Les mormons sont-ils une secte?

Mouvement né aux États-Unis, le mormonisme est encore bien mal connu en France. Le prosélytisme actif de ses membres et certains aspects de cette religion renforcent les soupçons à son encontre. Qu’en est-il réellement?

Secte ou pas secte? Peu connus, souvent confondus avec les témoins de Jéhovah, une brume de mystère enveloppe les mormons. Leur mouvement fut fondé par Joseph Smith, charismatique illuminé. Leurs missionnaires quadrillent le monde à la recherche de nouveaux adeptes. Leur capitale de Salt Lake City renferme des secrets seulement accessibles aux âmes les plus dévouées de leur Eglise…

Une secte se définit par sa faculté à tirer profit de l’individu et à le couper du reste du monde. Pour la MIVILUDES (Mission Interministérielle de Vigilance et de Lutte contre les Dérives Sectaires), l’Eglise de Jésus-Christ des saints des derniers jours ne représente pas un danger de cette sorte pour ses membres. Le nom officiel des mormons n’apparait pas dans la liste des groupes et mouvements dressé par le Parlement en 1995. Pour l’UNADFI en revanche, la religion présente des risques de dérives sectaires. L’Union Nationale des Associations de Défense des Familles et de l’Individu, basée sur l’expérience de terrain des ADFI départementales, a pu recueillir des témoignages d’anciens mormons. Ils y décrivent l’embrigadement d’individus en désarroi, la différence de traitement entre les membres, la dureté de la vie d’adepte …

Un dogme rigide et une société hiérarchique

Le dogme des mormons est accompagné d’une hygiène de vie très stricte. La pratique intensive de la prière est sans cesse répétée à la messe et durant les soirées familiales. Elle est constamment conseillée aux non-membres par les missionnaires sur le terrain. Les substances excitantes sont proscrites, jusqu’au tabac et au café. Etre marié avant tout concubinage ou rapport sexuel est la règle. Plus prude encore, un missionnaire n’a pas le droit de se trouver dans une pièce seul avec une personne de l’autre sexe, sauf situation involontaire.

La façon dont est structurée la société mormone induit aussi un certain formatage moral des adeptes. Le clergé et sa hiérarchie, très respectés, jouissent d’un important prestige. Si missionnaires et paroissiens répètent qu’ils sont «tous égaux», la réalité est moins utopique. La place des femmes est au foyer, sauf pour partir en mission. Elles ne sont pas autorisées à devenir prêtre (un garçon peut l’être dès 16 ans). Système patriarcal ultime, la polygamie est toutefois interdite chez les mormons (voire encadré). En outre, l’accès au meilleur des paradis* nécessite un certain nombre de conditions: payer la dîme, être baptisé, appliquer le dogme à la lettre. Non seulement cela créé une pression sur tout mormon ne s’y tenant pas, mais en plus cela favorise la division entre «vrais» adeptes et fidèles de seconde classe. Dans les faits donc, le mormon «homme, prêtre et bon dévot» décide, prend la parole, gère les affaires du foyer et de la paroisse et profite de sa situation.

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«Les mormons ressemblent à certains protestants»

Si ces faits démontrent le caractère conservateur du mouvement, ils ne constituent pas pour autant des signes de sectarisme. Pour Hervé Flachaire, de l’ADFI héraultaise, il est difficile de voir s’il existe une emprise de l’Eglise sur ses membres. «Dans leur fonctionnement et dans leur manière de vivre leur foi, je les assimilerais à certains protestants. Je ne crois pas que les mormons coupent leurs adhérents du reste du monde. En tous cas, dans la région, ils n’ont jamais fait parler d’eux».

Qu’en est-il alors de la dîme? Forme d’impôt équivalent à 10% des revenus du mormon, la dîme doit être obligatoirement versée si le membre veut avoir accès aux temples (lieux les plus sacrés, dans lesquels sont célébrés les sacrements) et aux institutions de Salt Lake City. Là encore, M. Flachaire explique:«La dîme ressemble au denier du culte que l’on retrouve au sein de nombreux courants chrétiens. Pour que la contribution financière d’un adepte à un mouvement soit suspecte, il faut que ce dernier tire réellement profit de l’individu, le mène à la ruine. Il faut aussi regarder à quoi sert cet argent. Est-ce pour enrichir une personne particulière, type gourou? Ou bien est-ce pour financer les frais de fonctionnement de l’Eglise?» Dans le cas des saints des derniers jours, l’argent recueilli est centralisé dans l’Utah puis réparti dans les paroisses du monde entier selon leurs besoins. Les missions des jeunes n’ayant pas les moyens de payer leurs années à l’étranger sont par exemple prises en charge grâce à cette manne.

«Nous sommes des gens normaux»

Quand on leur fait remarquer que certains aspects de leur culte peuvent paraitre sectaires, les missionnaires sourient. Elder Hastings et Elder Taylor répliquent: «C’est une religion, tout le monde est invité, même ceux qui pensent que c’est une secte». Leur meilleur avocat, c’est ce qu’enseigne la
Bible: Le libre arbitre est un plan de Dieu, donc chacun décide ce en quoi il croit et comment.
Ils admettent que certains missionnaires peuvent réagir agressivement face aux critiques à l’encontre du mormonisme. «C’est parce que la religion leur tient à cœur. Mais nous sommes des gens normaux. Notre but, c’est d’aider les gens à avoir de la joie».

Il n’empêche, force est de constater que par leur attitude dévote irréprochable, les missionnaires constituent des exemples à suivre pour tous les autres membres. Connaitre les livres sacrés sur le bout des doigts, agir selon le dogme en toute situation, être impliqué dans la plupart des activités paroissiales: qu’ils en soient conscient ou non, ils encadrent les fidèles et leur indiquent la «bonne» voie à suivre. Le libre arbitre certes, mais à quel point?

*: Lire «Jeudi» dans Une semaine avec les missionnaires mormons

Prosélytisme: la méthode infaillible des missionnaires mormons

Toujours sur leur 31, allant de paire, les missionnaires de l’Eglise des saints des derniers jours écument les villes afin d’engager la discussion avec des inconnus, dans la rue ou les transports en commun. Ces jeunes mormons, pour la plupart venus des Etats-Unis, passent deux ans à l’étranger afin de « parler de Jésus »: promouvoir leur foi et tenter de rallier de nouveaux adeptes. Comment s’y prennent-ils?

Le premier contact est primordial. D’apparence impeccable (jupe pour les femmes, costume pour les hommes, tenue de soi stricte), le missionnaire est poli et avenant. La façon la plus classique d’aborder un interlocuteur potentiel est de lui adresser un «bonjour» massif et de lui demander de ses nouvelles. L’inconnu ainsi interpellé sera alors saisi par la confiance en soi du missionnaire et la décontraction qu’il dégage au-delà de son uniforme de prêcheur.
Nombreux sont les individus dérangés par une approche qui manque de spontanéité. Le prosélyte est vite reconnu malgré le contact amical. A un arrêt de bus, une femme méfiante leur envoie: «Vous êtes comme les témoins de Jehova, c’est pas bien de faire ça, de parler à tout le monde». Une autre les chambre: «Vous faites les sorties d’écoles aussi?» Mais, tenaces, les mormons tiennent à se présenter et expliquent leur démarche afin d’effacer soupçons et stéréotypes.

L’objectif: mettre l’interlocuteur face à ses questionnements spirituels

Si cette phase d’approche est couronnée de succès (l’interlocuteur émet une forme de curiosité pour eux), les missionnaires entament la conversation. Si le discours de présentation de leur mission et de leur culte est rodé, voire récité par cœur, l’objectif de l’échange n’est pas de déclamer un sermon mais bien de faire réfléchir l’individu sur son rapport à la foi.la_methode_guides.jpg
Les missionnaires posent donc beaucoup de question: «Que connaissez-vous des mormons?», «Vous croyez en Dieu?», «Que pensez-vous de Jésus Christ?». De même, leur première réaction aux interrogations qui leur sont posées est de demander à l’individu de se poser la question à soi même. Cela a pour but de souligner les failles de l’interlocuteur en lui faisant prendre conscience de ses propres questionnements. Les mormons, très attentifs, écoutent. Les yeux grands ouverts, presque hypnotiques, buvant presque les paroles de l’individu. Ils acquiescent, ne le contredisent jamais, l’encouragent et le félicitent même.
Les zélateurs sont ainsi en mesure de s’adapter à la personne en rebondissant sur ses lacunes et en lui proposant des solutions. A une dame qui avoue «Je crois en quelque chose, qu’il y a une force, mais je ne vais pas à l’église…» Ils répondent «Oui c’est déjà très bien! Essayez de prier, de lire un peu la Bible, vous verrez ça vous fera du bien!»

Lecture du livre de Mormon et prière : fondement de la foi mormone

La force d’attrait de la méthode mormone est de donner des conseils et non des directives.la_methode_livre.jpg
L’interlocuteur en tirera un profit personnel, en témoigne l’épanouissement qui rayonne du missionnaire! Les conseils sont simples: essayer de prier «avec un cœur sincère» et lire la Bible et le livre de Mormon, un peu tous les jours si possible. Les missionnaires ont toujours un livre de leur culte à la main. Ils le donnent bien volontiers.

La conclusion de ces entretiens impromptus est l’occasion d’inviter les âmes égarées à la chapelle locale des mormons. L’individu qui accepterait telle proposition serait alors pris en charge de fait par les missionnaires. De fréquents appels téléphoniques inciteraient l’adepte potentiel à lire et prier. Il se verrait proposer des rendez-vous en privé, participer à des soirées dites «familiales» ou venir visualiser des documentaires sur le prophète Joseph Smith. Toujours encadré par les missionnaires… Consciencieux et appliqués.

Une semaine avec les missionnaires mormons

Haut Courant a suivi un duo de missionnaire mormon à Montpellier. Plongée dans le quotidien de ces jeunes dévots qui passent deux ans de leur vie à l’étranger, loin de leur Idaho ou de leur Californie natale, pour se consacrer à l’exercice de leur culte.

En 1830, Joseph Smith eut une vision de Dieu et de Jésus. Ainsi fut révélée la religion mormone. Les deux êtres divins lui indiquèrent l’emplacement de tablettes ancestrales qui retranscrivaient la parole directe du Christ. Traduites par Smith, les reliques lui servirent de base pour fonder l’Eglise des saints des derniers jours, plus communément appelés mormons. Culte récent, donc limité en nombre de membres (ils sont 36 000 en France et 14 millions dans le monde), il cultive depuis ses origines la prospection d’adeptes, partout dans le monde. C’est aux jeunes (entre 18 et 25 ans pour les garçons, 20 et 25 ans pour les filles) que revient cette mission. Les missionnaires, aussi appelés Elders, ne s’arrêtent jamais: 6 jours sur 7 ils ratissent les villes pour promouvoir leurs croyances et leurs soirées et temps libres sont consacrés à la vie paroissiale.
Voici un aperçu d’une semaine type pour Elder Peels et Elder Hastings.

Lundi

Les deux missionnaires accueillent un non-membre ce soir, à leur Chapelle rue Daunou. Ils l’ont rencontré dans la rue et l’ont invité pour leur parler de leur religion et «de la vie de Jésus Christ». Le natif de Bethléem serait venu aux Amériques juste après sa résurrection, où il aurait prêché à un peuple ancien, les Lamanites, sorte d’ancêtres des Aztèques. Cette parole serait parvenue jusqu’à Joseph Smith par les fameuses tablettes d’or (depuis disparues), rédigées par un Lamanite du nom de Mormon. Smith serait le 12ème vrai prophète à propager les idées originelles du Christ, ayant été en possession de la parole directe de Jésus, contrairement aux religions chrétiennes.
Tout comme elle a débuté, cette rencontre en privé se termine par une prière que les missionnaires exécutent genoux à terre, tête baissée. Les Elders rappelleront l’individu plus tard dans la semaine et les semaines suivantes encore.

Mardi

Ce soir, c’est «soirée familiale»! Thème du jour: la prière. A peine 10 personnes sont réunies dans une salle du bâtiment accolée à la chapelle, dont la moitié sont missionnaires. L’animateur du jour est prêtre. Tout homme mormon, baptisé et de plus de 16 ans peut devenir prêtre, qui n’est qu’un grade parmi d’autres dans le premier degré de la hiérarchie laïque et bénévole des mormons. L’animateur est donc plus un professeur, qui s’appuie sur l’expérience des Elders pour expliquer la meilleure façon de s’adresser au «Père Céleste». «Si vous voulez une Ferrari, il ne faut pas dire « Père Céleste envoie moi une Ferrari », vous allez recevoir un skate!» L’assistance, ébahie et enthousiaste, éclate de rire. «Si vous savez vous y prendre, les cadeaux tomberont du ciel. Mais il faut être humble dans ses demandes».
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Le mormonisme est né aux Etats-Unis et sa pratique s’en ressent. Dans un véritable show, le prêtre vante des valeurs bien peu prônées par le Christianisme latin: outre l’amour et la santé, l’individualisme et la richesse matérielle sont les pivots d’une existence épanouie.
La dernière demi-heure de la soirée est encore plus détendue que la leçon du prêtre: autour d’un banquet de friandises, on parle librement de prière et on déclame des blagues carambars.

Mercredi

Aujourd’hui, journée libre. Elle commence pourtant comme tous les matins. Levé à 7h, le missionnaire se réveille avec une demi-heure de sport et enchaine sur une heure d’étude du livre de Mormon. Pas de café-clope au petit déjeuner, ni même de thé. Les produits excitants sont proscrits aux mormons. On se contentera de jus d’orange.
Une fois par semaine, les missionnaires écrivent à leur famille. Ils n’ont le droit qu’à deux appels via Skype par an: à Noël et pour la fête des mères.
Cette journée est aussi l’occasion de faire le point sur les finances. Les jeunes payent leur mission sur fonds propres. «J’étais étudiant avant ma mission, raconte Elder Peels dans un bon français, mais j’ai travaillé en tant qu’ambulancier pour pouvoir partir». Néanmoins, il assure que les paroisses d’origine versent une bourse à leurs jeunes n’ayant pas les moyens de se financer.

Jeudi

Pour les Saints des derniers jours, la vie sur terre n’est qu’une étape. Tout humain a vécu auprès de Dieu avant son existence terrestre, et tous retournerons au ciel après la mort. Mais les modalités de cette ultime étape dépendent des choix de chacun réalisés durant la vie sur terre et juste après le trépas. L’enfer n’existe pas chez les mormons et le paradis est divisé en trois niveaux. Le premier ressemble à la vie terrestre, imprégnée de vice et de frustration. Le deuxième niveau est un monde de paix, destiné aux humains ayant mené une vie juste et charitable, même si ils n’ont jamais eu la foi. Le plus haut et le plus glorieux est celui que seuls les bons mormons peuvent atteindre: devenir soi-même un dieu, vivre en présence du «Père Céleste» et «connaitre une joie complète».

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Pour se faire, il faut avoir été baptisé. Problème: Que va-t-il advenir des gens qui ne l’ont pas été, étant morts avant la révélation à Joseph Smith? Afin de vivre éternellement avec toute leur famille au royaume dont le standing est le meilleur, les mormons recherchent activement leurs aïeux pour les bénir post-mortem. D’où leur réputation internationale en matière de généalogie. La France, comme d’autres Etats, coopère avec Salt Lake City pour mettre en commun leurs bases de données. La chapelle de Montpellier est donc dotée de machine de lecture de microfilm et l’un des paroissiens, expert en généalogie, est là pour guider les missionnaires dans leur quête.

Vendredi

Aujourd’hui, Elder Peels a rendez-vous avec le responsable des missionnaires de la partie Sud de la France. Il va être fixé aujourd’hui: continuera-t-il sa mission sur Montpellier avec son acolyte Elder Hasting? Les mormons en mission ne savent jamais où ils partent. Le pays visité dépend de la maîtrise de la langue locale (qui est renforcée par des stages de formation de 9 semaines avant le départ), ni la ville, qui change sporadiquement. Après Bordeaux puis deux mois passés dans l’Hérault, le missionnaire est finalement dépêché à Aix. Un autre Elder va prendre sa place et former un nouveau duo avec Elder Hasting: Le floridien Elder Taylor.

Samedi

8h45. Rendez-vous à la chapelle pour une séance de «sport extrême» animée par Elder Yang. Les participants exécutent des exercices issus de la méthode «P 90 X», un entrainement réputé pour sa rudesse. La paroisse propose nombre d’activités ouvertes à tous. Elles sont souvent la porte d’entrée des non-mormons dans le culte. Antoine (le prénom a été changé), rencontré lors de la soirée familiale, ne se définit pas comme un grand dévot. Il témoigne: «Je n’ai pas vraiment de famille, ici j’en ai une. J’ai commencé à venir au sport… Maintenant je viens parfois à la messe».

Dimanche

La chapelle Le dimanche matin est l’apogée de la semaine du missionnaire. Trois offices successifs sont célébrés à partir de 8h du matin, dont un spécialement pour les Elders. A 10h, la réunion de la Sainte-Cène est suivie par tous les paroissiens, apprêtés pour l’occasion. Les missionnaires distribuent des invitations pour une grande soirée familiale. D’éminents personnages de l’Eglise française sont présents aujourd’hui, dont certains membres de la prêtrise de Melchisédek, le degré supérieur du clergé mormon. On prie un peu, l’eau et le pain bénis circulent dans l’assemblée. Les cantiques sont accompagnés de piano et de violon… ce qui n’empêche pas certains membres de chanter faux ou de partir dans quelques trémolos excessifs! Maria, l’une des nombreuses jeunes présentes, raconte: «Un jour j’ai amené une amie catho. Elle était étonnée du temps passé à chanter§» Puis les têtes d’affiche se succèdent au micro. Le président de Pieu -équivalent d’un évêque catholique- rend un hommage applaudi à Mitt Romney, candidat républicain face à Obama et mormon assumé. Il parle de l’importance de l’obéissance et clos la cérémonie en insistant sur la prière: «Il faut prier tous les jours, surtout lorsqu’on en a pas envie!»