collectif RAJ (Réunion des Associations de Journalistes) déplore la « perte du sens même du métier », François Malye, président du Forum des sociétés de journalistes, encourage les journalistes et leurs lecteurs si rarement réunis à profiter de l’occasion pour se fédérer dans la défense d’un bien commun : « Vive la crise ! ».
La soirée se terminera tard dans la nuit, sous les applaudissements d’un public qui regrettera seulement de n’avoir pas pu interpeller directement les acteurs du débat, comme il était prévu à l’origine : « C’est dommage, ça m’a beaucoup intéressé, mais j’aurais aimé réagir… » (Catherine, 55 ans, conteuse et abonnée du Théâtre de la Colline). Et jusque dans les couloirs du métro Gambetta, on entend: « C’était vraiment bien : on en ressort tout secoué ! Il y a de quoi se poser de sérieuses questions… Maintenant, le tout, c’est d’agir ! ».